Question d'origine :
Bonjour,
En français et dans les langues européenne, la lettre q est généralement suivie de la lettre u (une marque, empaqueter, un baquet, etc).
Mais dans les transcriptions de certaines langues on n'utilise que la lettre q, sans qu'elle soit suivie d'un u.
Auriez-vous une explication à ceci?
Merci par avance.
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 09/12/2019 à 10h00
Bonjour,
La lettre Q suivie d'un U est une spécificité des langues latines et surtout du français. Elle a été diffusée chez nos voisins anglo-saxons au XIe siècle. David Sacks nous explique pourquoi dans son ouvrage intitulé Une histoire de l'alphabet : la vie secrète des lettres de A à Z :
Au fil de l'histoire, le Q a presque toujours été considéré comme un outsider, un vainqueur improbable. Déjà, l'alphabet phénicien de 1000 av. J.-C. comptait deux lettres K : kaph, l'ancêtre de notre K, et qoph, l'ancêtre de Q. Ces deux lettres se distinguaient par une subtile différence entre les sons qu'elles notaient. En langue phénicienne, qoph représentait un son dans lequel la langue prenait contact avec une partie différente du palais comparativement au son kaph. Le nom qoph voulait probablement dire « singe », qui était représenté par un dessin stylisé de la face et de la queue d'un singe : V.
Qoph était la 19e lettre de l'alphabet phénicien. L'alphabet hébreu moderne possède une 19e lettre appelée qof, qui dénote un son «q». Sa forme ressemble encore à son ancêtre phénicien d'il y a 3000 ans. En outre, la 21e lettre de l'alphabet arabe a pour nom qaf et dénote un son semblable.
Vers 800 av. J.-C, les anciens Grecs copièrent qoph dans leur alphabet et lui donnèrent le nom de qoppa, plus typiquement grec. (Le kaph phénicien devint pour sa part la lettre grecque kappa.) Contrairement à la langue phénicienne, il n'y avait pas en grec de distinction subtile entre les sons « q » et « k », de sorte que ces deux lettres étaient redondantes. Les Grecs finirent par abandonner la lettre qoppa, mais pas avant que les commerçants grecs l'eussent importée en Italie, où elle passa de l'alphabet grec à l'alphabet étrusque (vers 700 av. J.-C), avant d'être introduite dans l'alphabet romain (vers 600 av. J.-C). Les Étrusques appelaient leur lettre qu, qui se prononçait à peu près «kou», d'où son nom moderne en français, en anglais et en d'autres langues.
Comme en phénicien, il y avait en étrusque une légère différence de prononciation entre le K et le Q. Cependant, les Romains, tout comme les Grecs, ne prononçaient pas ces deux lettres de manière différente. Aimant l'ordre et se retrouvant avec trois lettres dénotant le son «k» - soit C, K et Q - dont deux étaient littéralement superflues, ils décidèrent de régler le problème une fois pour toutes. C'est ainsi qu'ils privilégièrent le C, ignorèrent le K et confinèrent le Q à un seul usage : aider à rendre le son consonantique « kw », très fréquent en latin.
Pour reproduire le son «kw», ils firent suivre le Q d'un U : QU. Le Q dénotait le « k », tandis que le U à sa suite devenait « w ». Comme « kw » pouvait se prononcer uni¬quement devant une voyelle, les lettres QU étaient toujours suivies d'une voyelle. En plus d'accompagner le Q, le U avait de nombreux autres usages en latin ; en revanche, le Q ne jouait aucun autre rôle : il n'était utilisé que devant un U et une deuxième voyelle.
Parmi les centaines des mots latins contenant ces lettres, comme squalor, œqualis, eloquens et quinque, bon nombre sont passés dans les langues anglaise et française. Dans l'orthographe latine, QU se distingue nettement de CU, par exemple dans les mots cultus (culture) et porcus (porc), le son dénoté étant un simple « ku » amputé du « w».
Le QU latin pour rendre « kw » a été légué à des langues romanes comme le français après la chute de Rome (500 apr. J.-C). A la même époque, dans les îles Britanniques, les Anglo-Saxons écrivaient le vieil anglais à l'aide d'un alphabet romain modifié sans lettre Q. N'en ayant aucun besoin, comme le souligne Ben Jonson (voir à la page 224), ils étaient parfaitement heureux d'écrire cwen et non queen et cwic plutôt que quick. Cependant, tout cela a changé après la conquête de l'Angleterre par les Normands en 1066 de notre ère. Non seulement les envahisseurs ont-ils inondé ce pays de mots français normands s'écrivant avec QU {quart, quest, require, etc.), mais les copistes normands en Angleterre se sont mis à modifier l'orthographe de mots anglais en y introduisant les lettres QU. C'est ainsi que cwen devint queen et que cwic devint quick. La lettre Q, ou plutôt le digramme QU, avait fait son entrée dans la langue anglaise.
Ce n'est qu'au cours de décennies récentes que le Q a été utilisé à l'occasion sans sa « servante » (selon le mot de Ben Jonson). Dans la plupart des dictionnaires, on trouve maintenant le Q sans U à sa suite dans la translittération en anglais de quelques noms et mots étrangers familiers, habituellement arabes, hébreux ou chinois. A titre d'exemple, il y a le royaume arabe du Qatar, les textes mystiques hébreux appelés collectivement Qabbala (Kabbale en français) et l'ancienne dynastie chinoise des Qin (variante de Ch'in). L'adoption du Q pour la translittération de mots arabes ou hébreux vise à rendre plus fidèlement la lettre Q en arabe ou en hébreu, c'est-à-dire qaf ou qof. Les générations précédentes utilisaient le K pour dénoter les lettres qaf ou qof afin d'épargner aux lecteurs de langue anglaise ou française l'affront que représente pour eux la vue d'un Q sans un U. Dans le cas du chinois, l'utilisation assez récente du Q découle du système Pinyin, universellement accepté depuis 1979 pour la translittération du chinois en lettres romaines.
De nos jours, un mot particulier s'écrivant avec un Q sans U s'est gravé dans l'esprit des gens du monde entier qui savent lire les lettres romaines : qaida. Al-Qaida, le nom du groupe terroriste international responsable des monstrueux attentats du 11 septembre 2001, signifie « La fondation » en arabe.
Pour aller plus loin, nous vous invitons à consulter ces documents :
- Histoire et art de l'écriture / Marcel Cohen et Jérôme Peignot
- La lettre Q
Bonne journée
La lettre Q suivie d'un U est une spécificité des langues latines et surtout du français. Elle a été diffusée chez nos voisins anglo-saxons au XIe siècle. David Sacks nous explique pourquoi dans son ouvrage intitulé Une histoire de l'alphabet : la vie secrète des lettres de A à Z :
Au fil de l'histoire, le Q a presque toujours été considéré comme un outsider, un vainqueur improbable. Déjà, l'alphabet phénicien de 1000 av. J.-C. comptait deux lettres K : kaph, l'ancêtre de notre K, et qoph, l'ancêtre de Q. Ces deux lettres se distinguaient par une subtile différence entre les sons qu'elles notaient. En langue phénicienne, qoph représentait un son dans lequel la langue prenait contact avec une partie différente du palais comparativement au son kaph. Le nom qoph voulait probablement dire « singe », qui était représenté par un dessin stylisé de la face et de la queue d'un singe : V.
Qoph était la 19e lettre de l'alphabet phénicien. L'alphabet hébreu moderne possède une 19e lettre appelée qof, qui dénote un son «q». Sa forme ressemble encore à son ancêtre phénicien d'il y a 3000 ans. En outre, la 21e lettre de l'alphabet arabe a pour nom qaf et dénote un son semblable.
Vers 800 av. J.-C, les anciens Grecs copièrent qoph dans leur alphabet et lui donnèrent le nom de qoppa, plus typiquement grec. (Le kaph phénicien devint pour sa part la lettre grecque kappa.) Contrairement à la langue phénicienne, il n'y avait pas en grec de distinction subtile entre les sons « q » et « k », de sorte que ces deux lettres étaient redondantes. Les Grecs finirent par abandonner la lettre qoppa, mais pas avant que les commerçants grecs l'eussent importée en Italie, où elle passa de l'alphabet grec à l'alphabet étrusque (vers 700 av. J.-C), avant d'être introduite dans l'alphabet romain (vers 600 av. J.-C). Les Étrusques appelaient leur lettre qu, qui se prononçait à peu près «kou», d'où son nom moderne en français, en anglais et en d'autres langues.
Pour reproduire le son «kw», ils firent suivre le Q d'un U : QU. Le Q dénotait le « k », tandis que le U à sa suite devenait « w ». Comme « kw » pouvait se prononcer uni¬quement devant une voyelle, les lettres QU étaient toujours suivies d'une voyelle. En plus d'accompagner le Q, le U avait de nombreux autres usages en latin ; en revanche, le Q ne jouait aucun autre rôle : il n'était utilisé que devant un U et une deuxième voyelle.
Parmi les centaines des mots latins contenant ces lettres, comme squalor, œqualis, eloquens et quinque, bon nombre sont passés dans les langues anglaise et française. Dans l'orthographe latine, QU se distingue nettement de CU, par exemple dans les mots cultus (culture) et porcus (porc), le son dénoté étant un simple « ku » amputé du « w».
Ce n'est qu'au cours de décennies récentes que le Q a été utilisé à l'occasion sans sa « servante » (selon le mot de Ben Jonson). Dans la plupart des dictionnaires, on trouve maintenant le Q sans U à sa suite dans la translittération en anglais de quelques noms et mots étrangers familiers, habituellement arabes, hébreux ou chinois. A titre d'exemple, il y a le royaume arabe du Qatar, les textes mystiques hébreux appelés collectivement Qabbala (Kabbale en français) et l'ancienne dynastie chinoise des Qin (variante de Ch'in). L'adoption du Q pour la translittération de mots arabes ou hébreux vise à rendre plus fidèlement la lettre Q en arabe ou en hébreu, c'est-à-dire qaf ou qof. Les générations précédentes utilisaient le K pour dénoter les lettres qaf ou qof afin d'épargner aux lecteurs de langue anglaise ou française l'affront que représente pour eux la vue d'un Q sans un U. Dans le cas du chinois, l'utilisation assez récente du Q découle du système Pinyin, universellement accepté depuis 1979 pour la translittération du chinois en lettres romaines.
De nos jours, un mot particulier s'écrivant avec un Q sans U s'est gravé dans l'esprit des gens du monde entier qui savent lire les lettres romaines : qaida. Al-Qaida, le nom du groupe terroriste international responsable des monstrueux attentats du 11 septembre 2001, signifie « La fondation » en arabe.
Pour aller plus loin, nous vous invitons à consulter ces documents :
- Histoire et art de l'écriture / Marcel Cohen et Jérôme Peignot
- La lettre Q
Bonne journée
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter