Question d'origine :
cher guichet,
Quelle étaient les communautés d'habitants dont faisaient partie les chefs de famille? Devaient- elles nommer pour l'année le percepteur des tailles ? Mais encore ?
Réponse du Guichet

Bonjour,
On trouve un article très éclairant sur les communautés d’habitants sur le site des archives départementales du Tarn :
« Sous l’Ancien Régime, la cellule de base de l’organisation administrative est constituée par la communauté d’habitants, ancêtre direct des communes actuelles. Avec l’affaiblissement progressif des tutelles seigneuriales, émergent au XIIe siècle les communii, associations scellées par un serment de fidélité collectif visant à obtenir l’octroi de chartes de privilèges. Dans le sud de la France, ces « communes » prennent la forme d’un consulat et apparaissent dès la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle pour l’Albigeois.
Les communautés d’habitants ont à leur tête des consuls qui ont des pouvoirs plus ou moins étendus, selon le degré d’affranchissement de la communauté. Le nombre de consuls varie de 1 à 6 ; de même, leur mode de désignation est très variable d’une communauté à l’autre. La communauté, représentée par ses consuls, détient des attributions administratives, militaires, économiques, de police. Elle est surtout une entité fiscale, solidaire dans le paiement de l’impôt et chargée de son recouvrement. Son compoix, équivalent à la fois d’une matrice cadastrale et d’un rôle de l’assiette, lui permet d’asseoir l’impôt foncier sur les terres roturières. Une véritable administration consulaire se met en place, s’appuyant à la fois sur une pratique de l’écrit héritée du droit romain et sur des professionnels de l’écriture. Ces consulats vont produire de plus en plus d’archives au fur et à mesure de la complexification de leur administration. Cependant, les consulats, puissants à la fin du Moyen Âge, voient progressivement leur pouvoir réduit par la royauté : à la fin de l’Ancien Régime, les consulats sont peu ou prou sous la coupe du pouvoir central. »
On le voit, comme la plupart des institutions d’Ancien régime, les communautés d’habitants se caractérisent par une diversité des pratiques qui rend toute généralisation quant à leur fonctionnement assez hasardeux. D’autant que leur statut et leur fonctionnement relèvent rarement du droit écrit, comme le souligne le Dictionnaire de l'Ancien régime [Livre] : royaume de France, XVIe-XVIIIe siècle / publié sous la direction de Lucien Bély :
« Communautés villageoises :
C’est, avec la seigneurie et la paroisse, l’un des trois cadres de vie à la campagne. […] Il est cependant difficile de définir la communauté villageoise. Hors de certaines provinces méridionales, il n’y a pas de statut reconnu par les parlements. Bien souvent, la communauté villageoise apparaît d’abord comme une communauté fiscale, solidaire dans le paiement de l’impôt royal, et l’on parle de parcelle fiscale. C’est finalement l’édit de juin 1787 qui, s’appliquant du moins dans les provinces dépourvues d’états, donnera un statut aux communautés villageoises. La même relative obscurité pèse sur l’histoire des origines des communautés villageoises. Les textes que l’on possède sur des créations de villages sont tardifs, la plupart du temps liés à des bâtiments. […] Le poids croissant d’une fiscalité qui devient permanente, l’obligation d’élire des asséeurs d’impôt à partir de 1379, la nécessité de s’organiser au moment des remises en culture qui ont suivi la guerre de Cent Ans n’ont pu que favoriser la consistance des communautés. A la fin du XVe siècle les communautés s’entendent entre elles sur leurs limites et apparaissent souvent dégagées de la paroisse et de la seigneurie. »
C’est le moment où les communautés d’habitants s’autonomisent véritablement ; pourtant même à ce moment-là il n’est pas question de faire une généralité, notamment entre les communautés du nord de la France, terre de droit coutumier, et le midi, où une survivance du droit romain a permis un développement fort de codes écrits qui permet de structurer
« […] l’organe délibératif est une assemblée, ou « corps commun », qui se réunit sans périodicité régulière. Dans le midi, des registres de délibérations sont tenus, mais ailleurs c’est le notaire qui rédige un procès-verbal d’assemblée sous la forme d’un acte que l’on retrouve encore dans ses minutes. De même, ce n’est que dans les pays de communautés fortes, c’est-à-dire essentiellement le Languedoc et la Provence, qu’il existe une maison commune. Ailleurs, l’assemblée se réunit fréquemment en plein air, sur la place ou sous le porche de l’église. Tous les chefs de feux, quel que soit leur sexe, peuvent participer à l’assemblée. On aurait tort, cependant, d’en conclure à l’existence d’une démocratie directe [car sauf cas exceptionnel] sévit un fort absentéisme à l’assemblée. Les veuves cessent, le plus souvent dès le courant du XVIe siècle, de venir à l’assemblée. Les moins riches font de même, peut-être par sentiment d’impuissance dans des réunions au sein desquelles la notion de majorité est encore peu établie. »
Sans compter que certaines assemblées ne considèrent comme « habitants » que « les propriétaires résidents et dès lors la communauté d’habitants n’est plus celle des journaliers, fermiers, métayers ! ». Au cours des siècles, de plus en plus d’assemblées deviendront censitaires, tendance qui connaîtra un cadre légal avec l’édit de 1787… deux ans avant que la Révolution ne le rende caduc.
Notons qu’au cours de leur histoire, les communautés d’habitants ont eu à affronter deux problèmes récurrents : des crises économiques à la chaîne contre lesquelles leur faible structuration les protégeait mal d’une part, et, d’autre part, un pouvoir central de plus en plus soucieux de les contrôler et de leur ôter tout pouvoir réel :
« Pour régler les problèmes essentiels de ravitaillement, d’affaires religieuses, de jouissance des biens communs, les communautés organisent des assemblées générales, se dotent de conseils, avec à leur tête, syndic ou consuls (ex : Saint-Maximin dès la fin XIIIème siècle). Chaque communauté a son règlement qui fixe le mode de recrutement du conseil municipal et ses attributions, l’électorat et l’éligibilité, ainsi que les mesures de polices. Les communautés ont une personnalité juridique : sceau, milice, représentants élus.
En 1481, après quatre siècles d'indépendance, la Provence intègre le royaume de France. Désormais, le pouvoir royal centralisateur développe une tutelle administrative, exercée par des viguiers qui contrôlent les délibérations des conseils municipaux. Les vigueries concernées par les communautés du Var actuel, sont au nombre de 11 : Aix, Aups, Barjols, Brignoles, Castellanne, Draguignan, Hyères, Lorgues, Moustiers, Saint-Maximin, et Toulon. La tutelle judiciaire est exercée par les lieutenants des sénéchaussées dont les sièges se trouvent à Draguignan, Hyères, Brignoles et Toulon. Economiquement, les communautés bénéficient d’une situation favorable alliée à une stabilité monétaire permettant d’équilibrer leur budget.
Cependant, au XVIème siècle, les guerres de Religion vont fortement perturber les communautés : armer, loger et approvisionner les troupes entraînent des frais considérables. Elles doivent même emprunter pour acheter des denrées alimentaires car leurs terres sont ravagées et leurs administrés massacrés par des bandes de pillards.
Au XVII ème siècle, cette précarité financière s’accentue avec les guerres menées sous Louis XIV. Malgré l’extinction des dettes obtenue plusieurs fois après 1660, les communautés continuent de s’endetter. Par ailleurs, l’autorité royale se fait plus pesante : prélèvements d’impôts nouveaux, nomination d’un intendant de la province, véritable chef suprême de l’administration avec de larges attributions judiciaires, policières et financières, création dans toutes les villes d’ offices de maire et d’assesseurs dont le rachat par les municipalités grève souvent leur budget pour des décennies.
Au XVIII ème siècle, la gestion des communautés est strictement contrôlée par l’intendant, représentant du Roi, et ruinée par les impôts de l’Etat. Des projets de réformes municipales, notamment la suppression des offices vénaux et l’élection des municipalités, sont annoncés par des ministres réformateurs mais n’aboutissent pas. Les cahiers de doléances demandent une administration communale gérée par des syndics libres, choisis par tous les habitants et dégagé de la tutelle du seigneur.
C’est la Révolution qui tranchera la question. En effet, la loi du 14 décembre 1789 va transformer, pour toute la France, les communautés de l’Ancien Régime en communes. Désormais, toutes les assemblées d'habitants, quelle que soit leur importance, ont la même organisation municipale, avec un maire et des conseillers élus à leur tête. »
(Source : Archives départementales du Var)
Le mode de désignation des collecteurs de la taille n’était ni plus simple, ni plus harmonisé que le reste, bien qu’il fût soumis à certaines limites, tendant à s’institutionnaliser avec le temps. Vous trouverez un aperçu du fonctionnement complexe de cet impôt, mettant en jeu administration royale, paroisses et communautés, dans l’intervention de Françoise Bayard « Collecter la taille en Lyonnais et Beaujolais au XVIIe siècle », prononcée à Bercy en 2002 au cours d’un colloque sur l’impôt des campagnes, et lisible sur openedition.org :
« Comprendre la manière dont elle est collectée au XVIIe siècle n’est pas chose aisée car la documentation existant dans les archives publiques est rare : six ordonnances émanant des autorités supérieures ; 72 rôles de tailles dont seulement 16 sont des originaux ayant réellement servi aux collecteurs (les « rôles cueilloirs » dont parle Antoine Follain3), les autres étant destinés aux greffiers des élections ; 46 affaires diverses portées en contentieux devant la justice des élus ; une quinzaine de documents variés dont des actes notariés ; enfin les délibérations des membres du bureau des finances de la généralité de Lyon (suivies uniquement dans les périodes 1625-1629 et 1649-1653). Sauf les dernières sources inscrites sur de gros registres, le reste est rédigé sur des feuilles volantes. Il n’existe pas, dans la région, de registres de consentement et les comptes sont rarissimes. Les délibérations de la compagnie des élus ne figurent pas dans les Archives départementales du Rhône pour tout l’Ancien Régime, dans l’élection de Lyon et avant 1709 pour celle de Villefranche. L’ensemble ne porte que sur 47 communautés et avant tout sur la deuxième moitié du siècle (88,18 % des actes).
[…] la collecte des tailles intervient au terme d’un parcours administratif qui, au début du XVIIe siècle, prend environ six mois, depuis son point de départ au Conseil du Roi jusqu’à son point d’arrivée dans la communauté et il est impossible de la présenter isolément de cet ensemble. Les étapes sont connues. Le brevet de la taille répartissant l’impôt sur chaque généralité est établi à la cour en juin-juillet de l’année précédant la levée. Les bureaux des finances le reçoivent entre les mois d’août et d’octobre1. Les officiers des bureaux répartissent la taxe sur les élections de la généralité en septembre ou en octobre, selon un barême qu’ils élaborent eux-mêmes : en 1650, la part du Lyonnais doit représenter 4 sols 2 deniers des 20 sols que compte l’ensemble de la généralité et le Beaujolais 4 sols 3 deniers alors qu’en 1651, le premier paiera sur le pied de 4 sols 3 deniers et le Beaujolais de 4 sols 1 denier. En février-mars, les élus des élections reçoivent l’ordre des bureaux des finances d’imposer les deniers de la taille sur les paroisses en présence de délégués des bureaux. La répartition faite,les bureaux envoient à chaque paroisse le montant de la taille à prélever. L’impôt doit alors être assis sur les habitants puis collecté avant d’être envoyé aux receveurs particuliers des élections par des personnes désignées par la communauté. Les villageois s’arrangent comme ils l’entendent pourvu que l’argent rentre, en temps voulu, dans les caisses royales. »
Répartir la somme réclamée par le roi entre les habitants est le rôle des asséeurs ; la collecter est celle des collecteurs. Si selon Les institutions de la France moderne [Livre] : XVe-XVIIIe siècle / Laurent Avezou les représentants des communautés étaient en général choisis chaque année par leurs pairs parmi les habitants fortunés, selon un système d’élection de façade qui tendra de plus en plus vers la cooptation, les charges d’asséeurs et de collecteurs avaient la particularité d’être peu convoitées : en effet, jamais au cours de l’ancien régime, le consentement à l’impôt royal ne sera gagné nulle part, ce qui implique à chaque répartition de la taille, une dure négociation qui peut entraîner bien des inimitiés :
" Les deux fonctions ont été distinctes jusqu'au début du XVIIe siècle. Les asséeurs remettaient l'assiette aux collecteurs qui recevaient 5 % de la somme de taille perçue. Henri II avait créé des offices de collecteurs qui touchaient 3 deniers pour livre et étaient exemptés de taille jusqu'à 3 écus ; ils ont été supprimés en 1614 et depuis lors les mêmes personnes répartissent et perçoivent l'impôt, dont ils sont collectivement responsables par «contrainte solidaire » ou «par solidité » ; ils reçoivent pour cela une indemnité de 6 deniers pour livre du premier brevet et 4 deniers pour livre du deuxième brevet et de la capitation, mais ne jouis¬ sent d'aucun privilège.
Tous les habitants de la paroisse ne sont pas astreints à la collecte. Outre les privilégiés et les receveurs de deniers royaux, sont exemptés les médecins, pour la raison «qu'auprès d'un malade la présence d'un médecin-collecteur le saisirait et redoublerait son mal », les septuagénaires, les indigents, les domestiques et à certains moments tous ceux à qui ce privilège a été accordé par l'édit de création de leur charge, tels que greffiers des rôles, jurés, crieurs aux enterrements, courtiers en vins, contrôleurs des exploits, arpenteurs, etc., dont l'exemption a été souvent suspendue.
Le nombre des collecteurs croît avec la somme d'impôt à payer par la paroisse. Au XVIIe siècle ils étaient trois pour les paroisses imposées à une somme inférieure à 1 500 livres, cinq pour celles qui étaient comprises entre 1 500 et 2 000, sept pour les autres (3). Au XVIIIe siècle ils sont quatre si la somme est comprise entre 900 et 1 500 livres, huit au-dessus. Dans les élections de Condom et d'Agen on trouve un collecteur principal dans chaque chef lieu de juridiction et deux collecteurs particuliers dans chaque paroisse, dont les consuls doivent remettre les noms au receveur des tailles, sous peine de 50 livres d'amende, avant le Ier novembre. Dans quelques villes les édits de mars 1702, octobre 1703, juillet 1707 ont créé des syndics perpétuels, anciens, alternatifs et triennaux qui sont en même temps greffiers des rôles, pour faire procéder à la nomination ; dans celles où ils n'existent pas ce sont les maires, procureurs, consuls ou échevins, ou autres officiers «qui par leur charge ont voix délibérative aux assemblées des villes » qui en sont chargés.
Dans les paroisses l'ordre de s'assembler est envoyé par le receveur des tailles aux syndics, marguilliers et notables, qui sont responsables sur leur fortune de la désignation des collecteurs. Les procureurs syndics font publier l'ordre deux dimanches de suite à l'église au moment du prône, et tiennent l'assemblée au sortir de la messe le troisième dimanche ; le vote est direct et obligatoire sous peine d'amende ; les habitants taillables indiquent à haute voix les noms de leur choix au notaire, qui porte aussitôt le résultat au greffe de l'élection. Les contestations sont jugées par les élus dans le mois qui suit avec possibilité d'appel à la Cour des Aides avant le 15 janvier. Les habitants désignés ne peuvent être pris à nouveau pour la collecte qu'après un délai de 3 ans.
Il peut se faire que les habitants de la paroisse refusent de tenir l'assemblée ou de désigner les collecteurs, ou bien encore qu'ils désignent des collecteurs insolvables. Dans ce cas les élus pouvaient autrefois prononcer un jugement de «solidité » contre les principaux notables en les rendant responsables sur leur fortune de la somme de taille due par la paroisse. L,a Déclaration du g août 1723 a précisé et adouci la mesure en ordonnant au procureur de l'élection de dresser un état portant le nom du syndic et «de dix des plus anciens habitants de la paroisse portant 20 livres de taille et au-dessus sur le pied des rôles de l'année courante », à charge pour l'intendant et les officiers de l'élection de «choisir dans le nombre... les plus hauts en taille pour faire la fonction de collecteurs et de les nommer d'office »
(Source : Christian Ambrosi, « Aperçus sur la répartition et la perception de la taille au XVIIIe siècle", Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1961, consultable sur persee.fr)
Pour aller plus loin :
- Les institutions de la France moderne [Livre] : XVe-XVIIIe siècle / Laurent Avezou
- Lexique historique de la France d'Ancien Régime [Livre] / Guy Cabourdin, Georges Viard
- Le village sous l'Ancien Régime [Livre] / Antoine Follain
- La France du XVIIe siècle [Livre] : puissance de l'Etat, contrôle de la société [Livre] / Lucien Bély
- L'Ancien régime [Livre] : institutions et société / François Bluche
Bonne journée.
On trouve un article très éclairant sur les communautés d’habitants sur le site des archives départementales du Tarn :
« Sous l’Ancien Régime, la cellule de base de l’organisation administrative est constituée par la communauté d’habitants, ancêtre direct des communes actuelles. Avec l’affaiblissement progressif des tutelles seigneuriales, émergent au XIIe siècle les communii, associations scellées par un serment de fidélité collectif visant à obtenir l’octroi de chartes de privilèges. Dans le sud de la France, ces « communes » prennent la forme d’un consulat et apparaissent dès la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle pour l’Albigeois.
Les communautés d’habitants ont à leur tête des consuls qui ont des pouvoirs plus ou moins étendus, selon le degré d’affranchissement de la communauté. Le nombre de consuls varie de 1 à 6 ; de même, leur mode de désignation est très variable d’une communauté à l’autre. La communauté, représentée par ses consuls, détient des attributions administratives, militaires, économiques, de police. Elle est surtout une entité fiscale, solidaire dans le paiement de l’impôt et chargée de son recouvrement. Son compoix, équivalent à la fois d’une matrice cadastrale et d’un rôle de l’assiette, lui permet d’asseoir l’impôt foncier sur les terres roturières. Une véritable administration consulaire se met en place, s’appuyant à la fois sur une pratique de l’écrit héritée du droit romain et sur des professionnels de l’écriture. Ces consulats vont produire de plus en plus d’archives au fur et à mesure de la complexification de leur administration. Cependant, les consulats, puissants à la fin du Moyen Âge, voient progressivement leur pouvoir réduit par la royauté : à la fin de l’Ancien Régime, les consulats sont peu ou prou sous la coupe du pouvoir central. »
On le voit, comme la plupart des institutions d’Ancien régime, les communautés d’habitants se caractérisent par une diversité des pratiques qui rend toute généralisation quant à leur fonctionnement assez hasardeux. D’autant que leur statut et leur fonctionnement relèvent rarement du droit écrit, comme le souligne le Dictionnaire de l'Ancien régime [Livre] : royaume de France, XVIe-XVIIIe siècle / publié sous la direction de Lucien Bély :
« Communautés villageoises :
C’est, avec la seigneurie et la paroisse, l’un des trois cadres de vie à la campagne. […] Il est cependant difficile de définir la communauté villageoise. Hors de certaines provinces méridionales, il n’y a pas de statut reconnu par les parlements. Bien souvent, la communauté villageoise apparaît d’abord comme une communauté fiscale, solidaire dans le paiement de l’impôt royal, et l’on parle de parcelle fiscale. C’est finalement l’édit de juin 1787 qui, s’appliquant du moins dans les provinces dépourvues d’états, donnera un statut aux communautés villageoises. La même relative obscurité pèse sur l’histoire des origines des communautés villageoises. Les textes que l’on possède sur des créations de villages sont tardifs, la plupart du temps liés à des bâtiments. […] Le poids croissant d’une fiscalité qui devient permanente, l’obligation d’élire des asséeurs d’impôt à partir de 1379, la nécessité de s’organiser au moment des remises en culture qui ont suivi la guerre de Cent Ans n’ont pu que favoriser la consistance des communautés. A la fin du XVe siècle les communautés s’entendent entre elles sur leurs limites et apparaissent souvent dégagées de la paroisse et de la seigneurie. »
C’est le moment où les communautés d’habitants s’autonomisent véritablement ; pourtant même à ce moment-là il n’est pas question de faire une généralité, notamment entre les communautés du nord de la France, terre de droit coutumier, et le midi, où une survivance du droit romain a permis un développement fort de codes écrits qui permet de structurer
« […] l’organe délibératif est une assemblée, ou « corps commun », qui se réunit sans périodicité régulière. Dans le midi, des registres de délibérations sont tenus, mais ailleurs c’est le notaire qui rédige un procès-verbal d’assemblée sous la forme d’un acte que l’on retrouve encore dans ses minutes. De même, ce n’est que dans les pays de communautés fortes, c’est-à-dire essentiellement le Languedoc et la Provence, qu’il existe une maison commune. Ailleurs, l’assemblée se réunit fréquemment en plein air, sur la place ou sous le porche de l’église. Tous les chefs de feux, quel que soit leur sexe, peuvent participer à l’assemblée. On aurait tort, cependant, d’en conclure à l’existence d’une démocratie directe [car sauf cas exceptionnel] sévit un fort absentéisme à l’assemblée. Les veuves cessent, le plus souvent dès le courant du XVIe siècle, de venir à l’assemblée. Les moins riches font de même, peut-être par sentiment d’impuissance dans des réunions au sein desquelles la notion de majorité est encore peu établie. »
Sans compter que certaines assemblées ne considèrent comme « habitants » que « les propriétaires résidents et dès lors la communauté d’habitants n’est plus celle des journaliers, fermiers, métayers ! ». Au cours des siècles, de plus en plus d’assemblées deviendront censitaires, tendance qui connaîtra un cadre légal avec l’édit de 1787… deux ans avant que la Révolution ne le rende caduc.
Notons qu’au cours de leur histoire, les communautés d’habitants ont eu à affronter deux problèmes récurrents : des crises économiques à la chaîne contre lesquelles leur faible structuration les protégeait mal d’une part, et, d’autre part, un pouvoir central de plus en plus soucieux de les contrôler et de leur ôter tout pouvoir réel :
« Pour régler les problèmes essentiels de ravitaillement, d’affaires religieuses, de jouissance des biens communs, les communautés organisent des assemblées générales, se dotent de conseils, avec à leur tête, syndic ou consuls (ex : Saint-Maximin dès la fin XIIIème siècle). Chaque communauté a son règlement qui fixe le mode de recrutement du conseil municipal et ses attributions, l’électorat et l’éligibilité, ainsi que les mesures de polices. Les communautés ont une personnalité juridique : sceau, milice, représentants élus.
En 1481, après quatre siècles d'indépendance, la Provence intègre le royaume de France. Désormais, le pouvoir royal centralisateur développe une tutelle administrative, exercée par des viguiers qui contrôlent les délibérations des conseils municipaux. Les vigueries concernées par les communautés du Var actuel, sont au nombre de 11 : Aix, Aups, Barjols, Brignoles, Castellanne, Draguignan, Hyères, Lorgues, Moustiers, Saint-Maximin, et Toulon. La tutelle judiciaire est exercée par les lieutenants des sénéchaussées dont les sièges se trouvent à Draguignan, Hyères, Brignoles et Toulon. Economiquement, les communautés bénéficient d’une situation favorable alliée à une stabilité monétaire permettant d’équilibrer leur budget.
Cependant, au XVIème siècle, les guerres de Religion vont fortement perturber les communautés : armer, loger et approvisionner les troupes entraînent des frais considérables. Elles doivent même emprunter pour acheter des denrées alimentaires car leurs terres sont ravagées et leurs administrés massacrés par des bandes de pillards.
Au XVII ème siècle, cette précarité financière s’accentue avec les guerres menées sous Louis XIV. Malgré l’extinction des dettes obtenue plusieurs fois après 1660, les communautés continuent de s’endetter. Par ailleurs, l’autorité royale se fait plus pesante : prélèvements d’impôts nouveaux, nomination d’un intendant de la province, véritable chef suprême de l’administration avec de larges attributions judiciaires, policières et financières, création dans toutes les villes d’ offices de maire et d’assesseurs dont le rachat par les municipalités grève souvent leur budget pour des décennies.
Au XVIII ème siècle, la gestion des communautés est strictement contrôlée par l’intendant, représentant du Roi, et ruinée par les impôts de l’Etat. Des projets de réformes municipales, notamment la suppression des offices vénaux et l’élection des municipalités, sont annoncés par des ministres réformateurs mais n’aboutissent pas. Les cahiers de doléances demandent une administration communale gérée par des syndics libres, choisis par tous les habitants et dégagé de la tutelle du seigneur.
C’est la Révolution qui tranchera la question. En effet, la loi du 14 décembre 1789 va transformer, pour toute la France, les communautés de l’Ancien Régime en communes. Désormais, toutes les assemblées d'habitants, quelle que soit leur importance, ont la même organisation municipale, avec un maire et des conseillers élus à leur tête. »
(Source : Archives départementales du Var)
Le mode de désignation des collecteurs de la taille n’était ni plus simple, ni plus harmonisé que le reste, bien qu’il fût soumis à certaines limites, tendant à s’institutionnaliser avec le temps. Vous trouverez un aperçu du fonctionnement complexe de cet impôt, mettant en jeu administration royale, paroisses et communautés, dans l’intervention de Françoise Bayard « Collecter la taille en Lyonnais et Beaujolais au XVIIe siècle », prononcée à Bercy en 2002 au cours d’un colloque sur l’impôt des campagnes, et lisible sur openedition.org :
« Comprendre la manière dont elle est collectée au XVIIe siècle n’est pas chose aisée car la documentation existant dans les archives publiques est rare : six ordonnances émanant des autorités supérieures ; 72 rôles de tailles dont seulement 16 sont des originaux ayant réellement servi aux collecteurs (les « rôles cueilloirs » dont parle Antoine Follain3), les autres étant destinés aux greffiers des élections ; 46 affaires diverses portées en contentieux devant la justice des élus ; une quinzaine de documents variés dont des actes notariés ; enfin les délibérations des membres du bureau des finances de la généralité de Lyon (suivies uniquement dans les périodes 1625-1629 et 1649-1653). Sauf les dernières sources inscrites sur de gros registres, le reste est rédigé sur des feuilles volantes. Il n’existe pas, dans la région, de registres de consentement et les comptes sont rarissimes. Les délibérations de la compagnie des élus ne figurent pas dans les Archives départementales du Rhône pour tout l’Ancien Régime, dans l’élection de Lyon et avant 1709 pour celle de Villefranche. L’ensemble ne porte que sur 47 communautés et avant tout sur la deuxième moitié du siècle (88,18 % des actes).
[…] la collecte des tailles intervient au terme d’un parcours administratif qui, au début du XVIIe siècle, prend environ six mois, depuis son point de départ au Conseil du Roi jusqu’à son point d’arrivée dans la communauté et il est impossible de la présenter isolément de cet ensemble. Les étapes sont connues. Le brevet de la taille répartissant l’impôt sur chaque généralité est établi à la cour en juin-juillet de l’année précédant la levée. Les bureaux des finances le reçoivent entre les mois d’août et d’octobre1. Les officiers des bureaux répartissent la taxe sur les élections de la généralité en septembre ou en octobre, selon un barême qu’ils élaborent eux-mêmes : en 1650, la part du Lyonnais doit représenter 4 sols 2 deniers des 20 sols que compte l’ensemble de la généralité et le Beaujolais 4 sols 3 deniers alors qu’en 1651, le premier paiera sur le pied de 4 sols 3 deniers et le Beaujolais de 4 sols 1 denier. En février-mars, les élus des élections reçoivent l’ordre des bureaux des finances d’imposer les deniers de la taille sur les paroisses en présence de délégués des bureaux. La répartition faite,
Répartir la somme réclamée par le roi entre les habitants est le rôle des asséeurs ; la collecter est celle des collecteurs. Si selon Les institutions de la France moderne [Livre] : XVe-XVIIIe siècle / Laurent Avezou les représentants des communautés étaient en général choisis chaque année par leurs pairs parmi les habitants fortunés, selon un système d’élection de façade qui tendra de plus en plus vers la cooptation, les charges d’asséeurs et de collecteurs avaient la particularité d’être peu convoitées : en effet, jamais au cours de l’ancien régime, le consentement à l’impôt royal ne sera gagné nulle part, ce qui implique à chaque répartition de la taille, une dure négociation qui peut entraîner bien des inimitiés :
" Les deux fonctions ont été distinctes jusqu'au début du XVIIe siècle.
Tous les habitants de la paroisse ne sont pas astreints à la collecte. Outre les privilégiés et les receveurs de deniers royaux, sont exemptés les médecins, pour la raison «qu'auprès d'un malade la présence d'un médecin-collecteur le saisirait et redoublerait son mal », les septuagénaires, les indigents, les domestiques et à certains moments tous ceux à qui ce privilège a été accordé par l'édit de création de leur charge, tels que greffiers des rôles, jurés, crieurs aux enterrements, courtiers en vins, contrôleurs des exploits, arpenteurs, etc., dont l'exemption a été souvent suspendue.
Le nombre des collecteurs croît avec la somme d'impôt à payer par la paroisse. Au XVIIe siècle ils étaient trois pour les paroisses imposées à une somme inférieure à 1 500 livres, cinq pour celles qui étaient comprises entre 1 500 et 2 000, sept pour les autres (3). Au XVIIIe siècle ils sont quatre si la somme est comprise entre 900 et 1 500 livres, huit au-dessus. Dans les élections de Condom et d'Agen on trouve un collecteur principal dans chaque chef lieu de juridiction et deux collecteurs particuliers dans chaque paroisse, dont les consuls doivent remettre les noms au receveur des tailles, sous peine de 50 livres d'amende, avant le Ier novembre. Dans quelques villes les édits de mars 1702, octobre 1703, juillet 1707 ont créé des syndics perpétuels, anciens, alternatifs et triennaux qui sont en même temps greffiers des rôles, pour faire procéder à la nomination ; dans celles où ils n'existent pas ce sont les maires, procureurs, consuls ou échevins, ou autres officiers «qui par leur charge ont voix délibérative aux assemblées des villes » qui en sont chargés.
Il peut se faire que les habitants de la paroisse refusent de tenir l'assemblée ou de désigner les collecteurs, ou bien encore qu'ils désignent des collecteurs insolvables. Dans ce cas les élus pouvaient autrefois prononcer un jugement de «solidité » contre les principaux notables en les rendant responsables sur leur fortune de la somme de taille due par la paroisse. L,a Déclaration du g août 1723 a précisé et adouci la mesure en ordonnant au procureur de l'élection de dresser un état portant le nom du syndic et «de dix des plus anciens habitants de la paroisse portant 20 livres de taille et au-dessus sur le pied des rôles de l'année courante », à charge pour l'intendant et les officiers de l'élection de «choisir dans le nombre... les plus hauts en taille pour faire la fonction de collecteurs et de les nommer d'office »
(Source : Christian Ambrosi, « Aperçus sur la répartition et la perception de la taille au XVIIIe siècle", Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1961, consultable sur persee.fr)
Pour aller plus loin :
- Les institutions de la France moderne [Livre] : XVe-XVIIIe siècle / Laurent Avezou
- Lexique historique de la France d'Ancien Régime [Livre] / Guy Cabourdin, Georges Viard
- Le village sous l'Ancien Régime [Livre] / Antoine Follain
- La France du XVIIe siècle [Livre] : puissance de l'Etat, contrôle de la société [Livre] / Lucien Bély
- L'Ancien régime [Livre] : institutions et société / François Bluche
Bonne journée.
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