Grippe de Hong-Kong : quel impact en région lyonnaise ?

Réponse de la Documentation régionale

Bonjour,

Un article publié en avril dernier dans le contexte de la pandémie du Covid 19 sur l’Influx, le magazine numérique de notre Bibliothèque, fait état de la longue histoire des épidémies. Concernant les grippes asiatiques qui ont touché le monde de 1955 à 1970, celle de Hong Kong qui commence en 1968 aura fait plus d’un million de morts, dont 35 000 en France, essentiellement pendant l’hiver 1969-1970, soit deux à trois fois la mortalité de la grippe saisonnière.

Le traitement de cette crise sanitaire dans les médias de l’époque est quasi inexistant par rapport à aujourd’hui. Plusieurs documentaires publiés en ligne au moment du confinement (avril 2020) en attestent :
- l’article Quand l’Europe se moquait des épidémies du journal suisse Le Temps
- le podcast Grippe de Hongkong en 1968 : pourquoi on l’a tous oubliée du Monde

Les archives de la rédaction du Monde présentent un climat plutôt calme alors que la grippe de Hong Kong sévit. On ne traite alors le phénomène que sous l’angle de conseils pratiques ; on cherche à éviter la psychose. La population est donc sous-informée.


Cet état de fait d’une pandémie de grippe dont on ne parle pas à l’époque se confirme également localement en effectuant un sondage dans les pages du Progrès des mois de novembre-décembre 1969 et de janvier 1970. Les deux pages de rétrospective de l’année 1969 ne font aucunement mention de ce problème épidémique ; la Rubrique « Problèmes d’aujourd’hui » non plus.
Finalement, nous avons trouvé un seul article sur cette grippe dans le Progrès du 3 janvier 1970 après que le pic de l’épidémie ait été atteint (25000 morts en France pour le mois de décembre 1969) avec un journaliste qui se demande alors s’il faut faire le lien entre « cette mystérieuse pandémie de grippe d’origine asiatique » et une rubrique nécrologique qui s’amplifie de jours en jours dans le journal. Ce dernier interview le professeur Roger Sohier, bactériologue, virologue et immunologue de la faculté de médecine de Lyon, directeur du Centre national de la grippe de l’Organisation Mondiale de la Santé à Lyon. En voici quelques extraits :
Concernant le nombre de décès en nette augmentation dans les colonnes du journal, il n’est pas douteux qu’une épidémie de grippe a sévi récemment en France mais elle n’a pas été très importante et les chiffres avancés de 50% d’atteints dans différents journaux n’ont pas été atteints. Il est certain que les personnes âgées paient un plus lourd tribu. Mais il n’est pas possible de dire actuellement si le nombre élève de décès est dû exclusivement à la grippe.
La grippe due au virus de Hong Kong avait déjà sévi en France en février et mars 1969 mais l’épidémie avait été peu importante pour des raisons qu’il n’a pas été possible de préciser. On pouvait craindre qu’une nouvelle poussée de grippe ait lieu : c’est ce qui s’est passé en France à partir de la mi-novembre […]. L’épidémie est actuellement en notable régression dans toute la France.
Le centre de Lyon depuis 12 ans effectue une enquête sérologique continue qui lui a permis de dépister les premiers cas de grippe. C’est ainsi que cette année, dès le 23 novembre on a pu identifier un cas de grippe provenant d’Espagne où la grippe sévit depuis octobre. La première souche de virus vérifiée en France l’a été à Lyon le 5 décembre. A ce jour, 24 souches de virus ont pu être identifiées et sont toutes semblables au virus Hong Kong 1968.

Dans le podcast du Monde précité, on apprend qu’à Lyon, on vaccinait dans les rues, dans les universités et qu’il y avait pénurie de vaccins dans les pharmacies. Un vaccin qui n’avait d’ailleurs que 30% d’efficacité car la souche du virus H3N2 n’avait pas été incluse par Pasteur, ni Mérieux.

Au final, ni les médias, ni les politiques ne se sont intéressés à cette grippe. A l’époque, il n’y a pas encore de politique de santé publique. Seuls les professionnels de santé ont dû y faire face.

Nous avons également effectué des recherches dans les bulletins municipaux officiels de Lyon sans trouver d’annonces judiciaires et légales, ni d’arrêtés préfectoraux ou municipaux présentant des mesures locales pour endiguer l’épidémie. On peut donc sûrement en conclure que les autorités réagissent peu, craignant sûrement à l’époque plus la psychose collective que l’épidémie.


Enfin, cette illustration trouvée dans une série de dessins humoristiques proposés en fin d’année 1969 dans le Progrès du 28 décembre nous laisse penser que la société a adopté quand même des mesures barrière pour éviter la contagion chez la population âgée la plus durement touchée par l’épidémie : "Bonne année, bonne santé mais on ne s'embrasse pas !"


NB : Un complément d'informations sera apporté par le Département Société dans un prochain post

Complément du Département Société :

L’article Wikipédia, nous apprend qu’"En France, il faut attendre 2003 avec les recherches de l'épidémiologiste Antoine Flahault pour connaitre le nombre de victimes en France : 31 226 morts en deux mois. Cet important bilan est en partie dû à un manque de vaccin. Dès septembre 1968, l'institut Pasteur isolait la souche virale responsable, mais il fera l'impasse sur son introduction dans la composition du vaccin antigrippal, réduisant son efficacité. Il a aussi été produit en quantité insuffisante, la vaccination antigrippale dans la population étant peu répandue. Patrice Bourdelais remarque que « c’est à partir de ce moment-là qu’une politique systématique d’encouragement à la vaccination [contre la grippe] de la population âgée s’est mise en place ».

Cet article confirme que l'épidémie a été sous-estimée par les médias en France.

Selon l'historien et démographe Patrice Bourdelais, cela s'explique par "le fait que de nombreux sujets « occupent l'agenda médiatique et politique », tels que « l'après-68 », l'arrivée au pouvoir de Georges Pompidou, et la guerre du Biafra qui suscite l'intérêt des médias pour l'épidémie et la famine qui y ont cours ; mais aussi par un « optimisme global » dans le contexte des Trente Glorieuses à travers une « idéologie de victoire renouvelée des antibiotiques » et une « culture du progrès qui fait qu'on n'est pas très inquiets ».

« Cette absence de médiatisation immédiate s’explique par l’absence des réseaux sociaux et de statistiques immédiates, mais aussi par l'espérance de vie de l'époque où la mort des personnes âgées de plus de 65 ans était socialement acceptée comme « naturelle ».

C’est d’ailleurs à partir de 1970, après l’épisode de Hong Kong, qu’ont commencé à se mettre en place les premières politiques publiques de vaccination contre la grippe.

Ces éléments sont confirmés par l’article « De la longue histoire des épidémies au Covid-19 » de Jean-Paul Sardon, publié par Les analyses de Population et avenir en août 2020 (N°26) et consultable à la BmL sur le portail Cairn.

Selon l’auteur,« Considérée comme la première pandémie de l’ère moderne, celle des transports aériens rapides, elle fut, en effet, accélérée par la multiplication des voyages en avion. Cette épidémie suscita une forte mobilisation internationale, coordonnée par l’OMS et marquera les débuts des premiers vaccins antigrippaux efficaces, dès novembre 1968.
Avec 1 million de morts, la grippe de Hong Kong fut la troisième épidémie de grippe la plus meurtrière du XXe siècle, après la grippe espagnole (20-100 millions) et la grippe asiatique (3-4 millions). »

En complément :

Un article du journal Libération de la journaliste Corinne Bensimon (7/12/2005)

Un article de Chloé Maurel, Chercheuse associée à l'Institut d'histoire moderne et contemporaine (Ecole Normale Supérieure, CNRS, Université Paris 1), École normale supérieure – PSL, publié le 21/04/2020 dans Sud Ouest.

Un article de Sud Ouest par Stéphane Barry, docteur en histoire, directeur des éditions Memoring et Marie Fauré, historienne et archéologue, publié le 04/05/2020.

Un document de l’OMS.

Le site de Santé publique France.