Question d'origine :
Bonjour, les mots écrou (vis/écrou) et écrouer (emprisonner) ont-ils une origine commune? Si oui, quel est-il? Merci, Véronique DANO
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 08/10/2020 à 14h22
Bonjour,
D’après le Dictionnaire historique de la langue française, le mot « écrou » désignant une pièce de métal, de bois, etc… percée d’un trou fileté dans lequel s’engage une vis est issu du latin scrofa « truie », qui a sans doute pris en bas latin, par une métaphore sur la vulve de la truie, le sens d’« écrou ».
Or ce n’est pas à cet « écrou » là qu’est lié le verbe « écrouer » mais à son homonyme, dont l’étymologie ne remonte pas au latin, mais au francique skrôda signifiant « lambeau, morceau coupé » (cf moyen néerlandais schrode) :
« Ecrou a désigné dans son premier emploi une bande de parchemin, d’où (1611, écroue) écroues de la maison du roi « états de dépense », rare après le XVIIIe s., maintenant terme d’histoire.
Il se dit ensuite (1499, escroue, f., 1611 ; escrou, m.) pour « registre de prisonniers » ; de cet emploi, disparu (aujourd’hui, registre d’écrou, 1564), vient en droit le sens (XVIIe s.) d’ « acte constatant qu’un individu a été remis à un directeur de prison » ; le mot s’emploie dans les locutions ordre d’écrou « ordre d’incarcération » et levée d’écrou « élargissement d’un prisonnier », locution la plus courante.
Ecrouer v. tr. S’est d’abord employé au sens de « mettre en pièces (qqch.) » (XIIIe s., escroer). / Terme de droit (1642) pour « inscrire sur le registre d’écrou », le verbe s’emploie par extension au sens d’ « emprisonner » (1823). »
Toutefois dans son article Un écrit de gestion au service de la propagande ducale ? Les écrous de la dépense des ducs de Bourgogne (fin XIVe – fin XVe siècle), Yann Morel propose une autre hypothèse :
« L’examen diplomatique, complété par une rapide enquête linguistique, contribue à cerner la nature du document désigné par le terme écrou à la fin du Moyen Âge. Le mot « escroe » est attesté en français dès la fin du XIIe siècle, d’abord comme synonyme de « déchirure, lambeau, morceau, bande », en particulier pour désigner un « morceau de parchemin », ou un « morceau d’étoffe », d’où est issu le moderne « registre d’écrou ». A partir du XIIIe siècle il est également employé au sens d’une pièce percée d’un trou, notamment destinée à accueillir une vis. Les lexicographes ont fait dériver l’origine de la première acception d’un hypothétique terme francique, « skrôda », désignant un « morceau coupé », et le second du bas latin « scrofa », la truie ou la vulve. Cependant le terme écrou pourrait remonter au latin classique « scrobis », en usage dès l’Antiquité pour indiquer un trou.
Plutôt que de chercher à rattacher les écrous à un type documentaire connu (rôle, rouleau), il faut probablement les considérer comme des documents spécifiques, d’abord caractérisés par leur forme particulière – un morceau de parchemin que l’on aura découpé puis percé d’un trou en vue de sa conservation – comme l’atteste l’étymologie. Que l’auteur anonyme d’un dictionnaire latin-français rédigé au XVe siècle donne « escroe » comme équivalent à « cedula », la cédule, vocable lui aussi apparu en français au XIIe siècle pour indiquer un feuillet, une bande de papyrus58, ne fait que confirmer l’importance de la dimension matérielle dans la définition du document. C’est donc la forme qui a d’abord donné aux écrous à la fois leur nom et leur identité, toute adaptée qu’elle était à accueillir une plus ou moins longue liste énumérative.
Dans leur utilité pratique, on attribuait aux écrous la fonction de donner un « état » des dépenses quotidiennes. Maints historiens ont justement parlé d’« états journaliers » pour les désigner, et un dictionnaire propose comme l’un des sens du terme « escroue », « état de la dépense de bouche de la maison du roi ». L’une des acceptions modernes que Le Petit Robert attribue au mot état rend, je pense, finalement compte de ce que furent les écrous : un « écrit qui constate, décrit un fait, une situation, à un moment donné ». On pourrait ainsi définir les écrous – de gages comme de dépenses – de la maison de Bourgogne comme des morceaux de parchemin découpés et percés d’un trou, attestant une liste prévisionnelle de dépenses à effectuer, auquel la signature des maîtres d’hôtel conférait valeur de preuve. »
Quelques ressources à consulter en ligne :
- écrou 1 et écrou 2 sur le site du Trésor de la Langue Française informatisé
- Cnrtl
- Wiktionnaire
Bonne journée.
D’après le Dictionnaire historique de la langue française, le mot « écrou » désignant une pièce de métal, de bois, etc… percée d’un trou fileté dans lequel s’engage une vis est issu du latin scrofa « truie », qui a sans doute pris en bas latin, par une métaphore sur la vulve de la truie, le sens d’« écrou ».
Or ce n’est pas à cet « écrou » là qu’est lié le verbe « écrouer » mais à son homonyme, dont l’étymologie ne remonte pas au latin, mais au francique skrôda signifiant « lambeau, morceau coupé » (cf moyen néerlandais schrode) :
« Ecrou a désigné dans son premier emploi une bande de parchemin, d’où (1611, écroue) écroues de la maison du roi « états de dépense », rare après le XVIIIe s., maintenant terme d’histoire.
Il se dit ensuite (1499, escroue, f., 1611 ; escrou, m.) pour « registre de prisonniers » ; de cet emploi, disparu (aujourd’hui, registre d’écrou, 1564), vient en droit le sens (XVIIe s.) d’ « acte constatant qu’un individu a été remis à un directeur de prison » ; le mot s’emploie dans les locutions ordre d’écrou « ordre d’incarcération » et levée d’écrou « élargissement d’un prisonnier », locution la plus courante.
Ecrouer v. tr. S’est d’abord employé au sens de « mettre en pièces (qqch.) » (XIIIe s., escroer). / Terme de droit (1642) pour « inscrire sur le registre d’écrou », le verbe s’emploie par extension au sens d’ « emprisonner » (1823). »
Toutefois dans son article Un écrit de gestion au service de la propagande ducale ? Les écrous de la dépense des ducs de Bourgogne (fin XIVe – fin XVe siècle), Yann Morel propose une autre hypothèse :
« L’examen diplomatique, complété par une rapide enquête linguistique, contribue à cerner la nature du document désigné par le terme écrou à la fin du Moyen Âge. Le mot « escroe » est attesté en français dès la fin du XIIe siècle, d’abord comme synonyme de « déchirure, lambeau, morceau, bande », en particulier pour désigner un « morceau de parchemin », ou un « morceau d’étoffe », d’où est issu le moderne « registre d’écrou ». A partir du XIIIe siècle il est également employé au sens d’une pièce percée d’un trou, notamment destinée à accueillir une vis. Les lexicographes ont fait dériver l’origine de la première acception d’un hypothétique terme francique, « skrôda », désignant un « morceau coupé », et le second du bas latin « scrofa », la truie ou la vulve. Cependant le terme écrou pourrait remonter au latin classique « scrobis », en usage dès l’Antiquité pour indiquer un trou.
Plutôt que de chercher à rattacher les écrous à un type documentaire connu (rôle, rouleau), il faut probablement les considérer comme des documents spécifiques, d’abord caractérisés par leur forme particulière – un morceau de parchemin que l’on aura découpé puis percé d’un trou en vue de sa conservation – comme l’atteste l’étymologie. Que l’auteur anonyme d’un dictionnaire latin-français rédigé au XVe siècle donne « escroe » comme équivalent à « cedula », la cédule, vocable lui aussi apparu en français au XIIe siècle pour indiquer un feuillet, une bande de papyrus58, ne fait que confirmer l’importance de la dimension matérielle dans la définition du document. C’est donc la forme qui a d’abord donné aux écrous à la fois leur nom et leur identité, toute adaptée qu’elle était à accueillir une plus ou moins longue liste énumérative.
Dans leur utilité pratique, on attribuait aux écrous la fonction de donner un « état » des dépenses quotidiennes. Maints historiens ont justement parlé d’« états journaliers » pour les désigner, et un dictionnaire propose comme l’un des sens du terme « escroue », « état de la dépense de bouche de la maison du roi ». L’une des acceptions modernes que Le Petit Robert attribue au mot état rend, je pense, finalement compte de ce que furent les écrous : un « écrit qui constate, décrit un fait, une situation, à un moment donné ». On pourrait ainsi définir les écrous – de gages comme de dépenses – de la maison de Bourgogne comme des morceaux de parchemin découpés et percés d’un trou, attestant une liste prévisionnelle de dépenses à effectuer, auquel la signature des maîtres d’hôtel conférait valeur de preuve. »
- écrou 1 et écrou 2 sur le site du Trésor de la Langue Française informatisé
- Cnrtl
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