Question d'origine :
Mesdames, Messieurs,
Il est couramment admis qu'avant 1789 en France, les gens se comprenaient mal. D'une province à une l'autre, d'un canton à un autre voire d'un village à un autre les mots d'avaient pas toujours la même signification.
La révolution de 1789, le Directoire, le Consulat et l'Empire ont cherché à uniformiser, normaliser.
Y-a-t-il un texte court et clair d'un personnage de l'époque qui expliquerait le travail engagé ?
Bien cordialement.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 03/11/2020 à 12h55
Bonjour,
Pour répondre à votre question, intéressons-nous d'abord à la formation de la langue française, à l'origine la variété dialectale de la langue d'oïl parlée à Paris. Voici un court résumé de l'évolution de la langue par Futura sciences :
"Lalangue d'oïl est une langue gallo-romane qui s'est développée dans la partie nord de la France , le sud de la Belgique et les îles anglo-normandes. Elle englobe alors différents dialectes cousins (français, orléanais, bourguignon-morvandiau, champenois, lorrain roman, picard, wallon, normand, gallo, angevin, tourangeau, sarthois, mayennais, percheron, franc-comtois, poitevin, saintongeais, berrichon, bourbonnais). Ce groupe linguistique du nord a conservé un important substrat celtique et subi une grande influence des parlers germaniques. D'un dialecte d'oïl à l'autre, on parvient à se comprendre grâce à l'écrit administratif. A Paris (aux XIe-XIIe siècles), on parle un français « poreux » à tous ces dialectes, qui devient une référence linguistique au XIVe siècle, parce que la ville est désormais la capitale politique et administrative du royaume.
[...]
Le français, lorsqu'il devient la langue privilégiée par le roi , va se substituer progressivement aux autres langues vernaculaires du royaume. Dans la France méridionale romane, la langue française pénètre assez lentement : introduite vers 1250 dans le Dauphiné, elle déborde sur les terres de l’Empire germanique dès la fin du XIIIe siècle (Suisse romande, Savoie et Val d'Aoste) et s'impose à Lyon au XVe siècle. Dans le domaine d'oc, la pénétration du français juridique ne débute pas avec la croisade des Albigeois. Elle est tardive et progressive : présent après 1350 en Auvergne et Limousin, le français s'impose dans le Languedoc et en Provence après 1450. Au début du XVIe siècle, seuls les Pyrénées maintiennent une production écrite exclusivement en langue occitane ; cependant dans le domaine d'oc, le rôle de la langue du roi est encore limité car le latin et les langues vernaculaires locales coexistent avec le français écrit.
Au XIVe siècle, le français devient la langue de l'administration royale au niveau local des bailliages et des sénéchaussées, puis au niveau central de la Chancellerie et du Parlement, jusqu'à supplanter le latin après l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. 40 % des mots figurant dans nos dictionnaires, ont été forgés entre le XIVe et le XVIe siècle : c'est la période du « moyen français ». L'émergence d'une forme linguistique standardisée, le français actuel, ne s'effectue pas avant le XVIIe siècle, avec la création de l’Académie Française .""
C'est à peu près dans cet état de langue(s) que se trouve la France à la fin du XVIIIe siècle. Un article de L'Express, bien que politiquement assez orienté, répond bien à votre question, par la voix de plusieurs personnages de l'époque charnière pour la langue française que fut la période comprise entre 1789 et 1882. Aux deux extrémités de cette période, vous rencontrerez deux grands républicains, ardents défenseurs de l'imposition du français à tous les citoyens : l'abbé Grégoire et Jules Ferry.
"Le Français le plus célèbre du monde n'est pas connu sous son vrai nom. Napoléon est en effet né Napoleone di Buonaparte. Mais voilà : en France, on "parisianise" les noms de famille. C'est ainsi : dans notre beau pays, les rapports entre la langue et l'Etat sont particuliers.Il est vrai que, dans la lente apparition de notre Etat-nation, la langue a toujours constitué un enjeu majeur. Pour une raison simple à comprendre : chez nous, l'unité politique a précédé l'unité linguistique, ce qui n'est pas le cas de l'Allemagne ou de l'Italie.
Pour ne rien arranger, l'idéologie s'en est mêlée.Les révolutionnaires se sont persuadés que la pensée nouvelle ne pouvait s'exprimer qu'en français . Dans le même mouvement, ils ont associé l'Ancien Régime aux langues régionales, "des idiomes grossiers qui ne peuvent servir que le fanatisme et les contre-révolutionnaires", selon l'expression du conventionnel Bertrand Barère. Ils ne se sont pas contentés, comme la monarchie, d'instaurer le français comme langue de l'administration. Ils ont considéré qu'il fallait l'imposer au peuple .
L'abbé Grégoire publie ainsi, le 16 prairial an II, son célèbre rapport sur "la nécessité et les moyens d'anéantir les patois" - "anéantir"! -, où il note avec effarement que le français n'est parlé que dans une quinzaine de départements (sur 83). Le terme "patois" est conforme aux préjugés des élites de l'époque, fussent-elles les plus éclairées.
Dans son Encyclopédie,d'Alembert choisit ainsi cette définition : "Patois : langage corrompu tel qu'il se parle dans presque toutes les provinces. On ne parle la langue que dans la capitale." Des a priori qui perdurent aujourd'hui. Qui étudie Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature en 1904 pour une oeuvre écrite en provençal ? Qui connaît le poète languedocien Pierre Goudelin (Pèire Godolin, de son vrai nom), considéré au XVIIe siècle comme l'égal d'Homère et de Ronsard?
Ceci excuse-t-il cela ? La Révolution mène cette politique culturellement criminelle au nom de sentiments nobles. On prétend "élever" le peuple en lui donnant accès à la "meilleure" langue. On entend réduire la fracture entre les masses et la classe supérieure, qui accède aux places et au savoir grâce à sa maîtrise du français.
Quelques esprits marginaux proposent pourtant d'atteindre l'égalité par une autre voie : le français comme langue commune, et non comme langue unique. Ce plurilinguisme sera rejeté au nom de l'unité, confondue avec l'uniformisation. D'où ce paradoxe, souligné par le lexicographeAlain Rey : "La Révolution prétendait donner la parole au peuple. Linguistiquement, elle l'a donnée à la bourgeoisie."
La Révolution sera cependant trop brève pour permettre de traduire les idées de l'abbé Grégoire dans la réalité. Qu'à cela ne tienne : les régimes suivants s'en chargeront. L'Empire d'abord (dans les lycées, créés par Napoléon, le français est seule langue d'éducation). La Restauration, ensuite ("il faut absolument détruire le langage breton", écrit en 1831 le ministre de l'Instruction publique à ses préfets). La République, enfin.
[...]
C'est la IIIe du nom qui, dans ce domaine, se révélera la plus efficace. Là encore,Jules Ferry et ses contemporains agissent avec des sentiments élevés. Tout comme la colonisation prétend "civiliser les races inférieures", l'école publique est censée élever tous les Français au rang de citoyens. Et, en bonne logique républicaine, cet objectif ne saurait être atteint que par le français, seul porteur de valeurs universelles, tandis que les parlers régionaux sont supposés enfermer leurs locuteurs dans un dangereux communautarisme. "
Pour un exemple concret et local, nous vous conseillons vivement la lecture de l'article de Guillaume Nicoulaud, "Quand le français s’est-il imposé en Provence ?", disponible sur contrepoints.org. Cet article a l'avantage de citer des sources datant du premier tiers du XIXè siècle, c'est à dire au beau milieu de ce processus.
Pour aller plus loin, lorsque les bibliothèques auront rouvert, vous pourrez également consulter chez nous :
Histoire de la langue française [Livre] / Jacques Chaurand
Introduction à l'histoire de la langue française [Livre] / Michèle Perret
Mille ans de langue française [Livre] : histoire d'une passion / Alain Rey, Frédéric Duval, Gilles Siouffi
Le français, quelle histoire ! [Livre] : la première biographie de la langue française / Julie Barlow et Jean-Benoît Nadeau
Bonne journée.
Pour répondre à votre question, intéressons-nous d'abord à la formation de la langue française, à l'origine la variété dialectale de la langue d'oïl parlée à Paris. Voici un court résumé de l'évolution de la langue par Futura sciences :
"La
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Au XIVe siècle, le français devient la langue de l'administration royale au niveau local des bailliages et des sénéchaussées, puis au niveau central de la Chancellerie et du Parlement, jusqu'à supplanter le latin après l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. 40 % des mots figurant dans nos dictionnaires, ont été forgés entre le XIVe et le XVIe siècle : c'est la période du « moyen français ».
C'est à peu près dans cet état de langue(s) que se trouve la France à la fin du XVIIIe siècle. Un article de L'Express, bien que politiquement assez orienté, répond bien à votre question, par la voix de plusieurs personnages de l'époque charnière pour la langue française que fut la période comprise entre 1789 et 1882. Aux deux extrémités de cette période, vous rencontrerez deux grands républicains, ardents défenseurs de l'imposition du français à tous les citoyens : l'abbé Grégoire et Jules Ferry.
"Le Français le plus célèbre du monde n'est pas connu sous son vrai nom. Napoléon est en effet né Napoleone di Buonaparte. Mais voilà : en France, on "parisianise" les noms de famille. C'est ainsi : dans notre beau pays, les rapports entre la langue et l'Etat sont particuliers.Il est vrai que, dans la lente apparition de notre Etat-nation, la langue a toujours constitué un enjeu majeur. Pour une raison simple à comprendre : chez nous, l'unité politique a précédé l'unité linguistique, ce qui n'est pas le cas de l'Allemagne ou de l'Italie.
Pour ne rien arranger, l'idéologie s'en est mêlée.
Dans son Encyclopédie,
Ceci excuse-t-il cela ? La Révolution mène cette politique culturellement criminelle au nom de sentiments nobles. On prétend "élever" le peuple en lui donnant accès à la "meilleure" langue. On entend réduire la fracture entre les masses et la classe supérieure, qui accède aux places et au savoir grâce à sa maîtrise du français.
Quelques esprits marginaux proposent pourtant d'atteindre l'égalité par une autre voie : le français comme langue commune, et non comme langue unique. Ce plurilinguisme sera rejeté au nom de l'unité, confondue avec l'uniformisation. D'où ce paradoxe, souligné par le lexicographe
La Révolution sera cependant trop brève pour permettre de traduire les idées de l'abbé Grégoire dans la réalité. Qu'à cela ne tienne : les régimes suivants s'en chargeront. L'Empire d'abord (dans les lycées, créés par Napoléon, le français est seule langue d'éducation). La Restauration, ensuite ("il faut absolument détruire le langage breton", écrit en 1831 le ministre de l'Instruction publique à ses préfets). La République, enfin.
[...]
C'est la IIIe du nom qui, dans ce domaine, se révélera la plus efficace. Là encore,
Pour un exemple concret et local, nous vous conseillons vivement la lecture de l'article de Guillaume Nicoulaud, "Quand le français s’est-il imposé en Provence ?", disponible sur contrepoints.org. Cet article a l'avantage de citer des sources datant du premier tiers du XIXè siècle, c'est à dire au beau milieu de ce processus.
Pour aller plus loin, lorsque les bibliothèques auront rouvert, vous pourrez également consulter chez nous :
Histoire de la langue française [Livre] / Jacques Chaurand
Introduction à l'histoire de la langue française [Livre] / Michèle Perret
Mille ans de langue française [Livre] : histoire d'une passion / Alain Rey, Frédéric Duval, Gilles Siouffi
Le français, quelle histoire ! [Livre] : la première biographie de la langue française / Julie Barlow et Jean-Benoît Nadeau
Bonne journée.
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