Question d'origine :
Bonjour, Je cherche à savoir quelles sont les premières rumeurs documentées dans l'histoire de France, de l'Europe et du monde ? Je vous remercie !
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 05/11/2020 à 11h39
Bonjour,
Pascal Froissart a retracé l'histoire de la rumeur dans son ouvrage intitulé La rumeur : histoires et fantasmes. D'après lui, il s'agit d'un concept récent qui serait né au XIXe siècle avec les travaux de William Stern. Néanmoins, si ce concept est récent, Francis Larran a publié une thèse sur "le bruit public" que l'on pourrait désigner comme la "rumeur" ou "renommée" présente dans la littérature grecque et romaine de l'Antiquité.
" S’il paraît en effet indiscutable que, de tout temps, les êtres humains se sont parlés, il est fallacieux de penser que, toujours, les locuteurs ont conceptualisé la rumeur : le mot tout comme l’idée ont connu des fortunes diverses selon les époques. L’étude lexicographique permet de matérialiser ce décalage entre le phénomène et son concept. Réalisée sur l’une des plus grandes bases de données aléatoires en langue française , l’examen de la fréquence du mot « rumeur » (y compris ses particularismes orthographiques) permet d’observer une évolution relative du terme au cours des trois derniers siècles.
Quasi inexistante jusqu’au milieu du XIXe siècle, la rumeur voit son utilisation croître continuellement jusqu’au XXe siècle. Un tel indice, s’il ne présage en rien l’évolution sémantique du terme, permet en tout cas de s’étonner devant un discours faisant croire en l’immanence du concept. La rumeur est donc un concept historique, et qui plus est, un concept qui n’a jamais été aussi florissant qu’au XXe siècle. " [...]
L’étude des mots montre que la rumeur, au sens actuel du terme, n’a pas une place claire dans le champ sémantique du Moyen Âge français. On lui préfère des mots comme « nouvelle » ou « renommée » . Les médiévistes par exemple se gardent bien d’appliquer linéairement des concepts modernes (la rumeur, au sens actuel du terme) à leur objet d’étude (le champ sémantique du Moyen Âge français). Ils nuancent abondamment.
source : Froissart Pascal, « Historicité de la rumeur. La rupture de 1902 », Hypothèses, 2001/1 (4), p. 315-326.
" C’est oublier, précise le chercheur, que la rumeur telle que nous l’entendons actuellement est un concept récent.« Renommée » ou « nouvelle », « bruit diffus » ou « onde acoustique », la rumeur n’acquiert son sens moderne de parole sociale qu’au XXe siècle quand William Stern, spécialiste de psychologie sociale, l’isole dans un laboratoire . Le concept né alors d’un protocole expérimental discutable qui sera au fondement de la théorisation à venir. Pratiquement ignoré dans les articles qui ont été rédigés depuis (sur quatre-cents articles, seuls huit y font référence), le protocole devient pourtant un invariant des recherches sur la rumeur. Et le rumorisme jouit de l’effet d’imposition symbolique que confère « le transfert des méthodes ou des opérations d’une science plus accomplie ou simplement plus prestigieuse » (Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, pp. 238-239, cité par Pascal Froissart, p. 46).
source : Isabelle Gavillet, « Pascal Froissart, La rumeur. Histoire et fantasmes », Questions de communication [En ligne], 4 | 2003, mis en ligne le 24 mai 2012
Pascal Froissart précise toutefois que des spécialistes de l’Antiquité ont trouvé des traces de la rumeur dans la littérature grecque et romaine, alors qu’il y est question de calomnie ou de réputation. Nous vous renvoyons ainsi à la thèse de Francis Larran publiée aux Presses universitaires du Mirail en 2010 dont l'objet d’analyse est ce qu'il nomme « le bruit public » ; dans le monde grec antique, il se défini comme « tout ce qui est dit et répété par une grande partie de la communauté au sujet d’un événement récent ou de quelqu’un ».
Le bruit qui vole : histoire de la rumeur et de la renommée en Grèce ancienne / Francis Larran
Issu d'une thèse de doctorat, à partir des sources littéraires produites entre la période archaïque et l'époque hellénistique, d'histoire culturelle sur les bruits publics, la rumeur et la renommée, dans le contexte grec. Les sources mobilisables concernent surtout les acteurs politiques majeurs, poètes, artistes ou hommes de lettres mais permettent aussi de saisir les représentations des Anciens.
"L’histoire du vocabulaire des bruits publics s’apprécie à une échelle pluriséculaire. À chaque époque ses propres termes.Le champ lexical de la rumeur et de la renommée se met progressivement en place depuis Homère jusqu’à la fin du ve siècle. Telle est l’œuvre des poètes mais aussi de Thucydide qui l’étoffent sans cesse en introduisant des termes nouveaux . Très divers au milieu de la période classique, il est nettement dominé par des termes poétiques. Kleos occupe alors une place prépondérante, même si son importance a tendance à s’amenuiser au fil des décennies au profit de phèmè et de phatis. À partir du ive siècle, cette tendance à la diversification du vocabulaire s’inverse. Les termes du champ lexical se font, d’une part, moins nombreux. Ainsi les nouveaux vocables désignant la rumeur, tels que rhèma et lalia, sont rares. Les auteurs retiennent principalement phèmè, logos et occasionnellement kleos pour désigner une rumeur ou une renommée. Seuls les poètes alexandrins se démarquent en s’inspirant du champ lexical des poètes archaïques et classiques. D’autre part, phèmè devient le vocable le plus fréquent. Si cette évolution se comprend par la nature des sources conservées, qui sont essentiellement des œuvres en prose, elle s’explique également par la mise en place progressive de la koinè linguistique grecque, qui a tendance à spécialiser les termes."
source : Francis Larran, « De kleos à phèmè. Approche historique de la rumeur et de la renommée dans la littérature grecque ancienne, d’Homère à Polybe », Anabases, 11 | 2010, Online erschienen am: 01 März 2013
Nous ne pourrons malheureusement pas aller plus loin dans nos recherches, car en raison du confinement, nous n’avons plus accès aux ressources de la bibliothèque : pour vous répondre nous devons donc nous contenter des informations trouvées sur internet.
Pour aller plus loin :
- La rumeur : histoires et fantasmes [Livre] / Pascal Froissart
Une analyse originale de la rumeur, que l'auteur classe parmi les fantasmagories auxquelles nous aimons croire. Une critique argumentée de la soi-disant "science de la rumeur".
- La rumeur au Moyen Age : du mépris à la manipulation (Ve-XVe siècle) / sous la direction de Maïté Billoré et Myriam Soria - publié aux Presses universitaires de Rennes
La rumeur est omniprésente au Moyen Age et n’épargne aucun pan de la société entre le Ve et le XVe siècle. Elle a rarement été abordée comme un phénomène de communication entre égaux (chez les élites comme chez les humbles), dans des usages socialement constructifs et révélateurs de craintes. Le mépris affiché par les élites ne suffit pas à faire oublier qu’elle est avant tout un moyen de fédérer.
- La circulation des nouvelles au Moyen Age : XXIVe congrès de la SHMES, Avignon, juin 1993 / Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public
Réflexions sur les modalités de la transmission et sur la vitesse à laquelle les évènements, grands ou petits, pouvaient être connus grâce à des courriers, des voyageurs ou des marchands, dans le monde médiéval. Certaines contributions sont consacrées à la rumeur : sa naissance, sa propagation, son contenu, son rôle...
- Rumeur / Encyclopaedia Universalis
- Francis Larran, « De kleos à phèmè. Approche historique de la rumeur et de la renommée dans la littérature grecque ancienne, d’Homère à Polybe », Anabases, 11 | 2010, Online erschienen am: 01 März 2013
- La Bible & ses lectures / colloque
Bonne journée.
Pascal Froissart a retracé l'histoire de la rumeur dans son ouvrage intitulé La rumeur : histoires et fantasmes. D'après lui, il s'agit d'un concept récent qui serait né au XIXe siècle avec les travaux de William Stern. Néanmoins, si ce concept est récent, Francis Larran a publié une thèse sur "le bruit public" que l'on pourrait désigner comme la "rumeur" ou "renommée" présente dans la littérature grecque et romaine de l'Antiquité.
" S’il paraît en effet indiscutable que, de tout temps, les êtres humains se sont parlés, il est fallacieux de penser que, toujours, les locuteurs ont conceptualisé la rumeur : le mot tout comme l’idée ont connu des fortunes diverses selon les époques. L’étude lexicographique permet de matérialiser ce décalage entre le phénomène et son concept. Réalisée sur l’une des plus grandes bases de données aléatoires en langue française , l’examen de la fréquence du mot « rumeur » (y compris ses particularismes orthographiques) permet d’observer une évolution relative du terme au cours des trois derniers siècles.
source : Froissart Pascal, « Historicité de la rumeur. La rupture de 1902 », Hypothèses, 2001/1 (4), p. 315-326.
" C’est oublier, précise le chercheur, que la rumeur telle que nous l’entendons actuellement est un concept récent.
source : Isabelle Gavillet, « Pascal Froissart, La rumeur. Histoire et fantasmes », Questions de communication [En ligne], 4 | 2003, mis en ligne le 24 mai 2012
Le bruit qui vole : histoire de la rumeur et de la renommée en Grèce ancienne / Francis Larran
Issu d'une thèse de doctorat, à partir des sources littéraires produites entre la période archaïque et l'époque hellénistique, d'histoire culturelle sur les bruits publics, la rumeur et la renommée, dans le contexte grec. Les sources mobilisables concernent surtout les acteurs politiques majeurs, poètes, artistes ou hommes de lettres mais permettent aussi de saisir les représentations des Anciens.
"L’histoire du vocabulaire des bruits publics s’apprécie à une échelle pluriséculaire. À chaque époque ses propres termes.
source : Francis Larran, « De kleos à phèmè. Approche historique de la rumeur et de la renommée dans la littérature grecque ancienne, d’Homère à Polybe », Anabases, 11 | 2010, Online erschienen am: 01 März 2013
Nous ne pourrons malheureusement pas aller plus loin dans nos recherches, car en raison du confinement, nous n’avons plus accès aux ressources de la bibliothèque : pour vous répondre nous devons donc nous contenter des informations trouvées sur internet.
Pour aller plus loin :
- La rumeur : histoires et fantasmes [Livre] / Pascal Froissart
Une analyse originale de la rumeur, que l'auteur classe parmi les fantasmagories auxquelles nous aimons croire. Une critique argumentée de la soi-disant "science de la rumeur".
- La rumeur au Moyen Age : du mépris à la manipulation (Ve-XVe siècle) / sous la direction de Maïté Billoré et Myriam Soria - publié aux Presses universitaires de Rennes
La rumeur est omniprésente au Moyen Age et n’épargne aucun pan de la société entre le Ve et le XVe siècle. Elle a rarement été abordée comme un phénomène de communication entre égaux (chez les élites comme chez les humbles), dans des usages socialement constructifs et révélateurs de craintes. Le mépris affiché par les élites ne suffit pas à faire oublier qu’elle est avant tout un moyen de fédérer.
- La circulation des nouvelles au Moyen Age : XXIVe congrès de la SHMES, Avignon, juin 1993 / Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public
Réflexions sur les modalités de la transmission et sur la vitesse à laquelle les évènements, grands ou petits, pouvaient être connus grâce à des courriers, des voyageurs ou des marchands, dans le monde médiéval. Certaines contributions sont consacrées à la rumeur : sa naissance, sa propagation, son contenu, son rôle...
- Rumeur / Encyclopaedia Universalis
- Francis Larran, « De kleos à phèmè. Approche historique de la rumeur et de la renommée dans la littérature grecque ancienne, d’Homère à Polybe », Anabases, 11 | 2010, Online erschienen am: 01 März 2013
- La Bible & ses lectures / colloque
Bonne journée.
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 13/11/2020 à 11h20
Bonjour,
Nous voici de retour provisoirement à la bibliothèque. Nous complétons ici notre précédente réponse :
La rumeur a été considérée comme « le plus vieux media du monde » dans l’ouvrage de J.-N. Kapferer, Rumeurs. Le plus vieux media du monde (Paris, 1987). Il dit ceci :
"[La rumeur est] le plus ancien des mass media. Avant que n'existe l'écriture, le bouche-à-oreille était le seul canal de communication dans les sociétés. La rumeur véhiculait les nouvelles, faisait et défaisait les réputations, précipitait les émeutes ou les guerres. L'avènement de la presse, puis de la radio et enfin l'explosion de l'audiovisuel ne l'ont pourtant pas éteinte. Malgré les medias, le public continue à tirer une partie de son information du bouche-à-oreille." (page 10)
Kapferer n'est pas le seul à adopter cette position :
"On affirme comme Françoise Reumaux qu'"en avançant dans le temps, on peut associer la rumeur à la parole humaine". Les Américains Ralp Rosnow et Gary Fine semblent répondre en écho que la rumeur est en effet "le sujet de toute conversation humaine depuis que l'humanité a acquis le pouvoir du verbe. La croyance en une rumeur sans passé s'étend également à une certaine consubstantialité avec le langage courant : à tous les instants de nos vies, "une large part de nos conversations ordinaires est constituée de rumeurs", affirment ainsi les psychologues Gordon Allport et Leo Postman. Pour d'autres enfin, Axel Gryspeerdt et Annabelle Klein par exemple, la rumeur procède carrément de la "race humaine", ce qui explique que, malgré les médias et la modernité, elle "continuera à traverser les âges et les lieux comme elle l'a fait jusqu'à nos jours". Quels que soient les auteurs, il semble que l'unanimité soit acquise : la rumeur transcende les modes d'organisation sociale et les modes tout court. "
Comme expliqué dans notre précédente réponse, Pascal Froissart n'adhère pas à ces explications. Pour lui, "il ne suffit pas de constater que la voix et l'ouïe sont des sens utilisés de toute éternité pour conclure que la rumeur est un phénomène intemporel. Il ne suffit pas de chercher dans quelques textes anciens, ou mieux dans l'étymologie, la présence du terme pour admettre la présence de "rumeurs" dans le passé. "
Il a donc mené une étude lexicographique grâce à Frantext pour observer les occurrences des termes de la rumeur au cours des siècles.
Nous vous laissons consulter son travail dans son ouvrage déjà cité La rumeur : histoires et fantasmes.
Voici les références des auteurs cités par Pascal Froissart si vous voulez mener plus loin vos recherches :
- La veuve noire : message et transmission de la rumeur / Françoise Reumaux, Paris, Méridiens Klincksieck, coll. "sociétés, 1996, p.5
- "The psychology of rumor" / Ralph L. Rosnow et Gary A. Fine
- An analysis of rumor / Gordon W. Allport et Leo J. Postman
- La Galaxie des rumeurs / Axel Gryspeerdt et Annabelle Klein
Bonne journée.
Nous voici de retour provisoirement à la bibliothèque. Nous complétons ici notre précédente réponse :
La rumeur a été considérée comme « le plus vieux media du monde » dans l’ouvrage de J.-N. Kapferer, Rumeurs. Le plus vieux media du monde (Paris, 1987). Il dit ceci :
"[La rumeur est] le plus ancien des mass media. Avant que n'existe l'écriture, le bouche-à-oreille était le seul canal de communication dans les sociétés. La rumeur véhiculait les nouvelles, faisait et défaisait les réputations, précipitait les émeutes ou les guerres. L'avènement de la presse, puis de la radio et enfin l'explosion de l'audiovisuel ne l'ont pourtant pas éteinte. Malgré les medias, le public continue à tirer une partie de son information du bouche-à-oreille." (page 10)
Kapferer n'est pas le seul à adopter cette position :
"On affirme comme Françoise Reumaux qu'"en avançant dans le temps, on peut associer la rumeur à la parole humaine". Les Américains Ralp Rosnow et Gary Fine semblent répondre en écho que la rumeur est en effet "le sujet de toute conversation humaine depuis que l'humanité a acquis le pouvoir du verbe. La croyance en une rumeur sans passé s'étend également à une certaine consubstantialité avec le langage courant : à tous les instants de nos vies, "une large part de nos conversations ordinaires est constituée de rumeurs", affirment ainsi les psychologues Gordon Allport et Leo Postman. Pour d'autres enfin, Axel Gryspeerdt et Annabelle Klein par exemple, la rumeur procède carrément de la "race humaine", ce qui explique que, malgré les médias et la modernité, elle "continuera à traverser les âges et les lieux comme elle l'a fait jusqu'à nos jours". Quels que soient les auteurs, il semble que l'unanimité soit acquise : la rumeur transcende les modes d'organisation sociale et les modes tout court. "
Comme expliqué dans notre précédente réponse, Pascal Froissart n'adhère pas à ces explications. Pour lui, "il ne suffit pas de constater que la voix et l'ouïe sont des sens utilisés de toute éternité pour conclure que la rumeur est un phénomène intemporel. Il ne suffit pas de chercher dans quelques textes anciens, ou mieux dans l'étymologie, la présence du terme pour admettre la présence de "rumeurs" dans le passé. "
Il a donc mené une étude lexicographique grâce à Frantext pour observer les occurrences des termes de la rumeur au cours des siècles.
Nous vous laissons consulter son travail dans son ouvrage déjà cité La rumeur : histoires et fantasmes.
Voici les références des auteurs cités par Pascal Froissart si vous voulez mener plus loin vos recherches :
- La veuve noire : message et transmission de la rumeur / Françoise Reumaux, Paris, Méridiens Klincksieck, coll. "sociétés, 1996, p.5
- "The psychology of rumor" / Ralph L. Rosnow et Gary A. Fine
- An analysis of rumor / Gordon W. Allport et Leo J. Postman
- La Galaxie des rumeurs / Axel Gryspeerdt et Annabelle Klein
Bonne journée.
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