Question d'origine :
Quels échos a eu dans le monde russe et dans le monde occidental « La Fin de l'homme rouge » (Svetlana Aleksievitch, 2013) ? Y a-t-il eu des critiques des historiens ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 16/11/2020 à 14h58
Bonjour,
La réponse à votre précédente question sur La fin de l'homme rouge vous a permis déjà de mesurer les échos du livre dans le monde occidental, Vous avez pu constater qu'ils étaient en grande partie favorables.
Les bémols portaient sur l'ensemble de son œuvre plus que sur La fin de l'homme rouge.
Ils concernaient son utilisation des témoignages (voir par exemple Les vrais faux témoins de Svetlana Alexievitch, David Cavigliogli sur BiblioObs, 9/10/2015) ou l'attribution du Prix Nobel :
« Le prix Nobel de littérature vient d’être attribué à la journaliste et écrivaine biélorusse Svetlana Aleksievitch. Un prix plus politique que littéraire. »
Le prix Nobel de littérature décerné à Svetlana Aleksievitch, Nelly Kapriélian, Les Inrocks, 08/10/2015.
De même, les critiques, parfois virulentes, que l'on trouve sur les sites et journaux russes ne s'adresse pas à un ouvrage en particulier mais plutôt aux positions selon beaucoup « russophobes » de l'écrivaine.
En lisant avec soin la page Svetlana Alexievitch La fin de l'homme rouge : ou le temps du désenchantement ~ Articles et interviews dans la presse imprimée, à la télévision, à la radio, sur Voix au chapitre, vous avez déjà un aperçu de l'accueil évidemment plus contrasté qui lui a été fait en Russie.
« Un accueil russe mitigé :
Je raconte à la romancière qu'à la Maison du livre de Moscou (la librairie la plus grande et la plus célèbre de la ville, sur l'avenue Novy Arbat), au rayon le plus prestigieux de ce magasin gigantesque, j'ai trouvé les œuvres complètes de Vladimir Medinski, le ministre de la Culture de Russie, une série d'ouvrages de propagande sur les origines et le modèle de l'État russe tirés à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Dans cette même librairie, les œuvres de mon interlocutrice, Svetlana Alexiévitch, le nouveau prix Nobel, n'occupaient qu'un coin discret, comme rescapées d'un naufrage. C'était une illustration parfaite de sa situation actuelle. Cela se passait de mots. Ni Vladimir Poutine, le président russe, ni le ministre-écrivain Vladimir Medinski ne l'ont félicitée, alors que Poutine a quand même trouvé le temps, au même moment, de féliciter trois représentants de la culture d'État, dont un Arménien, pour leur anniversaire. « Ça ne m'affecte pas beaucoup. L'écrivain russe est habitué depuis longtemps à vivre dans l'opposition », affirme-t-elle. Avant de nuancer : « Par ailleurs, je n'ai pas dit le quart des idioties primitives qui me sont attribuées. On raconte qu'à Saint-Pétersbourg (la ville natale de Poutine et de son groupe d'influence politique, NDLR), il y a une usine de trolls chargés de déformer les choses. Que peut-on opposer à tout cela ? » Les réactions des autres intellectuels russes à l'attribution du Nobel à Svetlana ne sont pas non plus très flatteuses, »
“Svetlana Alexiévitch”, Le Soir, Belgique, 5 décembre 2015, Pila Bonet (EL PAIS)
« Quand on m’a attribué le prix Nobel, la presse russe m’a immédiatement qualifiée de russophobe, de » bandéroviste » [nationaliste ukrainien ayant combattu aux côtés des nazis]. »
Svetlana Alexievitch : « La liberté, c’est un travail long et pénible », Le Monde, 7 novembre 2015, propos recueillis par Julie Clarini et Benoît Vitkine
Pour en avoir davantage d'aperçus, on peut lire les nombreux liens vers des critiques russes de
Svetlana Alexievitch, le nobel qui fait enrager la Russie , France info, Là aussi il ne s'agit pas vraiment de critiques argumentées sur son dernier ouvrage, mais plutôt d'attaques contre ses positions politiques ou sa valeur littéraire.
Dans le paragraphe Critiques, Wikipedia, article Svetlana Aleksievitch, on peut lire :
« La critique russe apprécie de différentes manières l'œuvre de Svetlana Alexievitch. Certains la désignent comme « un maître de la prose documentaire artistique », d'autres caractérisent son œuvre comme du « journalisme spéculatif de tendance ». (Voir aussi les autres critiques, y compris occidentales, ici mentionnées).
Voir aussi l'annonce de son prix Nobel sur Sputniknews,com, agence de presse lancée par le gouvernement russe.
Enfin, une critique plus positive :
Dans la revue littéraire russe Droujba Narodov (n° 10, 2013), paraît « Le socialisme a disparu, mais nous sommes toujours là », conversation avec Svetlana Alexievitch, un entretien avec Natalia Igrounova,
Ou très politique mais moins gouvernementale, sur le site de la Revue publiée sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale :
L'éternelle chasse à l'homme rouge, Ilya Budraitskis, sur inprecor,fr.
Au fil de toutes ces recherches, il apparaît que la réception de La fin de l'homme rouge, et plus largement de l'oeuvre de Svetlana Aleksievitch a suscité bien plus de critiques littéraires, du fait de son utitlisation de la non fiction (Svetlana Alexievitch. La littérature au-delà de la littérature) ou politiques, du fait de ses prises de position et de la situation géopolitique, que proprement historiques. Elle se défend d'ailleurs de faire une histoire des faits, mais plutôt une histoire des âmes.
Voici cependant quelques liens qui portent une vision plus historique :
La question préalable des sources de la série Apocalypse Staline sur France 2, paragraphe Svetlana Aleksievitch, conseillère en « témoignages », par Annie Lacroix-Riz, historienne par ailleurs elle-même très controversée,
Svetlana Alexievitch, Tchernobyl et l’histoire orale des catastrophes soviétiques, Tatiana Kasperski, docteur en Sciences politiques, dans Ecrire l'histoire (voir surtout les paragraphes 11, 12 et 13), où vous trouverez par ailleurs d'autres références de critiques russes.
Staline avec nous, Georges Nivat, historien des idées, Le Débat, 2016/3 (n°190), qui replace les œuvres de Svetlana Alexievitch dans le cadre plus large du statut de l'histoire en Russie.
La littérature manifestement, Philippe Artières, Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2018/2 (n°65/2)
Portrait of the author as an historian : Svetlana Alexievitch, Alexander Lee, History Today, 67/6, Juin 2017
Alexievich's new kind of history, Orlando Figes, The New York Review, 13 octobre 2016
Pour aller plus loin :
Histoire, littérature, témoignages : écrire les malheurs du temps, Christian Jouhaud, Dinah Ribard, Nicolas Schapira
Un nouvel âge de l'enquête, Laurent Demanze
Bonnes lectures !
La réponse à votre précédente question sur La fin de l'homme rouge vous a permis déjà de mesurer les échos du livre dans le monde occidental, Vous avez pu constater qu'ils étaient en grande partie favorables.
Les bémols portaient sur l'ensemble de son œuvre plus que sur La fin de l'homme rouge.
Ils concernaient son utilisation des témoignages (voir par exemple Les vrais faux témoins de Svetlana Alexievitch, David Cavigliogli sur BiblioObs, 9/10/2015) ou l'attribution du Prix Nobel :
« Le prix Nobel de littérature vient d’être attribué à la journaliste et écrivaine biélorusse Svetlana Aleksievitch. Un prix plus politique que littéraire. »
Le prix Nobel de littérature décerné à Svetlana Aleksievitch, Nelly Kapriélian, Les Inrocks, 08/10/2015.
De même, les critiques, parfois virulentes, que l'on trouve sur les sites et journaux russes ne s'adresse pas à un ouvrage en particulier mais plutôt aux positions selon beaucoup « russophobes » de l'écrivaine.
En lisant avec soin la page Svetlana Alexievitch La fin de l'homme rouge : ou le temps du désenchantement ~ Articles et interviews dans la presse imprimée, à la télévision, à la radio, sur Voix au chapitre, vous avez déjà un aperçu de l'accueil évidemment plus contrasté qui lui a été fait en Russie.
« Un accueil russe mitigé :
Je raconte à la romancière qu'à la Maison du livre de Moscou (la librairie la plus grande et la plus célèbre de la ville, sur l'avenue Novy Arbat), au rayon le plus prestigieux de ce magasin gigantesque, j'ai trouvé les œuvres complètes de Vladimir Medinski, le ministre de la Culture de Russie, une série d'ouvrages de propagande sur les origines et le modèle de l'État russe tirés à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Dans cette même librairie, les œuvres de mon interlocutrice, Svetlana Alexiévitch, le nouveau prix Nobel, n'occupaient qu'un coin discret, comme rescapées d'un naufrage. C'était une illustration parfaite de sa situation actuelle. Cela se passait de mots. Ni Vladimir Poutine, le président russe, ni le ministre-écrivain Vladimir Medinski ne l'ont félicitée, alors que Poutine a quand même trouvé le temps, au même moment, de féliciter trois représentants de la culture d'État, dont un Arménien, pour leur anniversaire. « Ça ne m'affecte pas beaucoup. L'écrivain russe est habitué depuis longtemps à vivre dans l'opposition », affirme-t-elle. Avant de nuancer : « Par ailleurs, je n'ai pas dit le quart des idioties primitives qui me sont attribuées. On raconte qu'à Saint-Pétersbourg (la ville natale de Poutine et de son groupe d'influence politique, NDLR), il y a une usine de trolls chargés de déformer les choses. Que peut-on opposer à tout cela ? » Les réactions des autres intellectuels russes à l'attribution du Nobel à Svetlana ne sont pas non plus très flatteuses, »
“Svetlana Alexiévitch”, Le Soir, Belgique, 5 décembre 2015, Pila Bonet (EL PAIS)
« Quand on m’a attribué le prix Nobel, la presse russe m’a immédiatement qualifiée de russophobe, de » bandéroviste » [nationaliste ukrainien ayant combattu aux côtés des nazis]. »
Svetlana Alexievitch : « La liberté, c’est un travail long et pénible », Le Monde, 7 novembre 2015, propos recueillis par Julie Clarini et Benoît Vitkine
Pour en avoir davantage d'aperçus, on peut lire les nombreux liens vers des critiques russes de
Svetlana Alexievitch, le nobel qui fait enrager la Russie , France info, Là aussi il ne s'agit pas vraiment de critiques argumentées sur son dernier ouvrage, mais plutôt d'attaques contre ses positions politiques ou sa valeur littéraire.
Dans le paragraphe Critiques, Wikipedia, article Svetlana Aleksievitch, on peut lire :
« La critique russe apprécie de différentes manières l'œuvre de Svetlana Alexievitch. Certains la désignent comme « un maître de la prose documentaire artistique », d'autres caractérisent son œuvre comme du « journalisme spéculatif de tendance ». (Voir aussi les autres critiques, y compris occidentales, ici mentionnées).
Voir aussi l'annonce de son prix Nobel sur Sputniknews,com, agence de presse lancée par le gouvernement russe.
Enfin, une critique plus positive :
Dans la revue littéraire russe Droujba Narodov (n° 10, 2013), paraît « Le socialisme a disparu, mais nous sommes toujours là », conversation avec Svetlana Alexievitch, un entretien avec Natalia Igrounova,
Ou très politique mais moins gouvernementale, sur le site de la Revue publiée sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale :
L'éternelle chasse à l'homme rouge, Ilya Budraitskis, sur inprecor,fr.
Au fil de toutes ces recherches, il apparaît que la réception de La fin de l'homme rouge, et plus largement de l'oeuvre de Svetlana Aleksievitch a suscité bien plus de critiques littéraires, du fait de son utitlisation de la non fiction (Svetlana Alexievitch. La littérature au-delà de la littérature) ou politiques, du fait de ses prises de position et de la situation géopolitique, que proprement historiques. Elle se défend d'ailleurs de faire une histoire des faits, mais plutôt une histoire des âmes.
Voici cependant quelques liens qui portent une vision plus historique :
La question préalable des sources de la série Apocalypse Staline sur France 2, paragraphe Svetlana Aleksievitch, conseillère en « témoignages », par Annie Lacroix-Riz, historienne par ailleurs elle-même très controversée,
Svetlana Alexievitch, Tchernobyl et l’histoire orale des catastrophes soviétiques, Tatiana Kasperski, docteur en Sciences politiques, dans Ecrire l'histoire (voir surtout les paragraphes 11, 12 et 13), où vous trouverez par ailleurs d'autres références de critiques russes.
Staline avec nous, Georges Nivat, historien des idées, Le Débat, 2016/3 (n°190), qui replace les œuvres de Svetlana Alexievitch dans le cadre plus large du statut de l'histoire en Russie.
La littérature manifestement, Philippe Artières, Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2018/2 (n°65/2)
Portrait of the author as an historian : Svetlana Alexievitch, Alexander Lee, History Today, 67/6, Juin 2017
Alexievich's new kind of history, Orlando Figes, The New York Review, 13 octobre 2016
Pour aller plus loin :
Histoire, littérature, témoignages : écrire les malheurs du temps, Christian Jouhaud, Dinah Ribard, Nicolas Schapira
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