Question d'origine :
Bonjour, Depuis quand conserve-t-on, protège-t-on, "sauvegarde"-t-on, des oeuvres (dans les bibliothèques, les musées, chez les artistes)? Pouvons-nous estimer tout ce que l'humanité a perdu, que ce soit à cause d'une étourderie (un oubli, une "mauvaise manipe"), d'un drame (guerre, incendies, tremblements de terre...) ou lors d'une destruction volontaire (d'un régime ou de l'artiste lui-même)? Merci beaucoup et bonne journée, monsieur
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 01/12/2020 à 16h31
Votre question renvoie à la notion de patrimoine et celle des collections, d'œuvres d’art en particulier.
Ce qui est conservé ou sauvegardé dans les musées, les bibliothèques est de nature patrimoniale. Il est envisagé dans une perspective de sauvegarde et/de conservation.
Selon le CNRTL, le patrimoine est défini par “Ce qui est transmis à une personne, une collectivité, par les ancêtres, les générations précédentes, et qui est considéré comme un héritage commun.”
“Issu du vocabulaire juridique, le mot « patrimoine » a été utilisé au début des années 1970 pour désigner les productions humaines à caractère artistique que le passé a laissées en héritage et on n'a pas fini d'explorer le contenu du terme dans son acception récente. “
Extrait de la notice sur l’encyclopédie Universalis
La définition du patrimoine a donc fluctué au travers des siècles.
“La notion de « patrimoine » s’est construite au fil du temps et n’est pas close.” selon cet article de Noëlle Balley "Patrimoine(s) De quoi parle-t-on ?".
“ Désignant d'abord les vestiges les plus monumentaux des cultures, la notion de patrimoine s'est progressivement enrichie de nouvelles catégories issues de secteurs d'activités non artistiques, comme le patrimoine industriel, ou de contextes particuliers, comme le patrimoine subaquatique. Aujourd'hui, la notion de patrimoine est une notion ouverte, qui peut développer de nouveaux objets et de nouveaux sens car elle reflète la culture vivante plutôt qu'une image figée du passé. Nous savons depuis une trentaine d'années que nature et culture ne peuvent être séparées dans notre approche du patrimoine afin de rendre compte de la diversité des formes culturelles et particulièrement de celles où s'exprime un lien étroit de l'être humain avec son environnement naturel. […]
Plus récemment, un effort particulier a été porté sur la conceptualisation et la désignation d'une dimension complémentaire du patrimoine […] Le patrimoine immatériel regroupe d'ores et déjà, les actes de création et de représentation (arts du spectacle, rites, évènements festifs, arts plastiques), les processus de transmission (pratiques sociales, savoirs et savoirs-faire traditionnels, croyances et pratiques relatives à la nature) ainsi que les contenus non pérennisés de la créativité (langues et traditions orales). "
In " Qu'est-ce que le patrimoine culturel aujourd'hui ? Les composantes du patrimoine culturel ", Site internet de l'UNESCO.
On remarque dans ce dossier très complet sur l'histoire de la notion de patrimoine que les historiens divergent quant à la naissance de ce concept, soit le début de la réflexion autour de la sauvegarde et de la préservation d’objets investis de valeurs.
On peut tout de même situer le début de la sauvegarde en France et en Occident, cette conscience de conservation d’un patrimoine collectif, pour tous et pour les générations suivantes, à deux périodes différentes selon les historiens : “Krzysztof Pomian situe dans l’Italie de la Renaissance l’origine de la constitution du patrimoine culturel européen, dans les trésors et collections particulières. Jean-Pierre Babelon et André Chastel expliquent, quant à eux, que les prémices de la notion de patrimoine (et donc de la patrimonialisation) relèvent d’abord du « fait religieux » et du « fait monarchique ». Ils expliquent que, si l’on ne peut pas parler de patrimoine au Moyen ge, se développent déjà à cette époque des réflexions sur la sauvegarde et la préservation d’objets investis de valeurs. Ces premiers objets sont les reliques des saints, les regalia, les collections des bibliothèques royales et princières, les archives d’institutions royales et religieuses (abbayes) et les édifices anciens.”
Il convient aussi de noter, dans l’histoire de la conservation des œuvres d’art, le rôle de la constitution de collections particulières. Cette pratique n’est pas datable, comme l’atteste le préambule de cette liste bibliographique éditée par la Bibliothèque nationale de France sur les collections et collectionneurs :
“ Collectionner, cette « forme supérieure de l’instinct de conservation » (Paul Valéry) est vieille comme le monde et produit deux sortes d’adeptes : « celui qui cache ses trésors et celui qui les montre » (Sacha Guitry). Du reste, la seconde posture ouvre les portes des musées enrichis de collections léguées et des expositions dédiées.”
Vous pouvez consulter à ce sujet de nombreux documents, dont :
Une histoire intime des collectionneurs de Philipp Blom
Collections, collectionneurs textes Emmanuel Pierrat
Les collectionneurs 01 [livre] : Du Moyen-Age au XIXe siècle / Pierre Cabanne
"Des pharaons égyptiens et des riches Romains à Pierre Crozat et Mariette, en passant par les Médicis, Isabelle d'Este, Mazarin et Fouquet, un panorama de collections riches et variées et des portraits de celles et ceux qui les ont constituées, par instinct, goût, fortune, désir de posséder et parfois d'accumuler".
L'Empire des masques : Les collectionneurs d'arts premiers aujourd'hui par Rolande Bonnain.
"Réflexion sur ce nouvel engouement pour les arts premiers qui ont souvent été transportés dans les bagages des explorateurs, dans les cabinets de princes curieux, dans les malles des navigateurs, puis chez les ethnologues et artistes avant d'arriver dans des salles de musées. Ce travail conduit naturellement vers une analyse des suites de la décolonisation et de l'engouement patrimonial."Cabinets de curiosités [Livre] : la passion de la collection .
Cette notion de patrimoine permet de comprendre l'étendu de ce que recouvre la notion de patrimoine.
Aussi, compte tenue de cette étendue, il n’est pas possible de quantifier, de mesurer, d’estimer “tout ce que l’humanité a perdu”.
Tout est patrimoine pourrait-on dire.
Une magazine de sport quotidien comme un retable vénitien baroque, le cri d’une chouette effraie comme le carnaval de Rio.
Néanmoins, certains actes de destruction sont si manifestes qu'il est possible de les étudier, en particulier, comme le montre cet article d'Annette Bessette vandalisme sur les œuvres d’art, ou encore les ouvrages suivants :
La destruction de l'art : iconoclasme et vandalisme depuis la Révolution française de Dario Gamboni.
De nombreux ouvrages retracent l’histoire de la destruction, intentionnelle ou non, des œuvres d’art, du patrimoine.
Ce sujet est au cœur des réflexions et des études menés par les théoriciens de l’art, comme le prouve notamment cette conférence tenue au Centre Pompidou en 2015.
Récemment, l’Institut national d’Histoire de l’art a consacré un numéro spécial de sa revue "Détruire" : "Dossier consacré aux actes de destruction touchant les oeuvres dans leurs dimensions matérielle, conceptuelle, symbolique et métaphysique, ainsi qu'aux manières dont l'histoire de l'art peut les penser. Les contributeurs abordent la diversité des motifs sous-tendant ces pratiques, qu'ils soient religieux, rituels, guerriers, polémiques ou ludiques, en interrogeant la mémoire qui en subsiste."
Afin d’approfondir ces éléments de réponse nous vous conseillons les ouvrage suivants, disponibles ou bientôt disponibles la bibliothèque municipale de Lyon :
Avant le musée...exposition, Strasbourg, Musée des Beaux-arts, 20 septembre 2019-20 septembre 2020
L'invention des musées de Roland Schaer
Le musée, une histoire mondiale par Krzysztof Pomian
Du trésor au musée par Krzysztof Pomian
à paraître : L'ancrage européen, 1789-1850
(bientôt disponible)
Le musée impossible : les œuvres d'art qu'on ne peut plus voir de Céline Delavaux
Des reliques à l'art moderne : Venise-Chicago, XIIIe-XXe siècle de Krzysztof Pomian
d'abord trésor de temple ou de palais, elle devient, à partir du XIVe siècle, collection particulière, puis musée. Son contenu change lui aussi, accompagnant la sécularisation des mentalités : aux reliques se substituent les objets de curiosité, puis les œuvres d'art moderne.
Nous pourrions enfin vous répondre, avec plus ou moins de mesure, que le patrimoine ou les œuvres d'art à sauvegarder dépend aussi de la conception personnelle de tout à chacun, donc aussi de la votre.
L’anecdote au sujet d’une installation d’art contemporain composées de déchets et mis à la poubelle par la femme de ménage lors de l’entretien de son lieu d’exposition en dit long sur ce qui est reconnu comme pérenne ou candidat pour être potentiellement à conserver, identifié comme oeuvre d’art.
Commentaire de
Paskalo :
Publié le 02/12/2020 à 09:25
Bonjour cher Guichet,
A la question "Sauvegarde" de "Monsieur" au sujet de la conservation des oeuvres, on peut également conseiller la lecture de "Histoire universelle de la destruction des livres", de Fernando Boaez, qui fournit une partie de la réponse, "en creux".
Bien à vous.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 02/12/2020 à 09h31
Merci pour votre suggestion. Nous avons ajouté votre message à la suite du sujet pour que l'internaute puisse en prendre connaissance.
Bonne journée.
Bonne journée.
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Commentaires 1
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