Question d'origine :
Bonjour, pourriez vous m'aider à déterminer les sources et la méthode d'écriture (d'analyse) utilisé dans le livre Henri Irénée Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, tome 2, Le monde romain, Paris, 1948 ? Pour la méthode je sais qu'il utilise une comparaison constante avec l'éducation Grecque mais n'y a t-il pas d'autre caractéristiques ? Merci de votre réponse !
Réponse du Guichet

Bonjour,
L’œuvre Histoire de l’éducation dans l’Antiquité d’Henri-Irénée Marrou est considérée comme uneœuvre majeure dans le champ de l’histoire de l’éducation et de la culture antiques. En 1948, les travaux sur ce sujet émanaient alors beaucoup de l’historiographie allemande. L’ouvrage venait donc combler un manque, tout particulièrement pour sa partie sur le monde romain . Il existe une littérature nombreuse sur la vie, l’œuvre et la méthode d’Henri-Irénée Marrou tant son influence a été grande pour ceux qui l’ont suivi. Si l’on devait résumer sa « méthode » : Marrou ne voulait pas se contenter d’une analyse précise, exhaustive et érudite des sources (qu’il manie cependant très bien), mais aspirait à en dégager une synthèse et une vision plus large, qui reposait beaucoup sur la qualité littéraire et sur l’intérêt ou le « rapport personnel » de l’auteur avec le sujet traité.
L’Histoire de l’éducation dans l’antiquité a étépubliée à l’origine en un seul volume qui contenait trois parties (Origines de l’éducation classique : d’Homère à Isocrate ; Tableau de l’éducation classique à l’époque hellénistique et Rome et l’éducation classique), la méthode ne diffère donc pas fondamentalement entre les deux premières et la troisième partie. En revanche, son point de vue est bien de montrer la continuité entre l’éducation grecque et l’éducation romaine jusqu’à l’apparition d’une éducation chrétienne et ensuite « médiévale ». En effet, dans la partie sur le monde romain, il montre comment les Romains vont abandonner leur ancienne éducation romaine, pour adopter le modèle grec et surtout en quoi ils ont contribué à le diffuser largement et à l’institutionnaliser . Il envisage enfin la fin de l’école antique et les débuts de l’école chrétienne, prémisse de ses réflexions sur la notion de décadence qu’il développera dans son ouvrage Décadence romaine ou antiquité tardive : IIIe - IVe siècle.
En termes de sources, son ouvrage repose sur uneanalyse très détaillée et référencée des sources antiques . Il intègre deux types de notes, celles en bas de page pour les renvois aux textes antiques dont il donne les titres et abréviations en fin d’ouvrage, et les notes complémentaires (en fin de volume) où il inscrit d’autres références bibliographiques et ses commentaires. Il est impossible de vous citer les sources qu’il utilise tant elles sont nombreuses, mais ce sont la majorité des textes classiques antiques, auxquels s’ajoute une bibliographie en allemand, en anglais et en français.
Voici ce que nous dit l’ouvrage Henri-Irénée Marrou, historien engagé de Pierre Riché : «L’idée originale de Marrou était d’étudier cette histoire à partir de l’époque homérique et même avant, jusqu’au Moyen Age. Il a l’ambition de présenter cette histoire qui s’étale sur une quinzaine de siècles. On comprend que le livre ait demandé plusieurs années de travail. ». « Marrou donne à ses étudiants de Lyon puis de Paris à partir de 1945 des mémoires de diplômes qui permettent de débrouiller quelques questions. Il veillera dans la première page de son livre à remercier ces vingt étudiants de leur collaboration ainsi que les collègues « qui ont bien voulu le faire profiter de leur compétence ». « Revenons donc à ce livre qui est conçu modestement comme un « manuel » et une synthèse provisoire de tous les travaux qui ont été faits sur la question . L’auteur s’adresse aux étudiants et au public cultivé qui doit connaître les origines de notre tradition pédagogique, d’où sort notre système d’éducation. » Pierre Riché détaille le contenu des différentes parties de l’ouvrage, voici ce qu’il dit sur la troisième concernant Rome : « On retrouve cet idéal d’éducation classique et humaniste dans la troisième partie du livre. Partant de l’ancienne éducation « paysanne », on va vers l’adoption par Rome de l’éducation grecque, posant la question du bilinguisme, on développe les programmes des trois degrés d’enseignement et après avoir constaté que Rome avait diffusé ce genre d’éducation dans tout l’Empire l’auteur remarque que l’État joue un rôle essentiel dans le système éducatif surtout au Bas-Empire. A propos des fonctionnaires, Marrou n’oublie pas un enseignement particulier, celui de la sténographie. Deux chapitres essentiels sont consacrés à la rencontre du christianisme et de l’éducation classique. L’Église laisse les chrétiens libres d’accéder à l’école païenne dans laquelle enseignent des maîtres chrétiens sauf momentanément sous Julien l’Apostat. Il n’y a pas d’école chrétienne aux degrés primaire et secondaire. Des tentatives d’école théologique sont sans lendemain. Déjà dans sa thèse Marrou avait rappelé tout ce que la culture antique avait apporté à saint Augustin en bien ou en moins bien. Les écoles chrétiennes apparaissent, du moins en Occident, lorsque l’État ne peut plus subventionner ses écoles. Sur le modèle de l’école monastique naissent les écoles presbytérales et épiscopales qui annoncent les écoles médiévales. » « Ce grand livre de lecture agréable se termine par 108 pages de notes qui, tout en donnant la bibliographie, explicitent tel ou tel point et justifient le point de vue de l’auteur. C’est pour des générations un instrument de travail indispensable. » « Remarquons que, lorsqu’il écrivait son livre, Marrou était très intéressé par la ligne de démarcation entre la culture antique et la culture médiévale. » En 1948, il dira sa difficulté à « établir une frontière entre les deux domaines », et que « pendant de longues générations, Antiquité et Moyen Age se sont juxtaposés dans l’espace » (p. 126-132)
Jean Delumeau dans cette note La vie et l'œuvre d'Henri-Irénée Marrou, dit que l’ouvragesort des « sentiers battus » , et il résume ainsi sa démarche : « Ne faisant parti d’aucune école, évitant le dogmatisme, il plaidait pour ce qu’il appelait l’« histoire-questions » et pour l’humilité devant les faits. Il voyait dans l’histoire, d’une part, une « rencontre d’autrui » et, d’autre part, un « mixte indissoluble du sujet et de l’objet ». Enfin, il demandait à l’historien d’être aussi un écrivain . »
Dans le compte-rendu par François Laplanche du livre de Pierre Riché, voici un autre aperçu du cadre théorique et méthodique dans lequel il écrit son œuvre : « Marrou s’interroge en effet sur le concept de décadence, qu’il a utilisé dans la thèse et qu’il juge inadéquat : de nouvelles formes de culture ne peuvent s’imposer qu’à travers des dépérissements et des remaniements, mais faut-il parler de « décadence » ? Le problème est plus amplement repris dans Décadence romaine ou Antiquité tardive ? (posthume, 1977).Une autre publication célèbre de Marrou fut l’Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (1948) qui condensait les intérêts de l’historien et du citoyen en une synthèse qui demeura longtemps, sur ce sujet, l’ouvrage de référence. Enfin, par-delà ces réussites remarquables, Marrou réfléchissait sur la science historique en prenant position contre la restriction du travail de l’historien à l’établissement minutieux des faits . Au récit exact, mais sans vie, de l’histoire à la Seignobos, Marrou, dans la lignée herméneutique qui va du romantisme à Dilthey, oppose la connaissance par sympathie avec le sujet traité, qui rend l’historien intelligent . Esquissée dans plusieurs articles, cette théorie de l’histoire s’exprime de façon complète dans De la connaissance historique (1954), ouvrage plusieurs fois réédité. »
Lucien Febvre parle dans son compte-rendu, du « constant souci de fournir au lecteur le moyen d’en vérifier les sources ». H.-I. Marrou, Histoire de l'éducation dans l'Antiquité
Nous vous conseillons vivement la lecture de cet ouvrage disponible en ligne , issu d’un colloque sur l’œuvre de Marrou, sa réception et sa continuité : Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou ». Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Jean-Marie Pailler et Pascal Payen (dir.) et notamment l’introduction : Relire « Le Marrou » : problèmes et enjeux et le passage sur l’« art et la méthode », puisqu’il est noté ceci : « En cela l’Histoire de l’éducation dans l’Antiquité porte et illustre toute la réflexion de son auteur sur l’histoire, sa méthode, son écriture, sa place dans la culture et dans la cité. » et dont voici un autre extrait : « Marrou n’est donc pas totalement en rupture avec la tradition historiographique quand il écrit en 1977 ces lignes qui résument bien sa pensée : « Nous ne faisons plus de l’esprit critique la seule vertu de l’historien ; avant de nous demander, comme le prescrivait la théorie positiviste : « Le témoin s’est-il trompé, a-t-il voulu nous tromper ? », nous nous inquiétons d’abord de savoir si nous avons bien compris ce que voulait dire ce témoin, quelle est la nature de ce témoignage, et par suite quelles sont les questions qu’il est légitime de lui poser. » Mais nous pouvons ainsi mieux mesurer ce qu’est son apport : il opère le passage d’une vision « procédurale » de l’histoire à une vision plus épistémologique qui implique une réflexion sur le travail de l’historien. Ainsi, par rapport aux historiens méthodiques, la démarche de Marrou est plutôt englobante que destructrice : il s’en prend surtout aux « recettes de basse cuisine » du Langlois-Seignobos qui est à l’histoire « ce que le manuel pratique des indulgences est à la véritable piété chrétienne » et intègre en fait l’essentiel de ces techniques dans une conception plus large du métier d’historien, voulant substituer à une simple technique inconsciente de ses limites une pratique réfléchie qui fasse sens. »
Il faut savoir que lors de la sixième édition de son ouvrage, Henri-Irénée Marrou a révisé son texte pour y intégrer les résultats de ses recherches depuis les premières éditions, et comme nous l’explique Hervé Terral : « Dans la préface à la sixième édition,il situe les points d’ancrage de son livre : ancrages intellectuels bien évidemment tant du côté des représentants de « la tradition vigoureuse et toujours renouvelée de l’humanisme classique » (A. Festugière , W. Jaeger (voir LE livre de référence Paideia : la formation de l'homme grec, publié en 1936 mais traduit en français en 1964) que du côté des maîtres dans « le métier » d’historien (J. Carcopino , F. Cumont ), mais aussi ancrage dans l’histoire proprement dite : l’auteur qui « allait alors vers ses quarante ans » donnant ainsi à son travail la marque d’un homme déjà mûr et, par-delà l’estimable érudition, un « ton personnel », comme il en va de l’œuvre historique en général à ses yeux, à la jonction de la science et de l’art ; celle d’une « génération » aussi, confrontée à la « barbarie totalitaire ». Henri I. Marrou entre traditions et réformes pédagogiques, Hervé Terral
Voici donc les éléments qui permettront de comprendre globalement l'objectif, la démarche et le contenu de l'oeuvre, mais pour connaître les sources en détail et appréhender la façon dont il les analyse, la lecture de son ouvrage reste la meilleure solution.
Bonne lecture
Voir aussi :
De Renan à Marrou : l'histoire du christianisme et les progrès de la méthode historique (1863-1968)/ éd. Yves-Marie Hilaire
Crise de notre temps et réflexion chrétienne : de 1930 à 1975 / Henri-Irénée Marrou
L’œuvre Histoire de l’éducation dans l’Antiquité d’Henri-Irénée Marrou est considérée comme une
L’Histoire de l’éducation dans l’antiquité a été
En termes de sources, son ouvrage repose sur une
Voici ce que nous dit l’ouvrage Henri-Irénée Marrou, historien engagé de Pierre Riché : «
Jean Delumeau dans cette note La vie et l'œuvre d'Henri-Irénée Marrou, dit que l’ouvrage
Dans le compte-rendu par François Laplanche du livre de Pierre Riché, voici un autre aperçu du cadre théorique et méthodique dans lequel il écrit son œuvre : « Marrou s’interroge en effet sur le concept de décadence, qu’il a utilisé dans la thèse et qu’il juge inadéquat : de nouvelles formes de culture ne peuvent s’imposer qu’à travers des dépérissements et des remaniements, mais faut-il parler de « décadence » ? Le problème est plus amplement repris dans Décadence romaine ou Antiquité tardive ? (posthume, 1977).
Lucien Febvre parle dans son compte-rendu, du « constant souci de fournir au lecteur le moyen d’en vérifier les sources ». H.-I. Marrou, Histoire de l'éducation dans l'Antiquité
Il faut savoir que lors de la sixième édition de son ouvrage, Henri-Irénée Marrou a révisé son texte pour y intégrer les résultats de ses recherches depuis les premières éditions, et comme nous l’explique Hervé Terral : « Dans la préface à la sixième édition,
Voici donc les éléments qui permettront de comprendre globalement l'objectif, la démarche et le contenu de l'oeuvre, mais pour connaître les sources en détail et appréhender la façon dont il les analyse, la lecture de son ouvrage reste la meilleure solution.
Bonne lecture
De Renan à Marrou : l'histoire du christianisme et les progrès de la méthode historique (1863-1968)/ éd. Yves-Marie Hilaire
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