Examen médical de Jeanne d’Arc par Guillaume de la Chambre
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 16/10/2017 à 12h33
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Question d'origine :
Bonjour chers érudits
J’ai besoin d’un renseignement d’ordre médical concernant un fait historique concernant Jeanne d’Arc.
Pendant sa détention dans la prison du château de Rouen, suite à une intoxication alimentaire ou un possible empoisonnement, elle fut examinée à la demande du comte de Warwick par Guillaume de la Chambre, ainsi que d’aitres médecins.
Lors du procès en réhabilitation, Guillaume de la Chambre, maître ès arts déclara : « avoir entendu dire que Jeanne avait été examinée pour savoir si elle était vierge, et elle fut trouvée telle. Le déposant sait aussi, comme il put le constater selon la science médicale, qu'elle était intacte et vierge car il la vit presque nue en la visitant pour une maladie ; il la palpa aux reins et, autant qu'il put voir, elle était très étroite. »
N’ayant pas d’ami médecin et n’osant pas poser la question à mon généraliste, je me tourne vers vous : Pour une intoxication alimentaire ou un empoisonnement, est-ce bien nécessaire d’explorer cet endroit, c’est-à-dire les reins, (mais je comprends, peut-être à tord, les organes génitaux) ?
Je ne connais pas les méthodes appliquées par les médecins modernes pour diagnostiquer les symptômes de l’intoxication alimentaire. Cependant, il n’est pas impossible que Guillaume de la Chambre, médecin du Moyen Âge, qui devait fonctionner à l’odeur comme beaucoup de ses condisciples à l’époque, n’ait eu l’idée de flairer l’entrejambe de notre héroïne pour détecter l’odeur des urines. Mais ceci est une hypothèse. Pouvez-vous m’aider ?
Autre question donc : étroite de bassin ? étroite de hanche ? étroite de vagin ?
Merci par avance.
Bien cordialement
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 18/10/2017 à 14h31
Bonjour,
Tout d'abord, rassurez-vous, il n’est pas nécessaire actuellement d’explorer « les reins » en cas d’intoxication alimentaire.
«Généralement les manifestations d'une intoxication alimentaire surviennent dans les 24 heures qui suivent l'ingestion de l'aliment en cause. Il s'agit le plus souvent de maux de ventre, d'une diarrhée, de vomissements, d'une fièvre, parfois de maux de tête et d'une importante fatigue qui peut durer plusieurs jours (voire une semaine). […] Poser le diagnostic d'une intoxication alimentaire est relativement simple puisque les signes cliniques sont généralement suffisamment évocateurs. En cas de doute, il est possible de procéder à des analyses, notamment une coproculture qui correspond à un examen des selles qui permettra d'identifier le germe en cause, ou encore à une prise de sang. Il n'est pas toujours possible de retrouver l'aliment responsable de l'intoxication alimentaire d'autant que celle-ci peut être due à l'ingestion d'un toxique tel que des nitrates par exemple et que seuls des tests poussés permettraient de retrouver. »
Source : Santé-médecine.journal des femmes, en ligne
Rien n’atteste non plus que tel était le cas au Moyen-Age, où les diagnostics se basaient beaucoup sur la consultation du pouls.
Il n’est pas vraiment sûr que l’examen qui vous occupe ait été prodigué à l’occasion d’une intoxication alimentaire. Guillaume de la Chambre ne parle pas forcément du même examen à propos du Xe article, et à propos des suivants :
« Sur le contenu du Xe, il déclare avoir entendu dire que Jeanne avait été examinée pour savoir si elle était vierge, et elle fut trouvée telle. Le déposant sait aussi, comme il put le constater selon la science médicale, qu'elle était intacte et vierge car il la vit presque nue en la visitant pour une maladie ; il la palpa aux reins et, autant qu'il put voir, elle était très étroite.
Sur le contenu des XIe, XIIe, XIIIe et XIVe, il dit et déclare, à propos des interrogatoires, avoir vu une fois le sire abbé de Fécamp qui interrogeait Jeanne ; et maître Jean Beaupère intervenait avec beaucoup d'autres questions diverses, auxquelles Jeanne ne voulut pas répondre en même temps ; à tel point qu'elle leur dit qu'ils lui faisaient une grande injustice en la poursuivant ainsi, et qu'elle avait déjà répondu à ces questions.
Quant à la maladie dont il est question dans ces articles, le déposant déclare que le cardinal d'Angleterre et le comte de Warwick l'envoyèrent chercher, lui qui parle, et devant eux il comparut, ainsi que Guillaume Desjardins, maître en médecine, et d'autres médecins. Alors ce comte de Warwick leur dit que Jeanne avait été malade, d'après ce qu'on lui avait rapporté, et il leur ordonna de s'en enquérir, car le roi ne voulait à aucun prix qu'elle mourût de mort naturelle ; le roi en effet tenait à elle, il l'avait achetée cher, et ne voulait pas qu'elle mourût sans être jugée et brûlée ; qu'ils fassent en sorte de l'examiner avec soin, afin de la guérir. Le témoin et maître Guillaume Desjardins, avec d'autres, allèrent alors la voir. Le témoin et ledit Desjardins la palpèrent sur le flanc droit et la trouvèrent fiévreuse ; aussi conclurent-ils qu'il fallait une saignée, et ils en firent rapport au comte de Warwick. »
Source : Déposition de Guillaume de la Chambre, site stejeannedarc.net.
Par ailleurs, même si c’était le cas, on voit dans la déposition de Jean Tiphaine, que le soupçon d’intoxication (dont Guillaume de la Chambre pour sa part ne parle pas du tout), induit par des questions à Jeanne d’Arc, semble suivre l’examen. Elle n’a sans doute donc pas été spécifiquement examinée pour une intoxication.
Voir aussi : la Teneur des 101 articles du procès en réhabilitation pour mieux comprendre son déroulé.
Quoiqu’il en soit, le texte latin de l’intervention de Guillaume de la Chambre ne dit que :
« Quia vidit eam quasi nudam, cum visitaret eam de quadam infirmitate et palpavit in renibus et erat multum stricta, quantum percipere potuit ex aspectu.»
Source : Site de l’Abbaye Saint Benoit.
Ce qui littéralement revient bien comme vous le notez à « il la palpa aux reins, et elle était très étroite, autant qu’il put voir ». Savoir ce qu’entendait par là Guillaume de la Chambre relève ensuite de l’interprétation.
Comme ont été beaucoup étudiés le côté androgyne de Jeanne d’Arc, et sa possible anorexie, cette phrase a pu être interprétée comme se référant à sa maigreur, évoquant alors plutôt une étroitesse de bassin.
« L’hypothèse d’un trouble du comportement alimentaire de type anorexie mentale peut être envisagée dans ce contexte. Cette théorie a déjà été avancée par Moore en 1986 . Le premier élément sémiologique est d’ordre physique : Jeanne d’Arc est examinée par un médecin à l’occasion de sa détention, et y est décrite comme particulièrement maigre : « Lorsqu’il la visita à cause d’une maladie, il lui palpa les reins, elle était très étroite, autant qu’il put s’en rendre compte. »
Source : Jeanne d’Arc et ses voix : pathologie psychiatrique ou phénomène contextuel ?, par Alexandre Baratta, Olivier Halleguen, Luisa Weiner, L’information psychiatrique, 2009/10.
Voir aussi : Jeanne d’Arc, vérités et légendes, de Colette Beaune
Mais par exemple, dans Etudes, 1954, n° 283, Paul Doncoeur dans sa recension de Le Procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc de Raymond Oursel souligne qu’on a tort de traduire « stricta » par étroite de hanches, l’Article Impuissance du Dictionnaire des sciences médicales par une Société de médecins et de chirurgiens, 1818, l’interprète comme une étroitesse du vagin, et cette recension de Book of Joan of Arc de Walter Rosts,(paragraphe Her affliction) va encore plus loin dans l’interprétation..
Ce problème de traduction est également soulevé par des chercheurs ou curieux étrangers, et ne trouve pas davantage de réponse décisive. Voir par exemple : Jeanne d’Arc, de Helmut Feld, p. 198 note 13 ou The subject of Joan’s Narrow hips.
Chacun semble choisir la traduction de ce texte sibyllin en conformité avec ce qu’il veut illustrer.
Quant à votre supposition sur l’urine, pourquoi pas, mais cela reste une supposition qu’il est impossible de vérifier. Cependant, l’uroscopie était déjà développée au Moyen-Age et il pourrait paraître plus logique que le médecin se soit penché sur un flacon d’urine plutôt que directement sur le corps de la patiente. Vous trouverez sur la page Les secrets de Jeanne d’Arc, riche elle aussi en interprétations variées à propos de la « Normalité physique de Jeanne », une étude de Laurence Moulinier Virginité, maternité et maux du corps féminin au prisme de l'uroscopie médiévale, qui « nous décrit cette pratique, science censée diagnostiquer la plupart des maux, y compris la perte de la virginité ou la grossesse par l'analyse essentiellement visuelle des urines de la patiente ».
Très bonnes lectures !
Tout d'abord, rassurez-vous, il n’est pas nécessaire actuellement d’explorer « les reins » en cas d’intoxication alimentaire.
«Généralement les manifestations d'une intoxication alimentaire surviennent dans les 24 heures qui suivent l'ingestion de l'aliment en cause. Il s'agit le plus souvent de maux de ventre, d'une diarrhée, de vomissements, d'une fièvre, parfois de maux de tête et d'une importante fatigue qui peut durer plusieurs jours (voire une semaine). […] Poser le diagnostic d'une intoxication alimentaire est relativement simple puisque les signes cliniques sont généralement suffisamment évocateurs. En cas de doute, il est possible de procéder à des analyses, notamment une coproculture qui correspond à un examen des selles qui permettra d'identifier le germe en cause, ou encore à une prise de sang. Il n'est pas toujours possible de retrouver l'aliment responsable de l'intoxication alimentaire d'autant que celle-ci peut être due à l'ingestion d'un toxique tel que des nitrates par exemple et que seuls des tests poussés permettraient de retrouver. »
Source : Santé-médecine.journal des femmes, en ligne
Rien n’atteste non plus que tel était le cas au Moyen-Age, où les diagnostics se basaient beaucoup sur la consultation du pouls.
Il n’est pas vraiment sûr que l’examen qui vous occupe ait été prodigué à l’occasion d’une intoxication alimentaire. Guillaume de la Chambre ne parle pas forcément du même examen à propos du Xe article, et à propos des suivants :
« Sur le contenu du Xe, il déclare avoir entendu dire que Jeanne avait été examinée pour savoir si elle était vierge, et elle fut trouvée telle. Le déposant sait aussi, comme il put le constater selon la science médicale, qu'elle était intacte et vierge car il la vit presque nue en la visitant pour une maladie ; il la palpa aux reins et, autant qu'il put voir, elle était très étroite.
Sur le contenu des XIe, XIIe, XIIIe et XIVe, il dit et déclare, à propos des interrogatoires, avoir vu une fois le sire abbé de Fécamp qui interrogeait Jeanne ; et maître Jean Beaupère intervenait avec beaucoup d'autres questions diverses, auxquelles Jeanne ne voulut pas répondre en même temps ; à tel point qu'elle leur dit qu'ils lui faisaient une grande injustice en la poursuivant ainsi, et qu'elle avait déjà répondu à ces questions.
Quant à la maladie dont il est question dans ces articles, le déposant déclare que le cardinal d'Angleterre et le comte de Warwick l'envoyèrent chercher, lui qui parle, et devant eux il comparut, ainsi que Guillaume Desjardins, maître en médecine, et d'autres médecins. Alors ce comte de Warwick leur dit que Jeanne avait été malade, d'après ce qu'on lui avait rapporté, et il leur ordonna de s'en enquérir, car le roi ne voulait à aucun prix qu'elle mourût de mort naturelle ; le roi en effet tenait à elle, il l'avait achetée cher, et ne voulait pas qu'elle mourût sans être jugée et brûlée ; qu'ils fassent en sorte de l'examiner avec soin, afin de la guérir. Le témoin et maître Guillaume Desjardins, avec d'autres, allèrent alors la voir. Le témoin et ledit Desjardins la palpèrent sur le flanc droit et la trouvèrent fiévreuse ; aussi conclurent-ils qu'il fallait une saignée, et ils en firent rapport au comte de Warwick. »
Source : Déposition de Guillaume de la Chambre, site stejeannedarc.net.
Par ailleurs, même si c’était le cas, on voit dans la déposition de Jean Tiphaine, que le soupçon d’intoxication (dont Guillaume de la Chambre pour sa part ne parle pas du tout), induit par des questions à Jeanne d’Arc, semble suivre l’examen. Elle n’a sans doute donc pas été spécifiquement examinée pour une intoxication.
Voir aussi : la Teneur des 101 articles du procès en réhabilitation pour mieux comprendre son déroulé.
Quoiqu’il en soit, le texte latin de l’intervention de Guillaume de la Chambre ne dit que :
« Quia vidit eam quasi nudam, cum visitaret eam de quadam infirmitate et palpavit in renibus et erat multum stricta, quantum percipere potuit ex aspectu.»
Source : Site de l’Abbaye Saint Benoit.
Ce qui littéralement revient bien comme vous le notez à « il la palpa aux reins, et elle était très étroite, autant qu’il put voir ». Savoir ce qu’entendait par là Guillaume de la Chambre relève ensuite de l’interprétation.
Comme ont été beaucoup étudiés le côté androgyne de Jeanne d’Arc, et sa possible anorexie, cette phrase a pu être interprétée comme se référant à sa maigreur, évoquant alors plutôt une étroitesse de bassin.
« L’hypothèse d’un trouble du comportement alimentaire de type anorexie mentale peut être envisagée dans ce contexte. Cette théorie a déjà été avancée par Moore en 1986 . Le premier élément sémiologique est d’ordre physique : Jeanne d’Arc est examinée par un médecin à l’occasion de sa détention, et y est décrite comme particulièrement maigre : « Lorsqu’il la visita à cause d’une maladie, il lui palpa les reins, elle était très étroite, autant qu’il put s’en rendre compte. »
Source : Jeanne d’Arc et ses voix : pathologie psychiatrique ou phénomène contextuel ?, par Alexandre Baratta, Olivier Halleguen, Luisa Weiner, L’information psychiatrique, 2009/10.
Voir aussi : Jeanne d’Arc, vérités et légendes, de Colette Beaune
Mais par exemple, dans Etudes, 1954, n° 283, Paul Doncoeur dans sa recension de Le Procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc de Raymond Oursel souligne qu’on a tort de traduire « stricta » par étroite de hanches, l’Article Impuissance du Dictionnaire des sciences médicales par une Société de médecins et de chirurgiens, 1818, l’interprète comme une étroitesse du vagin, et cette recension de Book of Joan of Arc de Walter Rosts,(paragraphe Her affliction) va encore plus loin dans l’interprétation..
Ce problème de traduction est également soulevé par des chercheurs ou curieux étrangers, et ne trouve pas davantage de réponse décisive. Voir par exemple : Jeanne d’Arc, de Helmut Feld, p. 198 note 13 ou The subject of Joan’s Narrow hips.
Chacun semble choisir la traduction de ce texte sibyllin en conformité avec ce qu’il veut illustrer.
Quant à votre supposition sur l’urine, pourquoi pas, mais cela reste une supposition qu’il est impossible de vérifier. Cependant, l’uroscopie était déjà développée au Moyen-Age et il pourrait paraître plus logique que le médecin se soit penché sur un flacon d’urine plutôt que directement sur le corps de la patiente. Vous trouverez sur la page Les secrets de Jeanne d’Arc, riche elle aussi en interprétations variées à propos de la « Normalité physique de Jeanne », une étude de Laurence Moulinier Virginité, maternité et maux du corps féminin au prisme de l'uroscopie médiévale, qui « nous décrit cette pratique, science censée diagnostiquer la plupart des maux, y compris la perte de la virginité ou la grossesse par l'analyse essentiellement visuelle des urines de la patiente ».
Très bonnes lectures !
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