Profession d'une femme qui met en scène (théâtre)
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 07/01/2019 à 13h51
1942 vues
Question d'origine :
Bonjour,
Moi je veux bien que la langue française doive évoluer parce que la société française doit évoluer et qu'en consequence l'on veuille féminiser désormais les noms de métier.
Mais que préconisent les gens qui font autorité en cette matière (qui, au fait, est bien autorisé : l'Académie, les directeurs de grands dictionnaires commerciaux _Larousse, Robert_, ou autres _cnrtl, TLF, BDLP, BHVF del'ATILF, ..._ le ministère de la culture, l'institut national de la langue française du cnrs, la commission pour la féminisation des noms de métier, etc., ou encore la vox populi, les grands média _lesquels papier, quotidiens, hebdos, radio, Web_) ?
En particulier, quelle est la règle, la forme « correcte » s'agissant du métier visé en objet : la/une metteur en scène, metteuse..., mettrice..., femme metteur en scène, réalisatrice de théâtre, ...?
Cordialement, JL
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 09/01/2019 à 10h29
Bonjour,
Votre première interrogation porte sur les institutions faisant « autorité » au regard de l’évolution de la langue. L’Académie française a été créée en 1635 avec pour mission « de travailler, avec tout le soin et toute la diligence possibles, à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. » (Article 24 des statuts.) »
(source : academie-francaise.fr)
Dans un texte portant justement sur la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions, L’Académie donne les précisions suivantes :
« Le 21 mars 2002, l’Académie française publie une nouvelle déclaration pour rappeler sa position, et, en particulier, pour souligner le contresens linguistique sur lequel repose l’entreprise de féminisation systématique. Elle insiste sur les nombreuses incohérences linguistiques qui en découlent (ainsi une recteure nommée directrice d’un service du ministère de l’Éducation nationale, ou la concurrence des formes recteure et rectrice – préférée par certaines titulaires de cette fonction). La Compagnie fait valoir quebrusquer et forcer l’usage revient à porter atteinte au génie même de la langue française et à ouvrir une période d’incertitude linguistique .
« Un catalogue de métiers, titres et fonctions systématiquement et arbitrairement "féminisés" a été publié par la Documentation française, avec une préface du Premier ministre. La presse, la télévision ont suivi avec empressement ce qui pouvait passer pour une directive régalienne et légale » (déclaration adoptée à l’unanimité dans la séance du 25 mars 2002). Oraucun texte ne donne au gouvernement « le pouvoir de modifier de sa seule autorité le vocabulaire et la grammaire du français » . Nul ne peut régenter la langue, ni prescrire des règles qui violeraient la grammaire ou la syntaxe : elle n’est pas en effet un outil qui se modèle au gré des désirs et des projets politiques. Les compétences du pouvoir politique sont limitées par le statut juridique de la langue, expression de la souveraineté nationale et de la liberté individuelle, et par l’autorité de l’usage qui restreint la portée de toute terminologie officielle et obligatoire. Et de l’usage, seule l’Académie française a été instituée « la gardienne » . »
De ce texte nous concluons que la plus haute autorité en la matière n’est donc pas une institution, les linguistes ou la volonté politique, maisl’usage . Ainsi l’Académie et les dictionnaires ont enregistré des noms de métiers féminisés à mesure qu’ils se sont imposés dans l’usage. Toutefois la position de l’Académie française au regard de la féminisation des noms de métiers, titres et fonction reste très prudente. Nous vous laissons lire dans son intégralité sa mise au point à ce sujet.
Concernant la féminisation du métier de metteur en scène, vous vous interrogez sur la forme correcte. Dans ce cas précis, il ne semble pas y avoir d’hésitation entre plusieurs formes concurrentes : la seule forme féminine du métier de metteur en scène serait donc :metteuse en scène . (sources : banque de dépannage linguistique, dictionnaire Larousse)
De manière générale « metteuse » est la version féminine des noms de métier construits à partir du substantif « metteur » : metteur / metteuse en pages ; metteur / metteuse au point ; metteur / metteuse en cartes... (source : Le Grand Robert)
Mais pour certaines raisons que nous allons développer plus bas, certains préfèrent employer le masculin "metteur en scène" dans sa valeur neutre (épicène).
Si nous étendons votre question à l’ensemble des formes féminines des métiers, à la lumière des précisions données au début de notre réponse, nous pourrions formuler la question ainsi : quelle est la forme communément admise dans l’usage ? Or la réponse n’est pas si simple à une période où écriture inclusive et féminisation des noms de métiers donnent lieu à de vifs débats et contribuent à une « insécurité linguistique » sur les formes à employer. Pour rester sur votre exemple, tandis que pour certains la forme « metteuse en scène » apparaît comme la plus logique du point de vue linguistique, d’autres lui opposent une connotation dévalorisante de la terminaison –euse qui désignerait plutôt les « petits » métiers :
« Alors que les mots en –eur et en –teur appartiennent à des catégories dont les contraintes morphologiques sont fortes […], c’est dans ces catégories que se développent le plus de formes concurrentes. Exemples : auteur / autrice, forme régulière ; auteur ; authoresse ; auteure […]. Docteur / docteur ; parfois doctoresse […]. Enquêteur / enquêteuse ; enquêtrice […]. Tant de formes féminines possibles correspondant à un seul nom masculin crée un sentiment d’ « insécurité linguistique », selon la terminologie du sociolinguiste américain William Labov. L’insécurité linguistique entraîne également une résistance à la féminisation.
La question lexicale est donc moins innocente et moins théorique qu’elle ne paraît. Notre oreille et la façon dont nous nous représentons la société acceptent la coiffeuse, la nettoyeuse et la vendeuse alors qu’elles résistent à la chercheuse, l’enquêteuse, la sculpteuse et la metteuse en scène. Certains suffixes, en effet, ont une valeur discriminante.
Parce qu’il renvoie aux « petits » métiers tels que coiffeuse, nettoyeuse, vendeuse, le suffixe -euse est senti comme dévalorisant. Alors que la forme féminine régulière est sculpteuse (cf. sculpter-sculpteur / sculpteuse), on préfère employer sculptrice, sculpteure ou le masculin considéré comme épicène sculpteur.
Contrairement au suffixe -euse, le suffixe -trice s’attache à des noms de professions jugées nobles ou supérieures (cantatrice, inspectrice, rédactrice. Son emploi progresse dans l’usage. La forme sculpteure, avec un e final, qui s’écrit, mais ne doit pas se faire entendre, s’introduit dans l’usage. Enfin, pour éviter de devoir choisir, certains usagers emploient la forme sculpteur. Au singulier, le déterminant indique le genre (une ou la sculpteur), mais, au pluriel, ni l’article ni la forme ne montrent le féminin (les sculpteurs).
Les pratiques discursives dénoncent donc, selon les cas, le malaise social, le choix, les hésitations ou l’insécurité linguistique de l’usager.
Les hésitations qui poussent le locuteur ou le scripteur à préférer l’épicène (chercheur, sculpteur) alors qu’existe une forme féminine correcte marquée (chercheuse, sculpteuse) sont linguistiquement regrettables, explique Martine Coutier, ingénieur à l’INaLF […]. En effet, l’emploi de la forme épicène non nécessaire s’ajoute aux emplois traditionnels de l’épicène (docteur, ingénieur, juge, médecin, ministre, professeur) au point que l’augmentation du nombre de formes épicènes risque de faire croire que le masculin est dominant en français. »
Source : Chercheuse? chercheur? chercheure? Mettre au féminin les noms de métier et les titres de fonction, Michèle Lenoble-Pinson, Revue belge de Philologie et d'Histoire, Année 2006, 84-3, pp. 637-652.
Dans son article, Michèle Lenoble-Pinson conclue sur l’importance d’accorder une meilleure visibilité aux femmes dans la langue :
« Donner une meilleure visibilité des femmes dans la langue signifie reconnaître leur existence dans ce qu’elles font et respecter davantage leur identité.
Alors que les opposants à la féminisation invoquent surtout des arguments d’ordre morphologique, les obstacles à la féminisation sont essentiellement idéologiques . Le choix de dénominations masculines ou féminines reflète des choix sociaux et culturels. En effet, le masculin comme le féminin touchent de près l’identité de la personne et la féminisation atteint tout le contenu langagier.
Outil linguistique, la langue est aussi un outil sexuel, social et culturel qui permet de dire – ou de ne pas dire – le féminin. Le féminin n’est pas neutre. »
Bonne journée.
Votre première interrogation porte sur les institutions faisant « autorité » au regard de l’évolution de la langue. L’Académie française a été créée en 1635 avec pour mission « de travailler, avec tout le soin et toute la diligence possibles, à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. » (Article 24 des statuts.) »
(source : academie-francaise.fr)
Dans un texte portant justement sur la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions, L’Académie donne les précisions suivantes :
« Le 21 mars 2002, l’Académie française publie une nouvelle déclaration pour rappeler sa position, et, en particulier, pour souligner le contresens linguistique sur lequel repose l’entreprise de féminisation systématique. Elle insiste sur les nombreuses incohérences linguistiques qui en découlent (ainsi une recteure nommée directrice d’un service du ministère de l’Éducation nationale, ou la concurrence des formes recteure et rectrice – préférée par certaines titulaires de cette fonction). La Compagnie fait valoir que
« Un catalogue de métiers, titres et fonctions systématiquement et arbitrairement "féminisés" a été publié par la Documentation française, avec une préface du Premier ministre. La presse, la télévision ont suivi avec empressement ce qui pouvait passer pour une directive régalienne et légale » (déclaration adoptée à l’unanimité dans la séance du 25 mars 2002). Or
De ce texte nous concluons que la plus haute autorité en la matière n’est donc pas une institution, les linguistes ou la volonté politique, mais
Concernant la féminisation du métier de metteur en scène, vous vous interrogez sur la forme correcte. Dans ce cas précis, il ne semble pas y avoir d’hésitation entre plusieurs formes concurrentes : la seule forme féminine du métier de metteur en scène serait donc :
De manière générale « metteuse » est la version féminine des noms de métier construits à partir du substantif « metteur » : metteur / metteuse en pages ; metteur / metteuse au point ; metteur / metteuse en cartes... (source : Le Grand Robert)
Mais pour certaines raisons que nous allons développer plus bas, certains préfèrent employer le masculin "metteur en scène" dans sa valeur neutre (épicène).
Si nous étendons votre question à l’ensemble des formes féminines des métiers, à la lumière des précisions données au début de notre réponse, nous pourrions formuler la question ainsi : quelle est la forme communément admise dans l’usage ? Or la réponse n’est pas si simple à une période où écriture inclusive et féminisation des noms de métiers donnent lieu à de vifs débats et contribuent à une « insécurité linguistique » sur les formes à employer. Pour rester sur votre exemple, tandis que pour certains la forme « metteuse en scène » apparaît comme la plus logique du point de vue linguistique, d’autres lui opposent une connotation dévalorisante de la terminaison –euse qui désignerait plutôt les « petits » métiers :
« Alors que les mots en –eur et en –teur appartiennent à des catégories dont les contraintes morphologiques sont fortes […], c’est dans ces catégories que se développent le plus de formes concurrentes. Exemples : auteur / autrice, forme régulière ; auteur ; authoresse ; auteure […]. Docteur / docteur ; parfois doctoresse […]. Enquêteur / enquêteuse ; enquêtrice […]. Tant de formes féminines possibles correspondant à un seul nom masculin crée un sentiment d’ « insécurité linguistique », selon la terminologie du sociolinguiste américain William Labov. L’insécurité linguistique entraîne également une résistance à la féminisation.
La question lexicale est donc moins innocente et moins théorique qu’elle ne paraît. Notre oreille et la façon dont nous nous représentons la société acceptent la coiffeuse, la nettoyeuse et la vendeuse alors qu’elles résistent à la chercheuse, l’enquêteuse, la sculpteuse et la metteuse en scène. Certains suffixes, en effet, ont une valeur discriminante.
Parce qu’il renvoie aux « petits » métiers tels que coiffeuse, nettoyeuse, vendeuse, le suffixe -euse est senti comme dévalorisant. Alors que la forme féminine régulière est sculpteuse (cf. sculpter-sculpteur / sculpteuse), on préfère employer sculptrice, sculpteure ou le masculin considéré comme épicène sculpteur.
Contrairement au suffixe -euse, le suffixe -trice s’attache à des noms de professions jugées nobles ou supérieures (cantatrice, inspectrice, rédactrice. Son emploi progresse dans l’usage. La forme sculpteure, avec un e final, qui s’écrit, mais ne doit pas se faire entendre, s’introduit dans l’usage. Enfin, pour éviter de devoir choisir, certains usagers emploient la forme sculpteur. Au singulier, le déterminant indique le genre (une ou la sculpteur), mais, au pluriel, ni l’article ni la forme ne montrent le féminin (les sculpteurs).
Les pratiques discursives dénoncent donc, selon les cas, le malaise social, le choix, les hésitations ou l’insécurité linguistique de l’usager.
Les hésitations qui poussent le locuteur ou le scripteur à préférer l’épicène (chercheur, sculpteur) alors qu’existe une forme féminine correcte marquée (chercheuse, sculpteuse) sont linguistiquement regrettables, explique Martine Coutier, ingénieur à l’INaLF […]. En effet, l’emploi de la forme épicène non nécessaire s’ajoute aux emplois traditionnels de l’épicène (docteur, ingénieur, juge, médecin, ministre, professeur) au point que l’augmentation du nombre de formes épicènes risque de faire croire que le masculin est dominant en français. »
Source : Chercheuse? chercheur? chercheure? Mettre au féminin les noms de métier et les titres de fonction, Michèle Lenoble-Pinson, Revue belge de Philologie et d'Histoire, Année 2006, 84-3, pp. 637-652.
Dans son article, Michèle Lenoble-Pinson conclue sur l’importance d’accorder une meilleure visibilité aux femmes dans la langue :
« Donner une meilleure visibilité des femmes dans la langue signifie reconnaître leur existence dans ce qu’elles font et respecter davantage leur identité.
Outil linguistique, la langue est aussi un outil sexuel, social et culturel qui permet de dire – ou de ne pas dire – le féminin. Le féminin n’est pas neutre. »
Bonne journée.
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