Question d'origine :
Dans l'Almanach de l'Université Impériale de 1812 figure, pour l'Ecole secondaire ecclésiastique de Crémieux (Isère), outre le nom du Principal, celui de M. Dombey-Beaupré en tant que "régens" pour les humanités de première année et la grammaire de deuxième année. D'après mes recherches généalogiques, le seul Dombey-Beaupré en ce lieu et cette époque était Claude Hêtre Dombey-Beaupré, qui est né le 3 avril 1796 et avait donc 16 ans. On a des indications par ailleurs qui prouvent que cette personne a bien été élève de cette école, à cette période. Il est par la suite devenu avoué à Bourgoin. Question: qu'est ce qu'un Régens à ce moment-là. Le Grand Robert dit: "Celui qui dirigeait une classe, un élève". Peut-on être un Régens à 16 ans, dans collège ? Ou faut-il entendre ce mot dans le sens de "répétiteur" "Surveillant" ?. Merci
Réponse du Guichet
Dans les nombreux et différents ouvrages sur l’histoire de l’éducation que nous avons consultés, le mot « régent » apparaît assez peu. Il est plus souvent question pour les collèges, de professeurs, ou de maîtres d’études.
En revanche, dans certains articles en ligne, le mot est mentionné plus régulièrement.
Rappelons avant tout que le régent appartient au personnel enseignant des collèges communaux sous l’Ancien Régime.
Dans l’ouvrage Histoire mondiale de l’éducation T. 3, sous la dir de G Mialaret et J Vial, il nous est rappelé que « L’enseignement des collèges qui s’adresse aux famille des 2 aristocraties, de la naissance et de l’argent, forme les cadres de la société et de l’Etat. Basé sur le latin, il donne aux adolescents les connaissances et la rectitude de pensée qui en feront des esprits cultivés et des chrétiens.
Cette éducation leur suffit pour résoudre ensuite les problèmes essentiels de l’administration et d’une économie surtout rurale. Seuls les théologiens, les juristes et les médecins reçoivent dans les facultés une formation spécialisée.
Il faut noter que dans ces établissements, les églises avec l’agrément de l’Etat, jouent un rôle prépondérant, l’enseignement religieux imprègne les programmes, le personnel est souvent ecclésiastique, l’école forme des esprits soumis aussi bien aux dogmes établis qu’aux lois de l’Etat.»
Paul Gerbod dans son article La vie quotidienne dans les lycées et collèges du XIXe siècle (in Revue française de pédagogie, année 1969 - 8), pose le cadre général des collèges et enseignants du XIXe siècle :
« Le cadre d'abord : des maisons vétustés, où l'on rencontre parfois des rats ou des punaises, où le chauffage et l'éclairage parcimonieux dessinent un régime austère et ascétique.
Les enseignants ensuite : peu nombreux,11 000 en 1910, groupés en colonies minuscules et comme campés en territoire étranger. Malgré leur isolement, ils éprouvent « sinon un certain esprit de corps, du moins le sentiment d'une même appartenance à l'université».
Nous passons en revue les diverses catégories d'universitaires : administrateurs, maîtres, « pions ». D'origine sociale modeste, ils n'ont guère de racines locales, et le nomadisme sévit. Leur vie est d'autant plus exemplaire qu'une administration rigoureuse surveille leurs moindres écarts et leur impose le respect d'un idéal : celui du maître « grave et prudent. Les récompenses sont parcimonieuses : éloges officiels, palmes académiques ou croix d'honneur ne suffisent pas à faire oublier les lenteurs de l'avancement, la médiocrité des traitements ni la précarité des retraites.
Nous revenons ensuite aux maîtres, sur lesquels nous sommes mieux renseignés que sur les élèves. P. Gerbod nous montre le « poids du monde », l'hostilité de l'opinion, la concurrence de l'enseignement privé, l'isolement des universitaires mal accueillis par la bourgeoisie locale. On dit tellement, aujourd'hui, que la culture scolaire est une culture bourgeoise destinée à permettre de briller dans les salons, qu'on saura gré à notre auteur de rappeler combien les professeurs faisaient pauvre mine dans les salons du XIXe.
Mauvais danseurs, de conversation lourde et pédante, peu élégante, et peu fortunée, ils n'y paraissaient guère. Et le chapitre se conclut sur une citation de Bersot (1837) : « Nous sommes regardés comme de pauvres diables pas malins, et nous méritons bien notre réputation. Quand on a fait des thèmes et des versions pendant quatorze ans, que peut-on avoir d'aimable à dire ? Le type du vrai littérateur c'est de mettre sa biographie, toutes ses sensations, toutes ses joies, en vers latins, et malheureusement, cette monnaie n'a pas cours en société dans les salons »
Concernant plus précisément la fonction de régent, nous vous conseillons la lecture du travail de Solenn Huitric : Transformer les collèges communaux en lycées. La coproduction d’une action publique (1830-1880).
Voici un extrait de sa thèse :
« Une hiérarchie est établie entre les enseignants des différents établissements. Dans la mesure où, jusqu’en 1853, les traitements des enseignants sont liés à la chaire qu’ils occupent et non à leur personne, l’établissement dans lequel ils enseignent et la classe dont ils ont la charge influe sur leurs conditions de rémunérations. Il existe ainsi de fortes disparités au sein des professeurs de lycées, qui s’accroissent lorsque sont comparés traitements des professeurs de lycées et traitements des régents de collèges.
Les professeurs des lycées bénéficient en outre d’un statut plus encadré, la réglementation définissant notamment leur traitement fixe, alors que celui des régents peut être soumis aux variations de la fréquentation du collège et de la subvention municipale. Les enseignants sont également plus gradés dans les lycées que dans les collèges, qui n’ont pas l’obligation de mener les élèves jusqu’au baccalauréat.
Il semblerait donc que le terme employé renvoie bien à un professeur, même s’il n’en a pas encore le titre dans l’extrait de l’Almanach que vous citez et qui date de 1812.
Quant à l’âge, il n’est pas explicitement mentionné dans les documents que nous avons parcourus. Il est néanmoins souvent mention de jeunes maîtres ou professeurs, sans plus de précisions que cela. Nous apprenons plus loin que les régents sont censés avoir obtenu le baccalauréat pour être nommés.
En réalité, peu d’entre eux obtiennent ce diplôme, « Pour pallier cette carence, le ministère de l’Instruction publique multiplie les affectations de régents sans nomination, ce qui constitue la deuxième logique d’adaptation en permettant à la fois d’employer des personnes dépourvues du grade de bachelier et de pouvoir modifier simplement le personnel des collèges. »
Ce séminaire traitant de l’Organisation générale de l'enseignement secondaire français au XIXe siècle, nous en apprend encore un peu plus concernant les régents : « Les enseignants (régents) forment un corps au service de l'Etat. Les licenciés (répétiteurs en lycées ou régents en collèges) sous le Second Empire sont 100 licenciés de lettres/an, 100 licenciés de sciences/an. Un régent de collège touche entre 1100 à 2500 francs/an. »
Pour aller plus loin:
La question du répétitorat au XIXe siècle / Philippe Savoie
Histoire de l’enseignement en France 1800-1967 / Antoine Prost
Le roman de l’école au XIXe siecle / Guillemette Tison
La formation des maîtres en France : 1792-1914 / Marcel Grandière