Question d'origine :
Bonjours chers érudits. Pouvez-vous m’aider à définir le parjure au Moyen Âge, concernant plus particulièrement la période du XVe siècle. J’ai effectué des recherches sur Internet, mais je n’ai pas réellement trouvé de réponse à ma question. 1) Wikipédia nous précise que le parjure est au sens large, une violation de serment. Puis, nous indique que les peines encourues pouvaient allé jusqu'à la peine de peine de mort ou l'excommunication, puisque le serment était prêté sur un objet sacré (la Bible, la croix, l'autel ou des reliques), et qu'une telle faute était toujours condamnée par les religions, comme manquement au respect dû à la divinité prise à témoin. Mais, il ne donne pas de date. Or, la période du Moyen Âge est très longue. 2) J’ai trouvé également un passage intitulé : « La main du parjure », d’Esther Dehoux et de Karin Ueltschi, tiré du livre, « La trahison au Moyen Âge - De la monstruosité au crime politique (Ve-XVe siècle). Ce passage explique qu’il existe un rapport entre le serment et la main, le parjure et l’amputation de la main. En effet, disent-elles, le système de pensée médiéval fondant la vérité « sur la valeur de l’engagement personnel et sur la force du garant religieux », le parjure est condamné puisqu’il remet en cause la validité de la parole et met alors en péril l’organisation et le fonctionnement de la société. En prêtant serment avec sa main droite le jureur s’engage sur la vérité de sa déclaration et de sa promesse et, en cas de manquement à la parole donnée, le membre est coupé car il a permis la faute mais aussi parce qu’il garantissait l’engagement et la véracité des propos tenus. L’amputation empêche tout renouvellement de la faute, elle rend impossible toute participation à la vie de la communauté. L’individu reconnu coupable de parjure et puni de cette façon est placé dans une situation d’incapacité juridique comprise entre la mort physique et la mort civile, la peine mérite alors plus que jamais le qualificatif d’infamante. Mais voilà, nos auteurs parlent de carolingiens ; nous sommes loin du XVe siècle. 3) Une autre recherche m’a conduit sur un document dans Histoire urbaine n° 39 de Laurence Buchholzer et Frédérique Lachaud intitulé « Le serment dans les villes du bas Moyen Âge », dont je vous fais ici un copier coller : Au Moyen Âge, dans tous les cas, la prestation de serment était codifiée, elle alliait des gestes [4] et des paroles normées, et s’appuyait souvent sur des objets et des écrits. Le parjure amenait la menace de la punition divine sur le pécheur, sans compter les châtiments temporels, notamment dans le contexte judiciaire ; il jetait aussi l’opprobre sur le coupable. Son châtiment relevait de la juridiction ecclésiastique : l’Église développa, aux XIIe et XIIIe siècles, la possibilité d’une intervention ratione peccati dans les affaires où un serment avait été violé (laesio fidei), mais elle démontra également une certaine ambiguïté à l’égard de l’usage du serment, considéré comme invalide s’il était contraire à l’intérêt public et aux bonnes mœurs ou s’il mettait en danger le salut de l’âme ou du corps. Là, je n’ai rien compris, et je ne suis pas plus avancé. 4) Dans un passage sur un Colloque organisé par l'université Lyon III-Jean Moulin, 11-13 juin 2008 sur la trahison au Moyen Âge, J’ai trouvé des renseignements sur la trahison politique du vassal qui rompt son serment de fidélité et refuse de servir correctement son seigneur. A l’époque de la féodalité, la trahison est le plus grave des fléaux car l’ensemble du système repose sur la foi jurée. La rupture des engagements pris lors de la cérémonie de l’hommage rend caduque l’ordonnancement du groupe aristocratique, rompt les anciennes solidarités. Une telle trahison appelle un châtiment car il s’agit d’une faute grave. La peine prononcée doit marquer les esprits et les mémoires, provoquer une salutaire expiation du Mal et décourager les éventuels contrevenants. Il est encore précisé que face à la trahison, la colère royale appelle exécutions, confiscations et destructions de biens. Elle n’épargne ni le responsable, ni ses proches. Une fois de plus, je ne suis pas plus avancé dans mes recherches. J’ai également trouvé d’autres documents que je ne vous énumérerai pas de peur de vous lasser, mais mes investigations n’ont aboutis à rien. Pouvez-vous m’aider sur la période très précise de la première moitié du XVe siècle, en m’indiquant les sanctions encourues en cas de parjure : peine de mort, excommunication, mains coupées, tête tranchée, châtiments corporels, bannissement, confiscation de biens, perte de l’honneur, etc. Merci pour votre aide. Bien cordialement.
Réponse du Guichet
Vous cherchez une définition du parjure et les sanctions encourues dans la première moitié du XVe siècle.
Il sera bien difficile de vous répondre précisément. Le terme de parjure englobe à peu près tous les faux serments et trahisons de serment dans tous les domaines et à tous les échelons. Peu de documents se réfèrent à votre période de prédilection, les études étant souvent plus larges.
La lecture des chapitres 2 (Nommer les crimes et les peines) et 3 (Punir le crime) de Violence et ordre public au Moyen Age, Claude Gauvard, nous apprend par ailleurs l’imprécision qui règne dans les archives judiciaires, et les approximations dans les dénominations des crimes et des peines. Cet ouvrage, qui couvre essentiellement votre période, vous montrera également les nombreuses strates de pouvoir, ecclésiastique, royal, provincial, municipal, qui empêchent une égalité des peines à un crime donné.
Voici cependant quelques pistes :
On peut lire dans l'article Parjure de l'Encyclopédie Diderot :
« S. m. (Jurisprudence) est le crime de celui qui a fait sciemment un faux-serment ; on entend aussi par le terme de parjure celui qui a commis ce crime.
On appelle également parjure celui qui a fait un faux-serment, en affirmant véritable un fait qu'il savait être faux, et celui qui a manqué volontairement à son serment en n'accomplissant pas la promesse qu'il a faite sous la foi et la religion du serment.
Il serait assez difficile de déterminer par les textes de droit, si le crime de parjure est punissable, et de quelle manière. »
L'article cite ensuite différentes lois, ordonnances, et articles des coutumes régionales pour conclure :
«
Voir aussi Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Volume 22, du comte Philippe Antoine Merlin ou l'article Serment Dictionnaire historique suisse :
« Jusqu'à l'époque moderne, on ne faisait guère de différence entre faux serment et violation de serment, tous deux condamnés au titre de parjure (lat. perjurium) par les autorités ecclésiastiques et civiles. »
Le serment est une pratique si pléthorique au Moyen-Age que les violations de serment et les sanctions le sont tout autant.
« La typologie des serments est un thème récurrent dans la littérature sur le sujet. André Holenstein distingue ainsi : la conjuratio, les serments royaux, les paix de Dieu et paix territoriales (Landfrieden), les serments de fidélité vassalique, les serments d’ordre administratif, les serments de réconciliation (Urfehde), les serments d’enquête (Kundschaftseide), les serments de bourgeoisie, les serments fiscaux, les serments de servitude, les serments des prêtres, les serments confessionnels et les serments politiques. »
Source : Le serment dans les villes du bas Moyen Âge. (XIVe- début XVIe siècle), Laurence Buchholzer, Frédérique Lachaud, Histoire urbaine, 2014/1 (n° 39).
Constatant l'absence de conclusion des actes du colloque Serment, promesse et engagement : rituels et modalités au Moyen Âge, éd. Françoise Laurent (Cahiers de recherches médiévales et humanistes), Orianne Lanciaux constate :
« Cette absence de point final est
L'article Non perjurabis. Serment et parjure en France sous Charles VI, Bernard Guenée (Journal des savants, Année 1989, 3-4) montre bien la difficulté à définir le parjure, même dans ce cas extrême qu'est l'assassinat du duc d'Orléans, commandité par Jean sans Peur, et les arguments et arguties déployées par chaque partie (notamment Jehan Petit et Jean Gerson). Il peut peut-être vous aider par ailleurs à comprendre les cas où le parjure pourrait ne pas en être un …
Enfin, pour comprendre exactement ce que recouvre le parjure et les débats théologico-juridiques qui entoure cette notion, nous vous conseillons la lecture du chapitre III Mendacium, periurium, falsum testimoni de Les péchés de la langue : discipline et éthique de la parole dans la culture médiévale de Carla Casagrande et Silvana Vecchio. Il expose les nuances entre mensonge, parjure et faux témoignage et leur imbrication, et revient sur le couple parjure / serment.
Vous proposez une liste de châtiments qui semblent bien, d'après les différents textes consultés, avoir tous été utilisés, y compris au XVe siècle, non exclusivement les uns des autres d'ailleurs. Les peines varient non seulement selon la gravité du crime mais aussi selon la qualité, la réputation (fama), les relations, du parjure. S'ajoutent les différences selon les droits coutumiers de chaque région et une certaine latitude laissée aux juges.
Nous vous renvoyons au livre :
Crime, État et société en France à la fin du Moyen âge : "de grace especial", par Claude Gauvard et notamment au Chapitre 18. La hiérarchie des crimes.
Voir aussi la recension de cet ouvrage par Didier Lett dans Médiévales, 1993, 25.
Dans l' article de La vie des idées Punir et pardonner, Jean-Claude Schmitt recense un autre ouvrage de la même autrice (Condamner à mort au Moyen Âge. Pratiques de la peine capitale en France, XIIIe-XVe siècle), et souligne la rareté de façon générale des exécutions capitales :
« Les chiffres sont d’un maniement délicat, car les archives sont très lacunaires ; mais, contrairement à l’image de pacotille d’un Moyen Âge sanguinaire, les exécutions capitales semblent avoir été rares : pas plus d’une mise à mort par an dans la plupart des juridictions. En revanche, les archives de la Chancellerie montrent que la rémission a bénéficié dans les années 1350-1450 à deux-cents condamnés par an environ.
La mort, exceptionnelle donc, est infligée par pendaison (pour les larrons habituels) – le gibet de Montfaucon étant mentionné à partir de 1233 –, sauf pour les femmes qui, beaucoup plus rarement condamnées à mort et moins souvent impliquées dans la violence criminelle, sont ensevelies ou brûlées vives. La noyade dans un sac des uns et des autres est également pratiquée. Coupables de « lèse-majesté », les traîtres et ennemis du roi (surtout s’ils sont de plus haute condition) sont décapités aux Halles ou en place de Grève.
Dans tous les cas, la confiscation des biens accompagne la peine de mort.
Si elle ne précise pas toujours à quel crime correspond quel châtiment (ce n'est pas toujours noté dans les archives judiciaires), Nicole Gonthier dans Le châtiment du crime au Moyen-Age décrit longuement tous les supplices existants.
Dans le Chap. 3, A tout crime, un châtiment elle cite amende ou prison, peines d'infamie , dont le banissement, peines de mutilations, peine de mort avec des exemples dont certains pour votre période.
Là aussi elle constate :
« S'appuyant sur la chronique arrageoise de Jacques de Clercq,
Voir donc aussi Le temps des supplices : de l'obéissance sous les rois absolus : XVe-XVIIIe siècle, par Robert Muchembled.
Pour aller plus loin :
Pauvres, marginaux, sorciers, complots et trahison à Besançon et dans le comté de Bourgogne au XVe siècle, Nicole Brocard , in La Trahison au Moyen-Age, Myriam Soria, Maïté Billoré, dir.
Trahir la ville, trahir le consulat : le respect de leur serment par les consuls lyonnais du XVe siècle, Caroline Fargeix, opus cit.. La punition est ici la destitution et l'inégibilité pour les consuls.
Le rituel punitif du pilori au Moyen-Age, Liliane d'Artagnan
Entre droit et religion : le blasphème, du péché de la langue au crime sans victime, Corinne Leveleux-Teixeira , Revue de l'histoire des religions, 4/2011
La torture au Moyen Age : Parlement de Paris, XIVe-XVe siècles, Faustine Haran
Faire la paix au Moyen Age : discours et gestes de paix pendant la guerre de Cent Ans, Chapitre Le serment par Nicolas Offenstadt
Crime et châtiment au Moyen Age : Ve-XVe siècle Valérie Toureille.
Bonnes lectures !
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