Question d'origine :
Il est souvent dit sur les réseaux sociaux que Voltaire fut un antisémite et pour la Traite négrière, est-ce vraiment le cas ?
Merci
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 01/10/2019 à 12h13
Bonjour,
L’ambiguïté de Voltaire vis-à-vis des Israélites est bien connu et déchaîne encore des polémiques. Voyez la thèse de Pierre-André Taguieff dans la Revue des deux mondes :
« Dans la vulgate anti-antisémite contemporaine, dont l’objectif est de lutter contre la haine des juifs, c’est une évidence non interrogée que la lutte contre l’antisémitisme se situe dans l’héritage des Lumières. Et il est vrai que l’émancipation des juifs en Europe a été rendue possible par le mouvement des Lumières et l’impulsion donnée par la révolution française. La lutte contre les préjugés, l’obscurantisme et le fanatisme au nom de la raison, impliquant le primat de l’examen critique et de l’éducation, demeure la matrice et le modèle de toute forme de lutte contre le racisme et l’antisémitisme – de ce qu’il est convenu d’appeler l’« antiracisme ».
[…] [Voltaire] a pu être reconnu comme l’un des premiers « intellectuels » avant la lettre, et son courage dans la défense des persécutés demeure exemplaire. Mais la reconnaissance de ce fait historique a dissimulé l’envers des Lumières, ou la face sombre de l’universalisme rationaliste devenu idéologie politique. Car l’époque des Lumières a été aussi celle de l’invention des doctrines raciales se réclamant du savoir scientifique, ainsi que d’une forme nouvelle de judéophobie fondée sur une dénonciation globalisante des « superstitions » religieuses illustrées par les grands monothéismes, et plus particulièrement par le judaïsme et le christianisme.
« Voltaire attribuait aux juifs une intolérance incomparable, un fanatisme sans limites, une haine absolue du genre humain, de ridicules et dangereuses superstitions, des instincts sanguinaires et une cruauté raffinée. »
C’est à l’époque des Lumières que se sont forgés les principaux thèmes de la judéophobie non religieuse, voire antireligieuse, souvent mâtinée de scientisme et se disant par la suite « progressiste » ou « révolutionnaire », qui va se constituer en un courant important de l’antisémitisme en Europe de l’Ouest au cours des deux derniers tiers du XIXe siècle. Certains historiens ont proposé de la baptiser « anti sémitisme rationaliste », privilégiant ainsi son discours explicite, qui se réclamait de la raison (5). La plupart des thèmes d’accusation contre les juifs qu’on trouvait dans la judéophobie antique ou dans l’anti judaïsme chrétien sont repris, réactivés ou reformulés par les antijuifs des Lumières, à l’exception notable de l’accusation de déicide. Mais l’on y rencontre celle de meurtre rituel, qui lui est pourtant associée dans l’antijudaïsme chrétien populaire, suivant une représentation récurrente : l’accusation de meurtre d’enfants chrétiens répète celle de meurtre du Christ.
On peut dès lors voir dans l’inscription du meurtre rituel dans le culte antique de Moloch par certains auteurs se réclamant des Lumières, tel Voltaire, une tentative de déchristianiser l’accusation. L’assimilation polémique entre Jéhovah, le Dieu des anciens juifs, et Moloch (ou Baal) est un topos de la judéophobie antichrétienne moderne. Au XIXe siècle, de nombreux idéologues antisémites et antichrétiens, athées, matérialistes et souvent révolutionnaires, reprendront l’accusation de molochisme. Il en va ainsi du blanquiste et communard Gustave Tridon, qui, dans son livre posthume Du molochisme juif (7), accuse les juifs de cannibalisme rituel, preuve à ses yeux de la « férocité juive ». Mais la sécularisation des vieux thèmes accusatoires chrétiens laisse inévitablement des traces, et ne s’accomplit jamais pleinement. Même les antichrétiens les plus virulents restent tributaires du système des accusations chrétiennes contre les juifs et le judaïsme. »
D’autres auteurs, à l’instar du biographe Pierre Milza, interrogé par L’Express, estiment que l’agressivité antijuive de Voltaire est à replacer dans le contexte de sa lutte contre le christianisme :
« Certains passages de Voltaire sont aujourd'hui insoutenables, notamment quand il qualifie les Juifs de "peuple le plus abominable de la terre". Ou quand il raconte que, dans l'Antiquité, c'était un clan de "voleurs vagabonds", qui "égorgeait sans pitié tous les habitants d'un malheureux petit pays sur lequel il n'avait pas plus de droit qu'il n'en a sur Paris et sur Londres". Mais ces accents antijudaïques ne doivent pas être interprétés comme de l'antisémitisme. A travers ces charges outrancières, il vise en fait la religion catholique, dont le judaïsme est la source historique. "Il en veut aux juifs d'être à l'origine de ce tissu de mensonges qu'est selon lui la Bible", explique l'historien Pierre Milza, auteur d'une volumineuse biographie (Voltaire, éditions Perrin). Pour l'écrivain, les miracles de Moïse, comme ceux de Jésus, sont des fables de charlatan.
Mais à aucun moment il ne justifie les persécutions. Bien au contraire. Il ne cesse de dénoncer les pogroms, à commencer par la barbarie des croisades, quand 200 000 fanatiques catholiques traversèrent l'Europe, au Moyen Age, en exterminant des juifs. "Les chrétiens, croyant venger Dieu, firent main basse sur tous ces malheureux, déplore Voltaire. Il n'y eut jamais, depuis Hadrien, un si grand massacre de cette nation : ils furent égorgés à Verdun, à Spire, à Worms, à Cologne, à Mayence. Et plusieurs se tuèrent eux-mêmes, après avoir fendu le ventre à leur femme, pour ne pas tomber entre les mains de ces barbares." »
Pour approfondir le sujet et vous faire une opinion, nous vous conseillons de lire l’article de Leonard Rosmarin « Voltaire et les Juifs », revue Man and Nature, 1992, consultable sur erudit.org :
« Les sentiments de Voltaire envers les Juifs qu'il connaissait ne s'avèrent ni plus hostiles ni moins cordiaux que ceux qu'il exprimait envers ses contemporains d'origine chrétienne. Tantôt il les détestait, tantôt il témoignait envers eux d'une réelle sympathie. Certes, il a pu se servir du préjugé antijuif à des fins politiques, en noircissant, par exemple, le portrait du malheureux Salomon Levy dans sa lettre du 28 mai 1722 au Cardinal Dubois. Il avait alors 28 ans, et songeait à une carrière diplomatique. Dire pis que pendre d'un simple espion lui paraissait sans doute un moyen habile de s'insinuer dans les bonnes grâces du prélat. Mais à cette preuve de cynisme qui n'est pas du tout à son honneur s'oppose l'amitié chaleureuse qu'il avait nouée avec des membres de la colonie juive à Londres. L'incident des déboires financiers qu'il eut en 1726 avec deux israélites, Acosta and Médina, chez qui il avait placé son argent illustre son comportement. Ecoutons l'écrivain: 'Lorsque M. Médina ... me fit à Londres une banqueroute de 20.000 francs, il me dit que ce n'était pas sa faute, qu'il avait toujours tâché de vivre en fils de Dieu, c'est-à-dire, en honnête homme, en bon Israélite. Il m'attendrit, je l'embrassai, nous louâmes Dieu ensemble et je perdis 80%.' En guise de riposte à l'abbé Guenée qui prétendait découvrir dans cette expérience malencontreuse la source de la 'malveillance' de Voltaire à l'endroit des Juifs, ce dernier déclara dans Un Chrétien contre six Juif : 'J'ai essuyé des banqueroutes plus considérables de bons chrétiens sans crier. Je ne suis fâché contre aucun Juif portugais, je les estime tous' (M, XXIX, 58). La bonne foi de l'auteur nous paraît d'autant plus convaincante que selon M. René Pomeau il entretenait des rapports amicaux durables avec la famille d'où provenait son banquier en faillite. Que cette amitié s'accompagnât d'admiration me paraît évident dans une anecdote qu'il relate dans ses Carnets: 'Mme d'Acosta dit, en ma présence, à un abbé qui voulait la faire chrétienne: Votre Dieu est-il né Juif? — Oui — A-t-il vécu Juif? — Oui — Eh bien, soyez donc Juif.'
Comment un esprit aussi brillant que Voltaire pouvait-il ne pas applaudir à cette riposte foudroyante de la dame qui souligne le lien organique entre les deux religions, et, en conséquence, l'absurdité de la haine antisémite. Une autre remarque des Carnets écrite à la même époque abonde dans le même sens: 'England is the meeting of all religions, as the royal Exchange is the rendez-vous of all foreigners. When I see Christians cursing Jews, methinks I see children beating their fathers. Jewish religion is the mother of Christianity, and grandmother of the Mahometism.' »
Nous vous conseillons de lire in extenso la lecture de cet intéressant article.
Concernant l’intérêt supposé que le philosophe aurait pris sur le trafic d’esclaves, nous vous renvoyons vers l’ouvrage de Jean Ehrard, Lumières et esclavage [Livre] : l'esclavage colonial et l'opinion publique en France au XVIIIe siècle, cité dans une précédente réponse, et qui soutient que « l’idée que Voltaire se soit enrichi grâce au commerce triangulaire «est une calomnie […] lancée en 1877, à l’approche du premier centenaire, par un obscur folliculaire nommé Jacquot, sur la base d’une prétendue lettre reconnue depuis longtemps comme un faux par les voltairistes sérieux. »
Et de citer toute une série d’ouvrages de biographes et de politiques rapportant le fait. Dans La Traite des Noirs, Hugh Thomas écrit par exemple :
« Voltaire […] critique aussi l’esclavage dans son Dictionnaire philosophique de 1746, de façon plutôt indirecte, et déclare qu’ « un peuple qui trafique en ses enfants est encore plus condamnable que l’acheteur ; ce négoce démontre notre supériorité ». On ne s’étonnera pas, compte tenu de cette remarque, qu’il ait trempé lui-même dans la traite. »
Nous aurions tendance à croire à Jean Ehrard. D’une part parce que, comme il le souligne, les détracteurs du philosophe répètent inlassablement la rumeur sans jamais citer de sources ; ensuite parce que, sans conclure à l'impossibilité de la chose, Ehrard rappelle que « toute sa correspondance d’affaires a disparu »… bien qu’il confirme que, ironie de l’histoire, il y eut bien un bateau négrier appelé « le Voltaire » du vivant de l’intéressé, sans qu’on puisse savoir si celui-ci connaissait la nature de ses cargaisons. »
Pierre Milza, cité plus haut, est du même avis :
« Voltaire a été accusé d'avoir amassé son immense fortune grâce à la traite négrière, qu'il fut pourtant l'un des premiers à dénoncer ouvertement. En réalité, aucun document ne permet de l'affirmer. "Il a fait des affaires avec des négociants, lesquels, de leur côté, ont pu faire du commerce lié à l'esclavage, explique Pierre Milza. Mais il n'a jamais été impliqué directement dans la traite négrière." L'honneur est sauf. »
(Source : L’Express)
Bonne journée.
L’ambiguïté de Voltaire vis-à-vis des Israélites est bien connu et déchaîne encore des polémiques. Voyez la thèse de Pierre-André Taguieff dans la Revue des deux mondes :
« Dans la vulgate anti-antisémite contemporaine, dont l’objectif est de lutter contre la haine des juifs, c’est une évidence non interrogée que la lutte contre l’antisémitisme se situe dans l’héritage des Lumières. Et il est vrai que l’émancipation des juifs en Europe a été rendue possible par le mouvement des Lumières et l’impulsion donnée par la révolution française. La lutte contre les préjugés, l’obscurantisme et le fanatisme au nom de la raison, impliquant le primat de l’examen critique et de l’éducation, demeure la matrice et le modèle de toute forme de lutte contre le racisme et l’antisémitisme – de ce qu’il est convenu d’appeler l’« antiracisme ».
[…] [Voltaire] a pu être reconnu comme l’un des premiers « intellectuels » avant la lettre, et son courage dans la défense des persécutés demeure exemplaire. Mais la reconnaissance de ce fait historique a dissimulé l’envers des Lumières, ou la face sombre de l’universalisme rationaliste devenu idéologie politique. Car l’époque des Lumières a été aussi celle de l’invention des doctrines raciales se réclamant du savoir scientifique, ainsi que d’une forme nouvelle de judéophobie fondée sur une dénonciation globalisante des « superstitions » religieuses illustrées par les grands monothéismes, et plus particulièrement par le judaïsme et le christianisme.
« Voltaire attribuait aux juifs une intolérance incomparable, un fanatisme sans limites, une haine absolue du genre humain, de ridicules et dangereuses superstitions, des instincts sanguinaires et une cruauté raffinée. »
C’est à l’époque des Lumières que se sont forgés les principaux thèmes de la judéophobie non religieuse, voire antireligieuse, souvent mâtinée de scientisme et se disant par la suite « progressiste » ou « révolutionnaire », qui va se constituer en un courant important de l’antisémitisme en Europe de l’Ouest au cours des deux derniers tiers du XIXe siècle. Certains historiens ont proposé de la baptiser « anti sémitisme rationaliste », privilégiant ainsi son discours explicite, qui se réclamait de la raison (5). La plupart des thèmes d’accusation contre les juifs qu’on trouvait dans la judéophobie antique ou dans l’anti judaïsme chrétien sont repris, réactivés ou reformulés par les antijuifs des Lumières, à l’exception notable de l’accusation de déicide. Mais l’on y rencontre celle de meurtre rituel, qui lui est pourtant associée dans l’antijudaïsme chrétien populaire, suivant une représentation récurrente : l’accusation de meurtre d’enfants chrétiens répète celle de meurtre du Christ.
On peut dès lors voir dans l’inscription du meurtre rituel dans le culte antique de Moloch par certains auteurs se réclamant des Lumières, tel Voltaire, une tentative de déchristianiser l’accusation. L’assimilation polémique entre Jéhovah, le Dieu des anciens juifs, et Moloch (ou Baal) est un topos de la judéophobie antichrétienne moderne. Au XIXe siècle, de nombreux idéologues antisémites et antichrétiens, athées, matérialistes et souvent révolutionnaires, reprendront l’accusation de molochisme. Il en va ainsi du blanquiste et communard Gustave Tridon, qui, dans son livre posthume Du molochisme juif (7), accuse les juifs de cannibalisme rituel, preuve à ses yeux de la « férocité juive ». Mais la sécularisation des vieux thèmes accusatoires chrétiens laisse inévitablement des traces, et ne s’accomplit jamais pleinement. Même les antichrétiens les plus virulents restent tributaires du système des accusations chrétiennes contre les juifs et le judaïsme. »
D’autres auteurs, à l’instar du biographe Pierre Milza, interrogé par L’Express, estiment que l’agressivité antijuive de Voltaire est à replacer dans le contexte de sa lutte contre le christianisme :
« Certains passages de Voltaire sont aujourd'hui insoutenables, notamment quand il qualifie les Juifs de "peuple le plus abominable de la terre". Ou quand il raconte que, dans l'Antiquité, c'était un clan de "voleurs vagabonds", qui "égorgeait sans pitié tous les habitants d'un malheureux petit pays sur lequel il n'avait pas plus de droit qu'il n'en a sur Paris et sur Londres". Mais ces accents antijudaïques ne doivent pas être interprétés comme de l'antisémitisme. A travers ces charges outrancières, il vise en fait la religion catholique, dont le judaïsme est la source historique. "Il en veut aux juifs d'être à l'origine de ce tissu de mensonges qu'est selon lui la Bible", explique l'historien Pierre Milza, auteur d'une volumineuse biographie (Voltaire, éditions Perrin). Pour l'écrivain, les miracles de Moïse, comme ceux de Jésus, sont des fables de charlatan.
Mais à aucun moment il ne justifie les persécutions. Bien au contraire. Il ne cesse de dénoncer les pogroms, à commencer par la barbarie des croisades, quand 200 000 fanatiques catholiques traversèrent l'Europe, au Moyen Age, en exterminant des juifs. "Les chrétiens, croyant venger Dieu, firent main basse sur tous ces malheureux, déplore Voltaire. Il n'y eut jamais, depuis Hadrien, un si grand massacre de cette nation : ils furent égorgés à Verdun, à Spire, à Worms, à Cologne, à Mayence. Et plusieurs se tuèrent eux-mêmes, après avoir fendu le ventre à leur femme, pour ne pas tomber entre les mains de ces barbares." »
Pour approfondir le sujet et vous faire une opinion, nous vous conseillons de lire l’article de Leonard Rosmarin « Voltaire et les Juifs », revue Man and Nature, 1992, consultable sur erudit.org :
« Les sentiments de Voltaire envers les Juifs qu'il connaissait ne s'avèrent ni plus hostiles ni moins cordiaux que ceux qu'il exprimait envers ses contemporains d'origine chrétienne. Tantôt il les détestait, tantôt il témoignait envers eux d'une réelle sympathie. Certes, il a pu se servir du préjugé antijuif à des fins politiques, en noircissant, par exemple, le portrait du malheureux Salomon Levy dans sa lettre du 28 mai 1722 au Cardinal Dubois. Il avait alors 28 ans, et songeait à une carrière diplomatique. Dire pis que pendre d'un simple espion lui paraissait sans doute un moyen habile de s'insinuer dans les bonnes grâces du prélat. Mais à cette preuve de cynisme qui n'est pas du tout à son honneur s'oppose l'amitié chaleureuse qu'il avait nouée avec des membres de la colonie juive à Londres. L'incident des déboires financiers qu'il eut en 1726 avec deux israélites, Acosta and Médina, chez qui il avait placé son argent illustre son comportement. Ecoutons l'écrivain: 'Lorsque M. Médina ... me fit à Londres une banqueroute de 20.000 francs, il me dit que ce n'était pas sa faute, qu'il avait toujours tâché de vivre en fils de Dieu, c'est-à-dire, en honnête homme, en bon Israélite. Il m'attendrit, je l'embrassai, nous louâmes Dieu ensemble et je perdis 80%.' En guise de riposte à l'abbé Guenée qui prétendait découvrir dans cette expérience malencontreuse la source de la 'malveillance' de Voltaire à l'endroit des Juifs, ce dernier déclara dans Un Chrétien contre six Juif : 'J'ai essuyé des banqueroutes plus considérables de bons chrétiens sans crier. Je ne suis fâché contre aucun Juif portugais, je les estime tous' (M, XXIX, 58). La bonne foi de l'auteur nous paraît d'autant plus convaincante que selon M. René Pomeau il entretenait des rapports amicaux durables avec la famille d'où provenait son banquier en faillite. Que cette amitié s'accompagnât d'admiration me paraît évident dans une anecdote qu'il relate dans ses Carnets: 'Mme d'Acosta dit, en ma présence, à un abbé qui voulait la faire chrétienne: Votre Dieu est-il né Juif? — Oui — A-t-il vécu Juif? — Oui — Eh bien, soyez donc Juif.'
Comment un esprit aussi brillant que Voltaire pouvait-il ne pas applaudir à cette riposte foudroyante de la dame qui souligne le lien organique entre les deux religions, et, en conséquence, l'absurdité de la haine antisémite. Une autre remarque des Carnets écrite à la même époque abonde dans le même sens: 'England is the meeting of all religions, as the royal Exchange is the rendez-vous of all foreigners. When I see Christians cursing Jews, methinks I see children beating their fathers. Jewish religion is the mother of Christianity, and grandmother of the Mahometism.' »
Nous vous conseillons de lire in extenso la lecture de cet intéressant article.
Concernant l’intérêt supposé que le philosophe aurait pris sur le trafic d’esclaves, nous vous renvoyons vers l’ouvrage de Jean Ehrard, Lumières et esclavage [Livre] : l'esclavage colonial et l'opinion publique en France au XVIIIe siècle, cité dans une précédente réponse, et qui soutient que « l’idée que Voltaire se soit enrichi grâce au commerce triangulaire «
Et de citer toute une série d’ouvrages de biographes et de politiques rapportant le fait. Dans La Traite des Noirs, Hugh Thomas écrit par exemple :
« Voltaire […] critique aussi l’esclavage dans son Dictionnaire philosophique de 1746, de façon plutôt indirecte, et déclare qu’ « un peuple qui trafique en ses enfants est encore plus condamnable que l’acheteur ; ce négoce démontre notre supériorité ». On ne s’étonnera pas, compte tenu de cette remarque, qu’il ait trempé lui-même dans la traite. »
Nous aurions tendance à croire à Jean Ehrard. D’une part parce que, comme il le souligne, les détracteurs du philosophe répètent inlassablement la rumeur sans jamais citer de sources ; ensuite parce que, sans conclure à l'impossibilité de la chose, Ehrard rappelle que « toute sa correspondance d’affaires a disparu »… bien qu’il confirme que, ironie de l’histoire, il y eut bien un bateau négrier appelé « le Voltaire » du vivant de l’intéressé, sans qu’on puisse savoir si celui-ci connaissait la nature de ses cargaisons. »
Pierre Milza, cité plus haut, est du même avis :
« Voltaire a été accusé d'avoir amassé son immense fortune grâce à la traite négrière, qu'il fut pourtant l'un des premiers à dénoncer ouvertement. En réalité, aucun document ne permet de l'affirmer. "Il a fait des affaires avec des négociants, lesquels, de leur côté, ont pu faire du commerce lié à l'esclavage, explique Pierre Milza. Mais il n'a jamais été impliqué directement dans la traite négrière." L'honneur est sauf. »
(Source : L’Express)
Bonne journée.
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