Question d'origine :
Bonjour,
Les poèmes inscrits dans un recueil peuvent-ils ne pas comporter de titres ?
Merci encore pour votre éclairage
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 15/07/2020 à 08h57
Bonjour,
Toute personne qui écrit de la poésie a le choix de donner ou non un titre a ses poèmes au sein d'un recueil. En remontant loin dans le passé, on s'aperçoit que les deux pratiques ont toujours coexisté, y compris dans l'oeuvre d'un même auteur.
Le recueil de sonnets L'Olive, publié vers 1550 par Joachim du Bellay, propose 115 sonnetsdésignés uniquement par un chiffre . Ce qui n'empêche pas du Bellay, dans des écrits postérieurs, recueillis dans les éditions modernes de ses Oeuvres poétiques sous les titres de Vers lyriques, Oeuvres de l'invention de l'autheur, etc, d'intituler des poèmes "Des Miseres et fortunes humaines", "De l'inconstance des choses", ou encore "Du premier jour de l'an".
Prenons un autre exemple, tout aussi classique : la table des matières des Odes de Ronsard, présente des titres, qui sont, pour la plupart, des dédicaces ! Le propos du poème étant alors plus défini par la personne à qui il est dédié que par son contenu !
Notons que le titre d'un poème, surtout lorsqu'il s'agit de poésie ancienne, n'est pas toujours choisi par l'auteur : un célèbre poème de François Villon, non titré mais faisant partie du grand Testament poétique de l'auteur, a été connu sous au moins trois titres au cours de l'histoire de ses éditions successives :
"Dans le manuscrit Coisline, cette ballade n'a pas de titre et, dans l'anthologie Le Jardin de Plaisance et Fleur de rethoricque imprimé en 1501 par Antoine Vérard, elle est juste appelée Autre ballade. Elle est titrée Épitaphe Villon dans le manuscrit Fauchet et dans l'édition de 1489 de Pierre Levet, Épitaphe dudit Villon dans le Chansonnier de Rohan et Clément Marot dans son édition commentée de 1533 la nomme : Épitaphe en forme de ballade, que feit Villon pour luy & pour ses compaignons s'attendant à estre pendu avec eulx. Le titre moderne [Ballade des pendus] doit quant à lui être attribué aux romantiques et pose problème dans le sens où il dévoile trop tôt l'identité des narrateurs et compromet l'effet de surprise souhaité par Villon.
[...]
Les historiens et commentateurs de Villon se sont pour la plupart aujourd'hui résolus à désigner cette ballade par ses premiers mots : Freres humains,comme il est de coutume lorsque l'auteur n'a pas laissé de titre ."
(Source : Wikipédia)
Ces libertés prises dans les titres ne furent pas forcément arbitraires : dans l'article "Clément Marot et l'édition humaniste des œuvres de François Villon", paru en 1991 dans la revue Romania et consultable sur Persée, Catherine Dop-Miller montre que Marot, éditeur par ailleurs assez respectueux du texte d'origine pour son époque, a choisi très librement des titres, dans un but de clarté. Car si moins d'un siècle les séparaient, la société et la langues françaises avaient énormément évolué depuis la mort de Villon :
"Marot dit simplement dans son Prologue : « Quant aux titres, je les ai mieux attitrés ». Dans les éditions qui imitent celle de Pierre Levet, la plupart des ballades sont intitulées, selon la pratique courante au XVe siècle, « Ballade » et « Aultre Ballade ». Cependant, dans l'édition illustrée de 1489, de Pierre Levet, figurent au bas de gravures placées en tête ou en vis-à-vis de certaines ballades, les mentions, « La belle Heaulmiere », « Villon », « La vieille », « Beaulté d'amours » et « La grosse Margot » ; ces mentions, reprises dans les éditions non-illustrées, ont fonctionné comme des titres. Galliot du Pré a conservé la mention « Beaulté d'amours » et « La grosse Margot », les insérant dans les interstices du texte en manière de titre . Outre ces titres, apparaissent dans l'édition Galliot du Pré des titres longs à caractère descriptif et parfois narratif tels : « Comment Villon veoit en son advis la belle Heaulmiere en soy complaignant », « Autre ballade pour sa mère », « Oraison en forme de ballade » et « Ballade de sa rescription des femmes de Paris ». Les poèmes divers ont tous des titres de ce type : « Cause d'appel dudict Villon »., « Le Débat du cueur et du corps dudict Villon », « La Requeste que bailla en Parlement», etc. Plutôt que de supprimer ces titres, Marot va les modifier et va en introduire d'autres, mais uniquement où cela lui semble nécessaire. Ses titres ont une fonction très précise : ils sont de véritables commentaires et ils ont pour but d'expliquer au lecteur qui parle et quels sont le sujet et le réfèrent de chaque poème.
Un des exemples les plus nets est celui de la ballade. « Au point du jour, quand l'épervier se bat» (Test. 1362-1393), que Galliot du Pré intitulait « Ballade ». Dans son nouveau titre Marot fournit au lecteur les circonstances du poème, son destinataire et son sujet ou prétexte : « Ballade que Villon donna à ung gentil homme nouvellement marié, pour l'envoyer à son épouse par lui conquise à l'espée ».Tout cet appareil, ce cadre, donne au lecteur accès de façon immédiate au sens du poème et en rend la lecture facile ."
Et qu'en est-il aujourd'hui ? Eh bien, les pratiques restent très diverses. Edith Azam titre volontiers ses poèmes, Katia Bouchoueva aussi... tandis que William Cliff dans la plupart de ses oeuvres et Pierre Vinclair dans Sans adresse perpétuent et modernisent la tradition du recueil-de-sonnets-désignés-par-des-numéros-en-chiffres-romains.
Pour découvrir encore plus de textes avec ou sans titre, découvrez l'article de notre webzine L'Influx dédié à la poésie confinée.
Bonne journée.
Toute personne qui écrit de la poésie a le choix de donner ou non un titre a ses poèmes au sein d'un recueil. En remontant loin dans le passé, on s'aperçoit que les deux pratiques ont toujours coexisté, y compris dans l'oeuvre d'un même auteur.
Le recueil de sonnets L'Olive, publié vers 1550 par Joachim du Bellay, propose 115 sonnets
Prenons un autre exemple, tout aussi classique : la table des matières des Odes de Ronsard, présente des titres, qui sont, pour la plupart, des dédicaces ! Le propos du poème étant alors plus défini par la personne à qui il est dédié que par son contenu !
Notons que le titre d'un poème, surtout lorsqu'il s'agit de poésie ancienne, n'est pas toujours choisi par l'auteur : un célèbre poème de François Villon, non titré mais faisant partie du grand Testament poétique de l'auteur, a été connu sous au moins trois titres au cours de l'histoire de ses éditions successives :
"Dans le manuscrit Coisline, cette ballade n'a pas de titre et, dans l'anthologie Le Jardin de Plaisance et Fleur de rethoricque imprimé en 1501 par Antoine Vérard, elle est juste appelée Autre ballade. Elle est titrée Épitaphe Villon dans le manuscrit Fauchet et dans l'édition de 1489 de Pierre Levet, Épitaphe dudit Villon dans le Chansonnier de Rohan et Clément Marot dans son édition commentée de 1533 la nomme : Épitaphe en forme de ballade, que feit Villon pour luy & pour ses compaignons s'attendant à estre pendu avec eulx. Le titre moderne [Ballade des pendus] doit quant à lui être attribué aux romantiques et pose problème dans le sens où il dévoile trop tôt l'identité des narrateurs et compromet l'effet de surprise souhaité par Villon.
[...]
Les historiens et commentateurs de Villon se sont pour la plupart aujourd'hui résolus à désigner cette ballade par ses premiers mots : Freres humains,
(Source : Wikipédia)
Ces libertés prises dans les titres ne furent pas forcément arbitraires : dans l'article "Clément Marot et l'édition humaniste des œuvres de François Villon", paru en 1991 dans la revue Romania et consultable sur Persée, Catherine Dop-Miller montre que Marot, éditeur par ailleurs assez respectueux du texte d'origine pour son époque, a choisi très librement des titres, dans un but de clarté. Car si moins d'un siècle les séparaient, la société et la langues françaises avaient énormément évolué depuis la mort de Villon :
"Marot dit simplement dans son Prologue : « Quant aux titres, je les ai mieux attitrés ». Dans les éditions qui imitent celle de Pierre Levet, la plupart des ballades sont intitulées, selon la pratique courante au XVe siècle, « Ballade » et « Aultre Ballade ». Cependant, dans l'édition illustrée de 1489, de Pierre Levet, figurent au bas de gravures placées en tête ou en vis-à-vis de certaines ballades, les mentions, « La belle Heaulmiere », « Villon », « La vieille », « Beaulté d'amours » et « La grosse Margot » ; ces mentions, reprises dans les éditions non-illustrées, ont fonctionné comme des titres. Galliot du Pré a conservé la mention « Beaulté d'amours » et « La grosse Margot », les insérant dans les interstices du texte en manière de titre . Outre ces titres, apparaissent dans l'édition Galliot du Pré des titres longs à caractère descriptif et parfois narratif tels : « Comment Villon veoit en son advis la belle Heaulmiere en soy complaignant », « Autre ballade pour sa mère », « Oraison en forme de ballade » et « Ballade de sa rescription des femmes de Paris ». Les poèmes divers ont tous des titres de ce type : « Cause d'appel dudict Villon »., « Le Débat du cueur et du corps dudict Villon », « La Requeste que bailla en Parlement», etc. Plutôt que de supprimer ces titres, Marot va les modifier et va en introduire d'autres, mais uniquement où cela lui semble nécessaire. Ses titres ont une fonction très précise : ils sont de véritables commentaires et ils ont pour but d'expliquer au lecteur qui parle et quels sont le sujet et le réfèrent de chaque poème.
Un des exemples les plus nets est celui de la ballade. « Au point du jour, quand l'épervier se bat» (Test. 1362-1393), que Galliot du Pré intitulait « Ballade ». Dans son nouveau titre Marot fournit au lecteur les circonstances du poème, son destinataire et son sujet ou prétexte : « Ballade que Villon donna à ung gentil homme nouvellement marié, pour l'envoyer à son épouse par lui conquise à l'espée ».
Et qu'en est-il aujourd'hui ? Eh bien, les pratiques restent très diverses. Edith Azam titre volontiers ses poèmes, Katia Bouchoueva aussi... tandis que William Cliff dans la plupart de ses oeuvres et Pierre Vinclair dans Sans adresse perpétuent et modernisent la tradition du recueil-de-sonnets-désignés-par-des-numéros-en-chiffres-romains.
Pour découvrir encore plus de textes avec ou sans titre, découvrez l'article de notre webzine L'Influx dédié à la poésie confinée.
Bonne journée.
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