Question d'origine :
Bonjour,
Pourquoi Napoléon a-t-il voulu conquérir un empire? Mégalomania ou Haute idée de la France
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 08/08/2020 à 12h14
Bonjour,
Vous nous demandez quelles étaient les raisons qui ont poussé Napoléon à conquérir un empire. Il est toujours difficile de connaître les raisons intimes des gouvernants, et les témoins et historiens en sont généralement réduits aux interprétations, souvent contradictoires. Napoléon lui-même a largement participé à la création d’un personnage mythique, avant même son accès au pouvoir.
Voici ce qu’écrit à ce sujet Sylvain Pagé dans Le mythe Napoléonien, p.22-23 :
« Alors qu’il fait rapidement l’apprentissage du pouvoir et de la renommée durant cette première campagne d’Italie, Bonaparte peaufine son talent de propagandiste et met en place un système qui fera ses preuves des années durant. Dès cette époque, il semble avoir compris que, pour se réaliser, son ambition doit trouver un appui auprès des masses. Aussi, afin de faire connaitre ses exploits, il crée un journal qui, durant l’été 1797, inondera de ses nombreux tirages non seulement ses troupes, mais bientôt la France entière ».
Cet usage intensif de la propagande sera une constante du règne de Napoléon. Dans le même ouvrage, Sylvain Pagé écrit, p. 31 :
« C’est en faisant feu de tout bois que le pouvoir impérial parvient à installer l’empereur au centre de la vie intellectuelle et sociale de la France. Comment une telle mécanique a-t-elle pu fonctionner, a-t-on tendance à se demander à posteriori. Certes, à la fin de l’Empire, la désertion des élites et de la bourgeoisie accusera les limites de cette propagande. Pourtant, son échec à pérenniser les fondements du régime et à assurer sa survie ne peut occulter ce fait : qu’elle « n’en créait pas moins un climat d’adulation associant en permanence Napoléon à la France, à Dieu, aux héros antiques, le mettant hors du temps et de l’humanité. ». […] Adulé ou détesté, qu’importe, Statufié pour la postérité, plus grand que nature, Napoléon demeure et c’est là le mérite du dispositif mis en place par le principal intéressé ».
Le discours sur Napoléon n’a cessé d’osciller entre glorification et détestation jusqu’à nos jours.
Ainsi, Lucien Bonaparte, son frère, dit avoir « toujours démêlé dans Napoléon une ambition pas tout à fait égoïste mais qui surpasse en lui son amour pour le bien public ». (Napoléon, Walter Bruyere-Ostells, p.9)
Victor Hugo quant à lui, dans son discours de réception à l’académie française, insiste sur le rayonnement donné à la France par Napoléon.
« Au commencement de ce siècle, la France était pour les nations un magnifique spectacle. Un homme la remplissait alors et la faisait si grande qu’elle remplissait l’Europe. Cet homme, sorti de l’ombre, fils d’un pauvre gentilhomme corse, produit de deux républiques, par sa famille de la république de Florence, par lui-même de la république française, était arrivé en peu d’années à la plus haute royauté qui jamais peut-être ait étonné l’histoire. Il était prince par le génie, par la destinée, et par les actions. Tout en lui indiquait le possesseur légitime d’un pouvoir providentiel. Il avait eu pour lui les trois conditions suprêmes, l’événement, l’acclamation et la consécration. Une révolution l’avait enfanté, un peuple l’avait choisi, un pape l’avait couronné. Des rois et des généraux, marqués eux-mêmes par la fatalité, avaient reconnu en lui, avec l’instinct que leur donnait leur sombre et mystérieux avenir, l’élu du destin. […] Cet homme, après avoir été l’étoile d’une nation, en était devenu le soleil.°»
Plus près de nous, Lionel Jospin écrit dans Le mal napoléonien :
« J’examine si les quinze années fulgurantes du trajet du premier consul et de l’Empereur ont servi la France. Si elles ont été fructueuses pour l’Europe. À mesurer l’écart entre les ambitions proclamées, les moyens déployés, les sacrifices exigés et les résultats obtenus, la réponse est non. »
Alors que Jean d’Ormesson en prologue à son roman la conversation, proclame :
« Pourquoi Bonaparte ? La réponse est assez simple. Parce qu’il est le successeur d’Achille, de César, D’Alexandre le Grand. Parce qu’il change les cours de l’histoire et qu’il prépare le monde où nous vivons. Un échec mais éblouissant […]. Il est un mythe vivant, une légende qui se crée, un dieu en train de surgir. »
En ce qui concerne les raisons qui ont poussé Napoléon à fonder un Empire, on peut identifier plusieurs dimensions :
Sur le plan intérieur, la constitution d’un régime impérial par Napoléon est un moyen de renforcer son pouvoir et de conserver le soutient de la population. Le titre de roi étant encore difficilement acceptable, il se tourne donc vers celui d’empereur. Thierry Lentz écrit ainsi, dans Napoléon et la France:
« […]Il ne pouvait cependant prétendre succéder à Louis XVI, que les révolutionnaires appelaient le ‘dernier » roi. Il dirigea ses pensées vers la dignité d’empereur, pour devenir « le successeur de Charlemagne ». La propagande s’ébranla pour en faire accepter l’idée au plus grand nombre » (p.27)
« L’idée d’Empire n’effrayait pas une société pétrie de références romaines : les hommes de ce temps ne se considéraient pas comme des imitateurs des antiques mais comme leurs héritiers, voire comme des antiques authentiques. Dérivé de la notion d’Imperium Romanum, l’Empire était synonyme de « domination étatique sur un territoire » autant que de « monarchie ». […] On désigna encore par le terme d’empire les territoires placés sous la domination de la république. […]"
Napoléon prend toutefois en compte les inquiétudes que pourraient susciter sur le plan extérieur cette nomination :
« Il fût nommé Empereur des Français, ce qui signifiait qu’ il n’avait pas l’intention d’exercer son imperium sur d’autres que les Français. » On sait ce qu’il advint très vite de cet engagement. Quoi qu’il en soit, puisque la France n’était pas en guerre avec les puissances continentales au moment de la proclamation, on s’appliqua à les rassurer à la fois dans la titulature et dans les discours. » (Lentz, p.30)
Toutefois, la conquête de toujours plus de territoires est vite rendu nécessaire par la stratégie de blocus économique du Royaume-Uni, qui s’inscrit dans la continuité de la politique républicaine. Dans l’Empire des Français, Aurélien Lignereux écrit ainsi (p. 68-69) :
« Napoléon signe à Berlin, le 21 novembre 1806, une déclaration de guerre économique au Royaume-Uni, placé en état de blocus. Ce décret est la point culminant de la politique douanière amorcée depuis 1791, du protectionnisme jusqu’au prohibitionnisme appliqué depuis 1803 dans les ports de France ou sous occupation française. La nouveauté du décret de berlin tient à son échelle, puisque toute l’Europe est appelée à participer à l’asphyxie de l’économie britannique. […] Ce front douanier implique que la domination française soit incontestée sur le continent […] »
Pour aller plus loin dans vos réflexions sur cette question qui en appelle beaucoup d’autres, vous pouvez également consulter les nombreuses ressources proposées par le site internet de la fondation Napoléon ainsi que sa chaîne YouTube.
Vous pouvez également lire l’une des innombrables biographies de Napoléon, par exemple Napoléon Bonaparte : la nation incarnée, de Natalie Petiteau, ou piocher dans l’abondante bibliographie que Jean Tulard a consacrée à Napoléon.
Pour lire l’histoire napoléonienne du point de vue de son principal acteur, vous pouvez enfin vous plonger dans le mémorial de Sainte-Hélène, voire dans les monumentales Correspondances générales.
Nous vous souhaitons bonnes lectures,
Le département civilisation
Vous nous demandez quelles étaient les raisons qui ont poussé Napoléon à conquérir un empire. Il est toujours difficile de connaître les raisons intimes des gouvernants, et les témoins et historiens en sont généralement réduits aux interprétations, souvent contradictoires. Napoléon lui-même a largement participé à la création d’un personnage mythique, avant même son accès au pouvoir.
Voici ce qu’écrit à ce sujet Sylvain Pagé dans Le mythe Napoléonien, p.22-23 :
« Alors qu’il fait rapidement l’apprentissage du pouvoir et de la renommée durant cette première campagne d’Italie, Bonaparte peaufine son talent de propagandiste et met en place un système qui fera ses preuves des années durant. Dès cette époque, il semble avoir compris que, pour se réaliser, son ambition doit trouver un appui auprès des masses. Aussi, afin de faire connaitre ses exploits, il crée un journal qui, durant l’été 1797, inondera de ses nombreux tirages non seulement ses troupes, mais bientôt la France entière ».
Cet usage intensif de la propagande sera une constante du règne de Napoléon. Dans le même ouvrage, Sylvain Pagé écrit, p. 31 :
« C’est en faisant feu de tout bois que le pouvoir impérial parvient à installer l’empereur au centre de la vie intellectuelle et sociale de la France. Comment une telle mécanique a-t-elle pu fonctionner, a-t-on tendance à se demander à posteriori. Certes, à la fin de l’Empire, la désertion des élites et de la bourgeoisie accusera les limites de cette propagande. Pourtant, son échec à pérenniser les fondements du régime et à assurer sa survie ne peut occulter ce fait : qu’elle « n’en créait pas moins un climat d’adulation associant en permanence Napoléon à la France, à Dieu, aux héros antiques, le mettant hors du temps et de l’humanité. ». […] Adulé ou détesté, qu’importe, Statufié pour la postérité, plus grand que nature, Napoléon demeure et c’est là le mérite du dispositif mis en place par le principal intéressé ».
Le discours sur Napoléon n’a cessé d’osciller entre glorification et détestation jusqu’à nos jours.
Ainsi, Lucien Bonaparte, son frère, dit avoir « toujours démêlé dans Napoléon une ambition pas tout à fait égoïste mais qui surpasse en lui son amour pour le bien public ». (Napoléon, Walter Bruyere-Ostells, p.9)
Victor Hugo quant à lui, dans son discours de réception à l’académie française, insiste sur le rayonnement donné à la France par Napoléon.
« Au commencement de ce siècle, la France était pour les nations un magnifique spectacle. Un homme la remplissait alors et la faisait si grande qu’elle remplissait l’Europe. Cet homme, sorti de l’ombre, fils d’un pauvre gentilhomme corse, produit de deux républiques, par sa famille de la république de Florence, par lui-même de la république française, était arrivé en peu d’années à la plus haute royauté qui jamais peut-être ait étonné l’histoire. Il était prince par le génie, par la destinée, et par les actions. Tout en lui indiquait le possesseur légitime d’un pouvoir providentiel. Il avait eu pour lui les trois conditions suprêmes, l’événement, l’acclamation et la consécration. Une révolution l’avait enfanté, un peuple l’avait choisi, un pape l’avait couronné. Des rois et des généraux, marqués eux-mêmes par la fatalité, avaient reconnu en lui, avec l’instinct que leur donnait leur sombre et mystérieux avenir, l’élu du destin. […] Cet homme, après avoir été l’étoile d’une nation, en était devenu le soleil.°»
Plus près de nous, Lionel Jospin écrit dans Le mal napoléonien :
« J’examine si les quinze années fulgurantes du trajet du premier consul et de l’Empereur ont servi la France. Si elles ont été fructueuses pour l’Europe. À mesurer l’écart entre les ambitions proclamées, les moyens déployés, les sacrifices exigés et les résultats obtenus, la réponse est non. »
Alors que Jean d’Ormesson en prologue à son roman la conversation, proclame :
« Pourquoi Bonaparte ? La réponse est assez simple. Parce qu’il est le successeur d’Achille, de César, D’Alexandre le Grand. Parce qu’il change les cours de l’histoire et qu’il prépare le monde où nous vivons. Un échec mais éblouissant […]. Il est un mythe vivant, une légende qui se crée, un dieu en train de surgir. »
En ce qui concerne les raisons qui ont poussé Napoléon à fonder un Empire, on peut identifier plusieurs dimensions :
Sur le plan intérieur, la constitution d’un régime impérial par Napoléon est un moyen de renforcer son pouvoir et de conserver le soutient de la population. Le titre de roi étant encore difficilement acceptable, il se tourne donc vers celui d’empereur. Thierry Lentz écrit ainsi, dans Napoléon et la France:
« […]Il ne pouvait cependant prétendre succéder à Louis XVI, que les révolutionnaires appelaient le ‘dernier » roi. Il dirigea ses pensées vers la dignité d’empereur, pour devenir « le successeur de Charlemagne ». La propagande s’ébranla pour en faire accepter l’idée au plus grand nombre » (p.27)
« L’idée d’Empire n’effrayait pas une société pétrie de références romaines : les hommes de ce temps ne se considéraient pas comme des imitateurs des antiques mais comme leurs héritiers, voire comme des antiques authentiques. Dérivé de la notion d’Imperium Romanum, l’Empire était synonyme de « domination étatique sur un territoire » autant que de « monarchie ». […] On désigna encore par le terme d’empire les territoires placés sous la domination de la république. […]"
Napoléon prend toutefois en compte les inquiétudes que pourraient susciter sur le plan extérieur cette nomination :
« Il fût nommé Empereur des Français, ce qui signifiait qu’ il n’avait pas l’intention d’exercer son imperium sur d’autres que les Français. » On sait ce qu’il advint très vite de cet engagement. Quoi qu’il en soit, puisque la France n’était pas en guerre avec les puissances continentales au moment de la proclamation, on s’appliqua à les rassurer à la fois dans la titulature et dans les discours. » (Lentz, p.30)
Toutefois, la conquête de toujours plus de territoires est vite rendu nécessaire par la stratégie de blocus économique du Royaume-Uni, qui s’inscrit dans la continuité de la politique républicaine. Dans l’Empire des Français, Aurélien Lignereux écrit ainsi (p. 68-69) :
« Napoléon signe à Berlin, le 21 novembre 1806, une déclaration de guerre économique au Royaume-Uni, placé en état de blocus. Ce décret est la point culminant de la politique douanière amorcée depuis 1791, du protectionnisme jusqu’au prohibitionnisme appliqué depuis 1803 dans les ports de France ou sous occupation française. La nouveauté du décret de berlin tient à son échelle, puisque toute l’Europe est appelée à participer à l’asphyxie de l’économie britannique. […] Ce front douanier implique que la domination française soit incontestée sur le continent […] »
Pour aller plus loin dans vos réflexions sur cette question qui en appelle beaucoup d’autres, vous pouvez également consulter les nombreuses ressources proposées par le site internet de la fondation Napoléon ainsi que sa chaîne YouTube.
Vous pouvez également lire l’une des innombrables biographies de Napoléon, par exemple Napoléon Bonaparte : la nation incarnée, de Natalie Petiteau, ou piocher dans l’abondante bibliographie que Jean Tulard a consacrée à Napoléon.
Pour lire l’histoire napoléonienne du point de vue de son principal acteur, vous pouvez enfin vous plonger dans le mémorial de Sainte-Hélène, voire dans les monumentales Correspondances générales.
Nous vous souhaitons bonnes lectures,
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