Question d'origine :
Qu'est-ce que le rétrofuturisme ?
Et la rétro-prospective ?
Y a-t-il des penseurs, des écrivains ou des œuvres canoniques liés à ces concepts ?
Est-ce utilisé en philosophie ?
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 09/09/2020 à 09h55
Bonjour,
Voici la définition que donne le Larousse durétrofuturisme :
« Genre ou esthétique qui s’inspirent de la science-fiction et de ses codes, combinant des références au passé et des éléments futuristes (dans la littérature, la bande dessinée, l’architecture ou la mode). »
Si cette définition a pour elle de mettre en exergue la pluridisciplinarité de la notion, elle est quelque peu imprécise, et nous la complèteront avec celle que donne l’ouvrage Rétro-futur [Livre] / Raphaël Colson ; avec la collaboration de Vincent Ackermann, David Alvarez [et al.] :
« Un passé qui aurait pu être et un futur qui n’a pas eu lieu : le terme rétro-futurisme recouvre un courant esthétique apparu au début des années 1980, au fort accent post-moderne et aux ramifications fictionnelles portant les noms de steampunk, dieselpunk et atompunk. Dernière esthétique produite par l’imaginaire futuriste américain, aux côtés du cyberpunk, le rétro-futurisme s’est imposé comme l’une des grandes tendances culturelles des années 2000, révélant notamment une nostalgie pour un passé où l’Amérique créait le futur. Les représentants de ce courant se plaisent à revitaliser les vieux rêves futuristes de l’imaginaire populaire américain (pulps, serials, etc.). »
L’esthétique rétro-futuriste s’inspire donc d’anciennes représentations du futur, par les artistes de la fin du XIXe-début du XXe siècle pour le steampunk, ceux de l’entre-deux guerres pour le dieselpunk, et ceux des années 50-60 pour l’atompunk. Les technologies propres à ces époques structurant évidemment cet imaginaire, comme l’explique très bien un article de la RTBF sur la communauté steampunk :
« "Tout part de ce qu'on appelle un uchronisme, une réalité alternative basée sur un seul aspect de notre passé qui a tout changé, décrit Lord Tobias, aka Armand. C'est comme si le monde que nous connaissons vivait un futur totalement différent car nous n'avons jamais réussi à utiliser le pétrole, inventé le plastique". Dans ce monde, la technologie s'articule autour de rouages géants, de machines à vapeur et d'armes imaginaires, une projection sur une autre ligne du temps.
La vapeur, la force motrice au centre du steampunk. Tout y fonctionne de la voiture à l'ordinateur. Le steampunk c'est le monde imaginé et exploité par des auteurs comme Herbert George Wells (et Jules Verne donc) mais aussi visité régulièrement par les réalisateurs de cinéma. Pensez aux Sherlock Holmes de Guy Ritchie avec Robert Downey Jr. ou encore Wild Wild West avec Will Smith, les exemples ne manquent pas. A chaque fois ce même esprit rétro-futuriste punk et des personnages hauts en couleurs: "C'est une question d'esthétique je pense, soutient Mortimer Pinkleton qui refuse de donner son véritable nom. Les gens sont séduits par cet univers et chacun se crée son propre personnage alternative et peuvent être ce qu'ils veulent. Alchimiste, brigand ou pirate, les gens s'évadent à travers un alter-égo".
La culture rétro-futuriste est un monde esthétique et philosophique foisonnant, et on ne saurait lui rendre justice dans l’espace d’une réponse du Guichet du savoir. L’ouvrage de Raphaël Colson cité plus haut fait la part belle à des œuvres et des univers aussi divers que Star trek, Blade runner, Flash Gordon, Rocketeer, Futurama, Lobster Johnson (et d’une manière générale les œuvres de Mike Mignola), ou encore Batman et Superman.
Vous trouverez d’autres références – notamment françaises – dans « À TOUTE VAPEUR : voyage en pays Steampunk ! », numéro de l’émissionMauvais genres diffusée le 5 décembre 2015 sur France culture :
- La France steampunk [Livre] : 187, la grande machine / textes Étienne Barillier & Arthur Morgan ; photographies de Nicolas Meunier
- Moriarty [Livre] / : le chien des d'Uberville / Kim Newman ; traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Leslie Damant-Jeandel
- Metropolis de Fritz Lang
- Feuillets de cuivre [Livre] / Fabien Clavel
- Avril et le monde truqué [D.V.D.] / réal. de Christian Desmares & Franck Ekinci ; d'après l'oeuvre de Jacques Tardi ; scénario de Franck Ekinci, Benjamin Legrand ; mus. de Valentin Hadjadj
- Bunker de la dernière rafale de Caro et Jeunet.
Nombre de ces références sont des films ou des bandes dessinées. De fait, le rétro-futurisme, qu’il soit à vapeur, au diesel ou au nucléaire, c’est d’abord un univers visuel. Cet univers a donné lieu en 2012 à l’exposition Futur antérieur à la galerie d’Agnès B.. La page dédiée sur son site donne déjà une bonne idée cette esthétique, mais surtout, l’événement a donné lieu à la publication d’un très beau catalogue d’exposition, Futur antérieur [Livre] : rétrofuturisme, steampunk & archémodernisme = Perfect future : exposition, Paris, Galerie du Jour Agnès B., 23 mars -26 mai 2012 / sous la direction de Jean-François Sanz. S’y côtoient des auteurs et dessinateurs de la fin du XIXe et du début du XXs siècle avec des artistes contemporains tels que Bill Domonkos, Plonk & Replonk, Matthew Buchholz, Sam Van Olffen, Keith Thompson, et beaucoup d’autres.
Voici le compte-rendu de l’exposition par un contributeur de la revue ReS Futurae (lisible sur hypotheses.org) :
« L’esthétique du rétro-futurisme s’inspire essentiellement des précurseurs de la science-fiction, d’œuvres illustratives de ce que nous appelons l’anticipation ancienne ou la proto science-fiction: l’exposition présente des illustrations de La Fin du Monde, de L’Astronomie populaire de Camille Flammarion (Henri Lanos en 1905 pour la revue Je sais tout et Charles Barbant pour les éditions Flammarion en 1881), des photogrammes tirés du Voyage dans la lune de Georges Méliès (Collection de la Cinémathèque française), les gravures de Léon Bennett ou d’Emile Bayard pour Les Voyages extraordinaires de Jules Verne (Collection Hetzel), les aquarelles intemporelles d’Albert Robida, comme « La Sortie de l’opéra en l’an 2000 » ou encore l’illustration de couverture du roman de Léon Groc, On a volé la Tour Eiffel par Henri Armengol en 1923. A la fin du XIXème et au début du XXème siècle la science ouvrait des horizons immenses et prometteurs, laissant libre cours à une imagination débordante, en rupture totale avec le rationalisme. Nous regardons dès lors avec un regard fasciné cette conception très avant-gardiste d’un monde imaginaire déconcertant. Chaque œuvre mélange un concept futuriste à un cadre désuet, nous rappelant combien le futur et le passé peuvent être imbriqués et marqués par le paradoxe temporel. »
Pour compléter cette liste, voyez nos précédentes réponses Roman steampunk et littérature de genre et peanny dreadful, proposant des suggestions de lectures clairement steampunk.
Quant aux dimensions philosophiques du rétro-futurisme, nous vous renvoyons à l’article d’Elie During, « Ce que nous apprend le rétro-futurisme » (2013), paru dans l’L'ange de l'histoire [Livre] : exposition du 25 avril au 7 juillet 2013, au Palais des Beaux-Arts de Paris / sous la direction de Nicolas Bourriaud ; textes par Jean-Yves Jouannais, Léa Bismuth, et Alii. Selon cet article, le genre nous invite à redéfinir notre rapport au temps :
« À la faveur d’un curieux mouvement de torsion sur soi du présent, la conscience s’arcboute parfois sur le passé pour produire un circuit parallèle au temps historique. Elle projette sur le présent un fantôme de futur, véritablement Unheimlich. C’est comme s’il y avait un futur du passé doublant à chaque instant la perception présente. Ce n’est pas le souvenir du présent que décrivait Bergson, le souvenir immédiat redoublant virtuellement chaque perception, c’est le présent doublé par la projection d’un futur du passé qui, à la rigueur, peut n’avoir pas d’autre contenu que le présent lui-même. L’effet faux-vintage d’Instagram, qui permet à n’importe quelle photographie numérique d’acquérir instantanément la patine d’un vieux Polaroïd, offre une illustration frappante de cette appréhension spectrale du présent comme rémanence ou écho atténué du passé dans la forme générique du futur. Il y aurait ainsi une anticipation ou une projection du présent, un écho futur du présent, comme il y a, selon Bergson, un souvenir du présent. Le présent pourrait être anticipé en même temps qu’il est vécu ; il pourrait être saisi comme à venir, projeté en même temps qu’il se fait – mais projeté en quelque sorte dans notre dos, comme les dernières lueurs d’un temps révolu.
[…]
Qu’on se le figure comme un existant en réserve (un possible), ou comme une réalité simplement projetée (un projet), le futur est dans tous les cas déterminé comme du présent à venir. Et cette subordination au présent aboutit inéluctablement à dévaluer le futur comme un mode de l’irréel. Tout change si l’on se soucie au contraire du mode d’existence singulier du futur, en tant qu’il implique davantage que le simple fait de n’être pas encore. L’avenir, d’une certaine façon, ne nous attend pas : il est déjà actif, et de mille façons, au-delà des représentations que nous en formons, au-delà des promesses et des peurs. Si le rétro-futurisme montre quelque chose, c’est que le futur est une force insinuante qui ne cesse de défaire l’évidence du présent. On n’est pas condamné à définir le futur, tantôt comme un inexistant, un présent à venir, tantôt comme la forme que prend la somme de nos projets.
Entre un état de choses objectif mais indéterminé (ce qui sera mais qu’on ne connaît pas, le présent à venir), et un état de choses déterminé mais subjectif (une représentation, un projet, un acte intentionnel), il n’y a pas à choisir. Le futur peut être objectif et déterminé, pourvu qu’on le rapporte à son opération propre dans un temps plus délié que celui de nos calendriers ou de nos chroniques historiques. Sous le Paris d’Haussmann, Benjamin découvrait dans les années 1920 le Paris de Baudelaire, mais aussi celui de Grandville et Daumier dans leurs moments visionnaires, c’est-à-dire le futur de ce Paris-là : toute une stratification d’images, de rêveries, de fantasmagories, qu’un regard attentif peut traquer dans l’ordre des représentations, mais aussi dans la culture matérielle et les processus historiques. Le présent renferme ainsi, à l’état de superposition, des propositions de futurs alternatifs attachés à des passés de profondeur variable. Chaque exposition universelle récapitule à sa façon les futurs de toutes les autres, en y ajoutant le sien.
Ce thème de la simultanéité du non-simultané est bien connu, comme l’est celui de l’image dialectique – image explosive, montage de temps disjonctifs. On se contentera d’en retenir l’idée suivante : ce qui vaut des survivances archaïques ou des états anachroniques de l’image doit valoir aussi des futurs du passé, envisagés non seulement comme résidus pittoresques de projets et de rêves abandonnés, mais comme indices d’une présence effective, d’une activité sourde et continue d’interpolation du temps lui-même. Ce temps attend lui aussi son mode grammatical : non pas le futur antérieur («future perfect », en anglais), mais le futur antérieur du passé («past future perfect »).
Dans l’inconscient d’une société flottent ainsi des concrétions de futur, des lignes de futurition errantes, libérées de l’ordre linéaire des présents successifs. Toujours rattachées par quelque fil ténu au processus historique, elles dérivent à proportion que s’éloigne la perspective de leur réalisation. Le dirigeable, objet rétro-futuriste par excellence (voyez celui de Panamarenko), en serait une assez bonne métaphore, comme les structures gonflables en général. Ces futurs flottants – dans les limbes, en quelque sorte – ne sont nullement désactivés pour autant. Même furtifs, ils sont chargés d’une énergie de réserve. Leur mode de présence admet des intensités variables, mais ils n’attendent pas, pour disséminer leurs effets, que nous les visions délibérément sous la forme du projet. »
Google Scholar référence d’ailleurs de très nombreux articles se servant du rétro-futurisme comme point de départ, toutes disciplines confondues… d’après l’article « Le rétrofuturisme en clinique familiale » (Anne Loncan, Le Divan familial 2017/2 (N° 39), consultable sur Cairn en bibliothèque), même la pratique psychanalytique a beaucoup à apprendre des futurs à vapeur !
Si le rétro-futurisme est une manière de se réapproprier, dans l’art, d’anciennes façons de penser l’avenir, larétroperspective semble dériver du même mouvement, mais appliqué à la stratégie – politique, commerciale ou autre. C’est du moins ce qui ressort de la définition donnée par Thierry Fusalba sur le site Sense making :
« La gestion des crises modernes nécessite de considérer leur processus dans le cadre d’une approche globale et non strictement limitée à leur manifestation paroxystique. Dans cette optique, la prévention permet d’en limiter en partie l’occurrence. En effet, l’étude des archives, dans le cadre du retour d’expérience, favorise l’émergence de scénarios et, par le biais d’entrainements aussi réalistes que possible, l’organisation accroît sa résilience. Or, celle-ci est presque toujours tournée vers l’avenir, afin d’atteindre ses objectifs stratégiques malgré les changements d’environnement ; lorsqu’ étude du passé il y a, celle-ci se concentre essentiellement sur les précédents qu’elle a connu, parfois ceux de la concurrence. Si l’on estime qu’une approche globale est nécessaire dans la prévention des crises actuelles, alors une étude globale du passé est impérative, afin d’en tirer des leçons utiles pour l’avenir. Ce domaine est malheureusement encore peu développé. Il ne s’agit pas d’une pure prospective, qui se limite à l’observation du moment et du domaine concernés. Il ne s’agit pas non plus d’une rétrospective, qui se contente de lister les événements terminés, sans en tirer d’enseignements stratégiques. Il s’agit de la rétro-prospective, nom barbare, qui fusionne les deux notions précédentes, ouvrant l’étude du passé sur un plan spatial et temporel, afin de couvrir tous les aspects que des crises futures peuvent prendre. »
Pour aller plus loin :
- Le guide steampunk [Livre] / présenté par Étienne Barillier & Arthur Morgan
- Steampunk ! [Livre] : l'esthétique rétro-futur / Etienne Barillier ; avec la collaboration de Raphaël Colson et André-François Ruaud
- Rétrofictions [Livre] : encyclopédie de la conjecture romanesque rationnelle francophone, de Rabelais à Barjavel, 1532-1951 / Guy Coste & Joseph Altairac ; avec la collaboration de Philippe Ethuin ...
- Spécial Steampunk [Revue] / Johan Héliot, Jeanne A-Debats, Luis Astolfi... [et al;] ; Thomas Bauduret et Thomas Riquet, rédacteurs en chef
- Rétro-futur [Livre] / Raphaël Colson ; avec la collaboration de Vincent Ackermann, David Alvarez, Bastien B. ... [et al.]
- L'atelier steampunk [Livre] : le guide de référence incontournable, les DIY secrets expliqués pas à pas / [réalisé par Steampunk oriental laboratory] ; [traduction Laetitia Citroen]
- Le manuel steampunk [Livre] : guide illustré pratique et excentrique pour la création de rêves rétrofuturistes / Desirina Boskovich et Jeff Vandermeer ; traduit de l'anglais (États-Unis) par Olivie... [/ur]
- Sébastien Fevry, « Entre rétro et futurisme. Le zeppelin dans la culture visuelle contemporaine » sur
Bonne journée.
Voici la définition que donne le Larousse du
« Genre ou esthétique qui s’inspirent de la science-fiction et de ses codes, combinant des références au passé et des éléments futuristes (dans la littérature, la bande dessinée, l’architecture ou la mode). »
Si cette définition a pour elle de mettre en exergue la pluridisciplinarité de la notion, elle est quelque peu imprécise, et nous la complèteront avec celle que donne l’ouvrage Rétro-futur [Livre] / Raphaël Colson ; avec la collaboration de Vincent Ackermann, David Alvarez [et al.] :
« Un passé qui aurait pu être et un futur qui n’a pas eu lieu : le terme rétro-futurisme recouvre un courant esthétique apparu au début des années 1980, au fort accent post-moderne et aux ramifications fictionnelles portant les noms de steampunk, dieselpunk et atompunk. Dernière esthétique produite par l’imaginaire futuriste américain, aux côtés du cyberpunk, le rétro-futurisme s’est imposé comme l’une des grandes tendances culturelles des années 2000, révélant notamment une nostalgie pour un passé où l’Amérique créait le futur. Les représentants de ce courant se plaisent à revitaliser les vieux rêves futuristes de l’imaginaire populaire américain (pulps, serials, etc.). »
L’esthétique rétro-futuriste s’inspire donc d’anciennes représentations du futur, par les artistes de la fin du XIXe-début du XXe siècle pour le steampunk, ceux de l’entre-deux guerres pour le dieselpunk, et ceux des années 50-60 pour l’atompunk. Les technologies propres à ces époques structurant évidemment cet imaginaire, comme l’explique très bien un article de la RTBF sur la communauté steampunk :
« "Tout part de ce qu'on appelle un uchronisme, une réalité alternative basée sur un seul aspect de notre passé qui a tout changé, décrit Lord Tobias, aka Armand. C'est comme si le monde que nous connaissons vivait un futur totalement différent car nous n'avons jamais réussi à utiliser le pétrole, inventé le plastique". Dans ce monde, la technologie s'articule autour de rouages géants, de machines à vapeur et d'armes imaginaires, une projection sur une autre ligne du temps.
La vapeur, la force motrice au centre du steampunk. Tout y fonctionne de la voiture à l'ordinateur. Le steampunk c'est le monde imaginé et exploité par des auteurs comme Herbert George Wells (et Jules Verne donc) mais aussi visité régulièrement par les réalisateurs de cinéma. Pensez aux Sherlock Holmes de Guy Ritchie avec Robert Downey Jr. ou encore Wild Wild West avec Will Smith, les exemples ne manquent pas. A chaque fois ce même esprit rétro-futuriste punk et des personnages hauts en couleurs: "C'est une question d'esthétique je pense, soutient Mortimer Pinkleton qui refuse de donner son véritable nom. Les gens sont séduits par cet univers et chacun se crée son propre personnage alternative et peuvent être ce qu'ils veulent. Alchimiste, brigand ou pirate, les gens s'évadent à travers un alter-égo".
La culture rétro-futuriste est un monde esthétique et philosophique foisonnant, et on ne saurait lui rendre justice dans l’espace d’une réponse du Guichet du savoir. L’ouvrage de Raphaël Colson cité plus haut fait la part belle à des œuvres et des univers aussi divers que Star trek, Blade runner, Flash Gordon, Rocketeer, Futurama, Lobster Johnson (et d’une manière générale les œuvres de Mike Mignola), ou encore Batman et Superman.
Vous trouverez d’autres références – notamment françaises – dans « À TOUTE VAPEUR : voyage en pays Steampunk ! », numéro de l’émission
- La France steampunk [Livre] : 187, la grande machine / textes Étienne Barillier & Arthur Morgan ; photographies de Nicolas Meunier
- Moriarty [Livre] / : le chien des d'Uberville / Kim Newman ; traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Leslie Damant-Jeandel
- Metropolis de Fritz Lang
- Feuillets de cuivre [Livre] / Fabien Clavel
- Avril et le monde truqué [D.V.D.] / réal. de Christian Desmares & Franck Ekinci ; d'après l'oeuvre de Jacques Tardi ; scénario de Franck Ekinci, Benjamin Legrand ; mus. de Valentin Hadjadj
- Bunker de la dernière rafale de Caro et Jeunet.
Nombre de ces références sont des films ou des bandes dessinées. De fait, le rétro-futurisme, qu’il soit à vapeur, au diesel ou au nucléaire, c’est d’abord un univers visuel. Cet univers a donné lieu en 2012 à l’exposition Futur antérieur à la galerie d’Agnès B.. La page dédiée sur son site donne déjà une bonne idée cette esthétique, mais surtout, l’événement a donné lieu à la publication d’un très beau catalogue d’exposition, Futur antérieur [Livre] : rétrofuturisme, steampunk & archémodernisme = Perfect future : exposition, Paris, Galerie du Jour Agnès B., 23 mars -26 mai 2012 / sous la direction de Jean-François Sanz. S’y côtoient des auteurs et dessinateurs de la fin du XIXe et du début du XXs siècle avec des artistes contemporains tels que Bill Domonkos, Plonk & Replonk, Matthew Buchholz, Sam Van Olffen, Keith Thompson, et beaucoup d’autres.
Voici le compte-rendu de l’exposition par un contributeur de la revue ReS Futurae (lisible sur hypotheses.org) :
« L’esthétique du rétro-futurisme s’inspire essentiellement des précurseurs de la science-fiction, d’œuvres illustratives de ce que nous appelons l’anticipation ancienne ou la proto science-fiction: l’exposition présente des illustrations de La Fin du Monde, de L’Astronomie populaire de Camille Flammarion (Henri Lanos en 1905 pour la revue Je sais tout et Charles Barbant pour les éditions Flammarion en 1881), des photogrammes tirés du Voyage dans la lune de Georges Méliès (Collection de la Cinémathèque française), les gravures de Léon Bennett ou d’Emile Bayard pour Les Voyages extraordinaires de Jules Verne (Collection Hetzel), les aquarelles intemporelles d’Albert Robida, comme « La Sortie de l’opéra en l’an 2000 » ou encore l’illustration de couverture du roman de Léon Groc, On a volé la Tour Eiffel par Henri Armengol en 1923. A la fin du XIXème et au début du XXème siècle la science ouvrait des horizons immenses et prometteurs, laissant libre cours à une imagination débordante, en rupture totale avec le rationalisme. Nous regardons dès lors avec un regard fasciné cette conception très avant-gardiste d’un monde imaginaire déconcertant. Chaque œuvre mélange un concept futuriste à un cadre désuet, nous rappelant combien le futur et le passé peuvent être imbriqués et marqués par le paradoxe temporel. »
Pour compléter cette liste, voyez nos précédentes réponses Roman steampunk et littérature de genre et peanny dreadful, proposant des suggestions de lectures clairement steampunk.
Quant aux dimensions philosophiques du rétro-futurisme, nous vous renvoyons à l’article d’Elie During, « Ce que nous apprend le rétro-futurisme » (2013), paru dans l’L'ange de l'histoire [Livre] : exposition du 25 avril au 7 juillet 2013, au Palais des Beaux-Arts de Paris / sous la direction de Nicolas Bourriaud ; textes par Jean-Yves Jouannais, Léa Bismuth, et Alii. Selon cet article, le genre nous invite à redéfinir notre rapport au temps :
« À la faveur d’un curieux mouvement de torsion sur soi du présent, la conscience s’arcboute parfois sur le passé pour produire un circuit parallèle au temps historique. Elle projette sur le présent un fantôme de futur, véritablement Unheimlich. C’est comme s’il y avait un futur du passé doublant à chaque instant la perception présente. Ce n’est pas le souvenir du présent que décrivait Bergson, le souvenir immédiat redoublant virtuellement chaque perception, c’est le présent doublé par la projection d’un futur du passé qui, à la rigueur, peut n’avoir pas d’autre contenu que le présent lui-même. L’effet faux-vintage d’Instagram, qui permet à n’importe quelle photographie numérique d’acquérir instantanément la patine d’un vieux Polaroïd, offre une illustration frappante de cette appréhension spectrale du présent comme rémanence ou écho atténué du passé dans la forme générique du futur. Il y aurait ainsi une anticipation ou une projection du présent, un écho futur du présent, comme il y a, selon Bergson, un souvenir du présent. Le présent pourrait être anticipé en même temps qu’il est vécu ; il pourrait être saisi comme à venir, projeté en même temps qu’il se fait – mais projeté en quelque sorte dans notre dos, comme les dernières lueurs d’un temps révolu.
[…]
Qu’on se le figure comme un existant en réserve (un possible), ou comme une réalité simplement projetée (un projet), le futur est dans tous les cas déterminé comme du présent à venir. Et cette subordination au présent aboutit inéluctablement à dévaluer le futur comme un mode de l’irréel. Tout change si l’on se soucie au contraire du mode d’existence singulier du futur, en tant qu’il implique davantage que le simple fait de n’être pas encore. L’avenir, d’une certaine façon, ne nous attend pas : il est déjà actif, et de mille façons, au-delà des représentations que nous en formons, au-delà des promesses et des peurs. Si le rétro-futurisme montre quelque chose, c’est que le futur est une force insinuante qui ne cesse de défaire l’évidence du présent. On n’est pas condamné à définir le futur, tantôt comme un inexistant, un présent à venir, tantôt comme la forme que prend la somme de nos projets.
Entre un état de choses objectif mais indéterminé (ce qui sera mais qu’on ne connaît pas, le présent à venir), et un état de choses déterminé mais subjectif (une représentation, un projet, un acte intentionnel), il n’y a pas à choisir. Le futur peut être objectif et déterminé, pourvu qu’on le rapporte à son opération propre dans un temps plus délié que celui de nos calendriers ou de nos chroniques historiques. Sous le Paris d’Haussmann, Benjamin découvrait dans les années 1920 le Paris de Baudelaire, mais aussi celui de Grandville et Daumier dans leurs moments visionnaires, c’est-à-dire le futur de ce Paris-là : toute une stratification d’images, de rêveries, de fantasmagories, qu’un regard attentif peut traquer dans l’ordre des représentations, mais aussi dans la culture matérielle et les processus historiques. Le présent renferme ainsi, à l’état de superposition, des propositions de futurs alternatifs attachés à des passés de profondeur variable. Chaque exposition universelle récapitule à sa façon les futurs de toutes les autres, en y ajoutant le sien.
Ce thème de la simultanéité du non-simultané est bien connu, comme l’est celui de l’image dialectique – image explosive, montage de temps disjonctifs. On se contentera d’en retenir l’idée suivante : ce qui vaut des survivances archaïques ou des états anachroniques de l’image doit valoir aussi des futurs du passé, envisagés non seulement comme résidus pittoresques de projets et de rêves abandonnés, mais comme indices d’une présence effective, d’une activité sourde et continue d’interpolation du temps lui-même. Ce temps attend lui aussi son mode grammatical : non pas le futur antérieur («future perfect », en anglais), mais le futur antérieur du passé («past future perfect »).
Dans l’inconscient d’une société flottent ainsi des concrétions de futur, des lignes de futurition errantes, libérées de l’ordre linéaire des présents successifs. Toujours rattachées par quelque fil ténu au processus historique, elles dérivent à proportion que s’éloigne la perspective de leur réalisation. Le dirigeable, objet rétro-futuriste par excellence (voyez celui de Panamarenko), en serait une assez bonne métaphore, comme les structures gonflables en général. Ces futurs flottants – dans les limbes, en quelque sorte – ne sont nullement désactivés pour autant. Même furtifs, ils sont chargés d’une énergie de réserve. Leur mode de présence admet des intensités variables, mais ils n’attendent pas, pour disséminer leurs effets, que nous les visions délibérément sous la forme du projet. »
Google Scholar référence d’ailleurs de très nombreux articles se servant du rétro-futurisme comme point de départ, toutes disciplines confondues… d’après l’article « Le rétrofuturisme en clinique familiale » (Anne Loncan, Le Divan familial 2017/2 (N° 39), consultable sur Cairn en bibliothèque), même la pratique psychanalytique a beaucoup à apprendre des futurs à vapeur !
Si le rétro-futurisme est une manière de se réapproprier, dans l’art, d’anciennes façons de penser l’avenir, la
« La gestion des crises modernes nécessite de considérer leur processus dans le cadre d’une approche globale et non strictement limitée à leur manifestation paroxystique. Dans cette optique, la prévention permet d’en limiter en partie l’occurrence. En effet, l’étude des archives, dans le cadre du retour d’expérience, favorise l’émergence de scénarios et, par le biais d’entrainements aussi réalistes que possible, l’organisation accroît sa résilience. Or, celle-ci est presque toujours tournée vers l’avenir, afin d’atteindre ses objectifs stratégiques malgré les changements d’environnement ; lorsqu’ étude du passé il y a, celle-ci se concentre essentiellement sur les précédents qu’elle a connu, parfois ceux de la concurrence. Si l’on estime qu’une approche globale est nécessaire dans la prévention des crises actuelles, alors une étude globale du passé est impérative, afin d’en tirer des leçons utiles pour l’avenir. Ce domaine est malheureusement encore peu développé. Il ne s’agit pas d’une pure prospective, qui se limite à l’observation du moment et du domaine concernés. Il ne s’agit pas non plus d’une rétrospective, qui se contente de lister les événements terminés, sans en tirer d’enseignements stratégiques. Il s’agit de la rétro-prospective, nom barbare, qui fusionne les deux notions précédentes, ouvrant l’étude du passé sur un plan spatial et temporel, afin de couvrir tous les aspects que des crises futures peuvent prendre. »
- Le guide steampunk [Livre] / présenté par Étienne Barillier & Arthur Morgan
- Steampunk ! [Livre] : l'esthétique rétro-futur / Etienne Barillier ; avec la collaboration de Raphaël Colson et André-François Ruaud
- Rétrofictions [Livre] : encyclopédie de la conjecture romanesque rationnelle francophone, de Rabelais à Barjavel, 1532-1951 / Guy Coste & Joseph Altairac ; avec la collaboration de Philippe Ethuin ...
- Spécial Steampunk [Revue] / Johan Héliot, Jeanne A-Debats, Luis Astolfi... [et al;] ; Thomas Bauduret et Thomas Riquet, rédacteurs en chef
- Rétro-futur [Livre] / Raphaël Colson ; avec la collaboration de Vincent Ackermann, David Alvarez, Bastien B. ... [et al.]
- L'atelier steampunk [Livre] : le guide de référence incontournable, les DIY secrets expliqués pas à pas / [réalisé par Steampunk oriental laboratory] ; [traduction Laetitia Citroen]
- Le manuel steampunk [Livre] : guide illustré pratique et excentrique pour la création de rêves rétrofuturistes / Desirina Boskovich et Jeff Vandermeer ; traduit de l'anglais (États-Unis) par Olivie... [/ur]
- Sébastien Fevry, « Entre rétro et futurisme. Le zeppelin dans la culture visuelle contemporaine » sur
Bonne journée.
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