Question d'origine :
Bonjour, J'aimerais savoir à partir de combien de grain pouvons nous parler de tas ? (par exemple un tas de sable, de cailloux...) Merci beaucoup !
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 29/04/2021 à 10h41
Bonjour,
Le Guichet du Savoir n'a pas la prétention de résoudre les paradoxes formulés par les philosophes socratiques de l'école mégarique !
En effet, vous nous posez là, la question du paradoxe du sorite défini par Eubulide, Euboulide ou Euboulidès au IVe siècle avant J.-C.. Il conclut à l'impossibilité de constituer un tas.
Le voici présenté par un professeur de philosophie, Marc Lefrere, dans un article intitulé La Politique du Sorite (Mediapart - 22 sept. 2012) :
Mis en place par Eubulide de Milet, ce paradoxe peut être utilisé afin de montrer, au moins, l'apparente inadéquation de nos raisonnements pour comprendre le réel.
Ainsi, rien ne semble plus simple à comprendre qu'un tas de sable. Car qu'est-ce qu'un tas (sôros, en grec) sinon l'accumulation de grains?
Seulement voilà, demande Eubulide, à partir de quel moment une somme de grain fait-elle un tas?
Un seul grain ne fait pas un tas. Tout le monde sera sans doute d'accord avec cela.
Mais ajouter un seul grain à ce grain ne fait pas un tas de sable non plus. Cela fait seulement deux petits grains. Et si l'on rajoute un grain, ce n'est encore que 3 petits grains.
Bref, ajouter un grain ne permet pas vraiment de changer les choses et de passer d'un non-tas à un tas. Un grain, c'est une trop petite chose.
Et puisque ajouter un grain ne suffit jamais, il sera toujours impossible de faire un tas : le tas de sable n'existe pas.
Mais on peut renverser le paradoxe.
Nous avons un tas de sable. Enlever un grain ne suffit pas à faire que ce ne soit plus un tas. C'est trop négligeable, un grain, ça ne va pas changer fondamentalement les choses, c'est-à-dire notre tas.
Et donc, par récurrence, on peut conclure qu'en enlevant un grain, puis un grain, puis un grain, etc. pour les mêmes raisons, nous aurons toujours notre tas de sable. Et notre tas est toujours là quelque soit le nombre de grains que vous enlevez.
Évidemment, la conclusion de ce raisonnement nous surprend. On le voit contraire à la réalité. Mais, disent les sceptiques, il est logique. Sinon, dites-nous donc, à partir de combien de grains ajoutés un tas commence-t-il à exister? Et à partir de combien de grains ôtés, le tas cesse-t-il d'être un tas? On ne peut évidemment répondre à cette question.
Yannis DELMAS-RIGOUTSOS, maître de conférences en épistémologie-histoire des sciences et en informatique à l'université de Poitiers propose toutefois une solution dans un article de l'Encyclopédie universalis :
"on résout le paradoxe ci-dessus en notant que le raisonnement par récurrence s'applique parfaitement à des quantités précises mais aucunement à des quantités vagues telles que « tas ». "
Quelques ouvrages pour aller plus loin :
- Qu'est-ce que le vague ? / Paul Egré
Essai questionnant le caractère flou, vague ou variable des termes du langage ordinaire auxquels les règles d'usage ne permettent pas d'assigner une limite d'application claire et déterminée, problème traité dès l'Antiquité à travers le paradoxe sorite dit du tas de blé. L'auteur souligne son importance, en ce qu'il affecte la signification des catégories juridiques et scientifiques.
- Le trésor des paradoxes / Philippe Boulanger, Alain Cohen
Un essai sur le paradoxe dans ses diverses manifestations et dans différents domaines comme celui de l'humain ou des sciences sociales ou encore des sciences dites exactes.
- Qu'est-ce qu'un paradoxe ? / Joseph Vidal-Rosset
Etudie la notion de paradoxe en philosophie en s'intéressant notamment aux paradoxes logiques (paradoxes, solutions ensemblistes et sémantiques). En deuxième partie, deux textes (de B. Russell et W.V.O. Quine) sont commentés.
Bonne journée.
Le Guichet du Savoir n'a pas la prétention de résoudre les paradoxes formulés par les philosophes socratiques de l'école mégarique !
En effet, vous nous posez là, la question du paradoxe du sorite défini par Eubulide, Euboulide ou Euboulidès au IVe siècle avant J.-C.. Il conclut à l'impossibilité de constituer un tas.
Le voici présenté par un professeur de philosophie, Marc Lefrere, dans un article intitulé La Politique du Sorite (Mediapart - 22 sept. 2012) :
Mis en place par Eubulide de Milet, ce paradoxe peut être utilisé afin de montrer, au moins, l'apparente inadéquation de nos raisonnements pour comprendre le réel.
Ainsi, rien ne semble plus simple à comprendre qu'un tas de sable. Car qu'est-ce qu'un tas (sôros, en grec) sinon l'accumulation de grains?
Seulement voilà, demande Eubulide, à partir de quel moment une somme de grain fait-elle un tas?
Un seul grain ne fait pas un tas. Tout le monde sera sans doute d'accord avec cela.
Mais ajouter un seul grain à ce grain ne fait pas un tas de sable non plus. Cela fait seulement deux petits grains. Et si l'on rajoute un grain, ce n'est encore que 3 petits grains.
Bref, ajouter un grain ne permet pas vraiment de changer les choses et de passer d'un non-tas à un tas. Un grain, c'est une trop petite chose.
Et puisque ajouter un grain ne suffit jamais, il sera toujours impossible de faire un tas : le tas de sable n'existe pas.
Mais on peut renverser le paradoxe.
Nous avons un tas de sable. Enlever un grain ne suffit pas à faire que ce ne soit plus un tas. C'est trop négligeable, un grain, ça ne va pas changer fondamentalement les choses, c'est-à-dire notre tas.
Et donc, par récurrence, on peut conclure qu'en enlevant un grain, puis un grain, puis un grain, etc. pour les mêmes raisons, nous aurons toujours notre tas de sable. Et notre tas est toujours là quelque soit le nombre de grains que vous enlevez.
Évidemment, la conclusion de ce raisonnement nous surprend. On le voit contraire à la réalité. Mais, disent les sceptiques, il est logique. Sinon, dites-nous donc, à partir de combien de grains ajoutés un tas commence-t-il à exister? Et à partir de combien de grains ôtés, le tas cesse-t-il d'être un tas? On ne peut évidemment répondre à cette question.
Yannis DELMAS-RIGOUTSOS, maître de conférences en épistémologie-histoire des sciences et en informatique à l'université de Poitiers propose toutefois une solution dans un article de l'Encyclopédie universalis :
"
Quelques ouvrages pour aller plus loin :
- Qu'est-ce que le vague ? / Paul Egré
Essai questionnant le caractère flou, vague ou variable des termes du langage ordinaire auxquels les règles d'usage ne permettent pas d'assigner une limite d'application claire et déterminée, problème traité dès l'Antiquité à travers le paradoxe sorite dit du tas de blé. L'auteur souligne son importance, en ce qu'il affecte la signification des catégories juridiques et scientifiques.
- Le trésor des paradoxes / Philippe Boulanger, Alain Cohen
Un essai sur le paradoxe dans ses diverses manifestations et dans différents domaines comme celui de l'humain ou des sciences sociales ou encore des sciences dites exactes.
- Qu'est-ce qu'un paradoxe ? / Joseph Vidal-Rosset
Etudie la notion de paradoxe en philosophie en s'intéressant notamment aux paradoxes logiques (paradoxes, solutions ensemblistes et sémantiques). En deuxième partie, deux textes (de B. Russell et W.V.O. Quine) sont commentés.
Bonne journée.
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