Hyperémotivité dans les romans anciens*
Le 15/05/2006 à 21h22
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Question d'origine :
Bonjour !
Lorsque l'on lit un roman datant du XVII-XVIIIe, il arrive très fréquemment que les héroïnes s'évanouissent pour peu de chose et que les héros tombent gravement malades à la suite d'une facheuse nouvelle. Y'a t'il une explication à cette émotivité abusive qui semble un peu désuète aujourd'hui ?
Merci d'avance.
Réponse du Guichet
bml_san
- Département : Médiathèque du Bachut Santé
Le 16/05/2006 à 15h17
Pendant longtemps, les larmes ont été encouragées, avant que le XIXe siècle ne les bannisse - la faute aux impératifs bourgeois de bonne tenue qui apparaissent alors, et à la «littérature célibataire», comme le dit joliment l'historienne Anne Vincent-Buffault en faisant allusion à Flaubert et aux frères Goncourt, notamment.
«Dans la seconde moitié du XIXe siècle, raconte l'auteur d'une Histoire des larmes [Payot], on assiste à une véritable réaction face aux épanchements de sensibilité. Ils sont réservés au peuple.» Dans la bonne société parisienne, on va même jusqu'à proscrire les femmes des cimetières, de peur qu'elles ne sachent pas se tenir.
Jusqu'alors, il n'était pas interdit de pleurer - au contraire. Depuis l'Antiquité, on se laissait aller sans que la virilité en soit affectée. Achille pleure son ami Patrocle, Homère décrit un Ulysse éploré par la perte d'Ithaque; la barbe de Charlemagne est mouillée des larmes versées pour Roland, mort à Roncevaux. A la cour de Louis XIV, on sanglote abondamment et de concert. «Les hommes et les femmes n'hésitent pas à arborer des mouchoirs humides, tels les étendards de leur sensibilité, raconte Anne Vincent-Buffault.» Le très rationnel siècle des Lumières encourage même ces manifestations. La sensibilité devient un signe de sociabilité naturelle: l'homme qui pleure n'est pas un loup pour l'homme.
Source : les secrets de nos émotions, l'express.fr
De plus, on peut supposer que le port du corset n' est pas étranger à ces évanouissements fréquents chez les femmes.
Le docteur Winslow en 1738 constata que le port des guêpières se retrouvait chez des malades atteintes de jaunisse, de gastralgie, d'obstruction digestive et même de chlorose. Non seulement ces corsets comprimaient les organes abdominaux mais il en arrivaient à aplatir la courbe de la poitrine et de la cage thoracique, réprimant et réduisant la fonction des côtes inférieures. Pour Winslow, la compression est la cause principale de la chlorose et ces pâles couleurs sont dues à la compression des glandes lymphatiques.
Extrait de : Histoire de la médecine / JC Sournia
Pour aller plus loin :
- article la Folie des vapeurs pour le magazine L'histoire, epidaure.com
- Histoire des larmes : XVIIIe-XIXe siècles
Réponse du Guichet
bml_litt
- Département : Langues et Littératures
Le 17/05/2006 à 14h04
Le " topos de l'âme sensible" qui connait un succès extraordinaire de 1760 au début du XIXe siècle recouvre en fait une réalité complexe et souvent difficile à définir.
Pour vous en convaincre, nous vous conseillons de lire le chapitre 7 de l'ouvrage suivant : Le préromantisme / Alexander Minski.
Ce chapitre intitulé sensualisme, sensibilité, sentiment évoque l'interaction entre sciences de la vie , philosophie et littérature depuis la fin du XXIIe siècle :
"La littérature et la pensée du XVIIIe siècle ont été influencées par les progrès concomitants de la science. Tous les philosophes étaient eux-mêmes des scientifiques (d'Alembert, Condorcet...) ou en contact avec le milieu scientifique (Diderot était l'ami du médecin Bordeu)...Ils étaient donc au courant de toutes les expériences et théories nouvelles, en particulier dans le domaine qui nous intéresse, celui de la physiologie".
Ainsi le sentiment et la sensibilité sont-ils d'abord définis d'un point de vue physiolosique ou anatomique. Cf. les travaux de Stahl (1660-1742) et Haller (1708-1777) sur la physiologie, publiés à la même époque que l'Encyclopédie :
Les travaux de Stahl et Haller sur la physiologie permettent une jonction entre psycho- et physiologie, d'ou des doubles définitions de la sensibilité.
Ce livre sur le préromantisme d'Alexander Minski consacre un paragraphe à la
Nous vous recomandons également la lecture du numéro
Au sommaire :
- de Paule Petitier : L'évanouissement, une invitation de la langue à penser.
: Syncope et évanouissement dans le roman hugolien
- de D.Bertrand : Vicissitudes de l'évanescence dans le livre III des essais :une expérience de la trace.
- de Gisèle Berkman : Les évanouissements dans Monsieur Nicolas ou le coeur humain dévoilé de Rétif de la Bretonne...
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