L'abolition de la peine de mort a-t-elle entrainé une surpopulation carcérale ?
Question d'origine :
Bonjour
Des amis m'ont dit que l'abolition de la peine de mort avait entrainé une surpopulation carcérale.Est ce que c'est fondé?
Réponse du Guichet

L'abolition de la peine capitale en octobre 1981 n'a eu aucun effet notable sur l'évolution de la criminalité en France, et encore moins sur la surpopulation carcérale. En revanche, elle est corrélée à une plus grande sévérité de la justice sur la longueur des peines de prison.
Bonjour,
Selon l'ouvrage L'abolition de la peine capitale en France : 9 octobre 1981 de Philippe Astruc et Éric Ghérardi, 75 personnes ont été condamnées à la peine capitale entre 1958 et 1981, année de l'abolition. Sur ce total, 19 exécutions ont réellement eu lieu, les autres peines étant commuées par la grâce présidentielle. C'est dire si, d'une part, la presque vingtaine de personnes laissées en vie par quart de siècle ne saurait expliquer la surpopulation carcérale, mais aussi, d'autre part, lorsque le 9 octobre 1981 est promulguée la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort, il y a beau temps déjà que les exécutions capitales ont cessé d'être une pratique courante.
Est-il dès lors plausible que la peine de mort ait eu un rôle suffisamment dissuasif pour empêcher un nombre substanciel de passages à l'acte ? Cet argument classique des partisans de la peine capitale était encore utilisé par le député de la Loire Pascal Clément, en 1981, pendant les débats législatifs autour de la loi... même s'il ne semble lui-même qu'à moitié convaincu de sa pertinence :
J'évoquerai tout à l'heure la question de l'exemplarité. Tout a été dit ou presque sur ce sujet. Les statistiques ne sont guère probantes et il est difficile de prouver que le spectre de la guillotine a ou n'a pas freiné le bras du criminel. Mais lequel d'entre nous peut être sûr que la mort ne possède aucun caractère dissuasif ? Que penser de cette sorte de code qui fait hésiter certains malfaiteurs au moment de tirer sur un policier ? S'agit-il du respect de la vie d'autrui ou de la peur d'encourir la peine de mort ? Que penser des preneurs d'otages, de ceux qui enlèvent des enfants ? Pourquoi prennent-ils le risque, en les restituant vivants, d'être arrêtés ? Qui peut dire avec certitude que ce n'est pas la peur de la mort qui assure la vie sauve à l'enfant retrouvé ?
(Source : La peine de mort en France : du Moyen-Âge à 1981 / [textes choisis et présentés par] Benoît Garnot
Or, selon Amnesty international, " il n’existe aucune preuve crédible que la peine de mort soit plus dissuasive qu’une peine d’emprisonnement. En fait, dans les pays qui ont interdit la peine de mort, les chiffres relatifs à la criminalité n’ont pas augmenté. Dans certains cas, ils ont même baissé. Au Canada, le nombre d’homicides en 2008 était inférieur de moitié à celui de 1976, lorsque la peine de mort y a été abolie".
Le Centre d'observation de la société a publié en 2018 un article reprenant les statistiques des homicides en France. Les analystes notent une baisse presque constante au cours du dernier demi-siècle : entre 1993 et 2018, par exemple, le taux d'homicide annuel passe de 3 à 1,3 pour 100 000 habitants. Seule exception, le taux d'homicides a augmenté entre le milieu des années 1970 et celui des années 1980 - hausse que les auteurs ont tendance à corréler au fait que le chômage des hommes, sur la même période, a été multiplié par six, 90% des auteurs d'homicides appartenant aux couches les plus précaires de la société. Le lien rompu avec la société expliquant en grande partie le passage à l'acte.
L'article "Peine de mort : menace dissuasive ou effet pervert" de Vincent Demont et Ali Sayah, paru en 2012 dans la revue Etudes sur la mort et consultable sur Cairn en bibliothèque, conclut également à l'impossibilité de témoigner d'une réelle efficacité de la peine de mort pour éviter les passages à l'acte : vu la diversité des situations relatives à chaque pays, l'application de la peine capitale peut, selon le contexte, dissuader, favoriser les crimes de sang, ou n'avoir aucune influence clairement discernable. Dans le cas de la France, il est cependant clair que la loi du 9 octobre 1981 n'a pas créé de recrudescence des assassinats :
En France, le vote de l’abolition de la peine de mort eu lieu en 1981, et son interdiction constitutionnelle existe depuis 2007 : « Nul ne peut être condamné à mort », article 66.1. Depuis on observe une diminution forte du nombre d’homicides relative à la proportion d’habitants. Mais aussi une diminution absolue comme le montre le graphique provenant des chiffres du ministère de l’intérieur [...]. Mais est-ce vraiment l’abolition de la peine de mort qui explique cette diminution ? Une note confidentielle de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) du 15 juillet 2010 [...] dévoile une forte diminution des homicides depuis 10 ans. Le facteur de dissuasion de la peine de mort n’y est pourtant en aucun moment prit en compte. Il l’explique par le contrôle des armes important en France, contrairement aux États-Unis, et par l’amélioration technique et scientifique de la police qui permet de résoudre prêt de 90% des affaires, ce qui serait déjà dissuasif en soi.
L'évolution de la population carcérale ne suit d'ailleurs pas celle du nombre de crimes commis. Selon l'Observatoire international des prisons, qui note qu'on comptait début 2020, avec 72 400 détenu-es, "un taux de détention inégalé depuis le XIXe siècle", les variations de la population carcérale en France ne dépendent pas de l'évolution de la criminalité, mais de celle des politiques pénales :
L’évolution de la population détenue est sans corrélation avec celle de la délinquance
Ces chiffres ne traduisent pas pour autant une augmentation de la délinquance, comme le rappelait l’ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue : « Il faut se défaire résolument de l’idée commune selon laquelle les effectifs de personnes emprisonnées sont liés à l’état de délinquance du pays ». Si le taux de détention est passé sur la période 1990-2020 de 78 détenus pour 100 000 habitants à 105,4 pour 100 000, les indicateurs de l’évolution de la délinquance et de la criminalité recensée – que ce soient les enquêtes de victimisation ou le recueil des crimes et délits constatés par les services de police – ne témoignent pas d’une évolution corollaire. Les analyses de l’Observatoire scientifique du crime et de la justice (OSCJ) tirées de données policières et sanitaires témoignent même d’une tendance à la baisse de divers types d’infractions, comme les vols de véhicules et les cambriolages qui diminuent depuis deux décennies ou encore les homicides qui se situent à un niveau très bas (0,013 décès pour 1 000 habitants). Les vols avec armes diminuent en outre sensiblement depuis dix ans (16 100 enregistrés en 2009, 7 600 en 2019). Quant aux agressions physiques non létales, elles sont restée globalement stables sur la période, avec néanmoins une augmentation récente. Même chose concernant les violences sexuelles. On note une hausse significative des dépôts de plainte que depuis fin 2016 (SSMSI).
Une augmentation de la population détenue surtout liée à des orientations de politique pénale
Parmi les facteurs ayant contribué à l’inflation carcérale en France, on peut noter :
– la pénalisation d’un nombre de plus en plus important de comportements (création des délits de racolage passif, mendicité agressive, occupation d’un terrain en réunion, occupation d’un hall d’immeuble, vente à la sauvette ou de maintien irrégulier sur le territoire, correctionnalisation du défaut de permis de conduire ou d’assurance, etc.) ;
– le développement de procédures de jugement rapide, comme la comparution immédiate, qui aboutissent à un taux plus important de condamnation à de l’emprisonnement ferme (environ 70 %) ;
– l’allongement de la durée des peines : ainsi, de 2002 à 2018, la durée moyenne de détention est passée de 7,9 à 9.8 mois. On assiste à un double phénomène : d’un côté, l’augmentation des incarcérations pour de courtes peines de prison de moins d’un an ou de quelques mois (en 1980, 7427 personnes étaient détenues en exécution d’une peine de moins d’un an; en janvier 2020, 20 511 – ce qui représente 41,4 % de la population condamnée détenue); et d’un autre, le prononcé de peines de plus en plus lourdes vis-à-vis d’autres publics. En 1980, moins de 6 000 personnes étaient détenues au titre d’une peine de 5 ans de prison ou plus; en janvier 2020, 11 989.
– l’augmentation récente de la détention provisoire : les prisons comptaient 21 075 prévenus au 1er janvier 2020, contre 16 549 en janvier 2015… Soit une augmentation de 27 % en cinq ans. Une évolution qui s’explique en partie par l’augmentation du contentieux terroriste mais surtout par la frilosité grandissante des magistrats dans le climat sécuritaire actuel.
De fait, selon un article de La Croix, non seulement l'abolition de la peine de mort n'a pas débouché sur un regain de criminalité, mais on a pu observer un allongement moyen de la durée des peines prononcées :
À entendre le sociologue spécialiste des questions de délinquance Laurent Mucchielli, [...] « Les études menées aux quatre coins du monde démontrent [...] une absence totale de lien entre la criminalité d'une société et le fait qu'elle recoure à la peine capitale. »
Depuis la disparition de la guillotine en France, la grande criminalité a d'ailleurs eu tendance à baisser. C'est en tout cas ce que laissent entrevoir les statistiques du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip). Ainsi, en 1981, le taux d'homicides en France s'élevait à 4 pour 100 000 habitants, contre 3,3 pour 100 000 habitants en 2006.
En revanche, le lien entre l'abolition de la peine de mort et l'allongement des peines prononcées aux assises semble, lui, avéré. Pour preuve, en l'espace de trente ans, le nombre de prisonniers condamnés à la réclusion à perpétuité a plus que doublé, passant de 226 en 1978 à 523 en 2008. Il faut dire que, depuis 1981, le code pénal n'a cessé de se durcir.
L'article rappelle qu'en 2006, "une dizaine de détenus de la centrale de Clairvaux (Aube)" ont réclamé le rétablissement de la peine de mort, qu'ils voyaient comme une punition moins dure que celle qu'ils vivaient ! En cause, un arsenal judiciaire qui n'a fait que se durcir depuis l'abolition :
En 1994, une « période de sûreté perpétuelle » a été instaurée pour les personnes reconnues coupables de meurtre sur mineur de moins de 15 ans doublé de viol ou de torture. Dans ce cas, un condamné ne peut être libéré qu'après avoir passé trente ans derrière les barreaux. Cette sévérité accrue des peines a été confirmée tout récemment avec l'adoption, en février 2008, des « peines de sûreté ». Elles permettent, en effet, de retenir indéfiniment les personnes considérées comme potentiellement dangereuses à leur sortie de prison.
Plusieurs associations de justiciables se félicitent de cette évolution. C'est notamment le cas du délégué général de l'Institut pour la justice, Xavier Bébin, qui voit dans ces lourdes sanctions « le meilleur compromis entre, d'un côté, la nécessité de protéger la société et, de l'autre, le respect de la vie humaine via l'abolition de la peine de mort ». Une opinion que ne partage pas l'Observatoire international des prisons (OIP), qui fustige « la relégation sociale définitive qui accompagne souvent les longues peines ».
Pour aller plus loin :
- Histoire de l'abolition de la peine de mort : 200 cents ans de combats / Jean-Yves Le Naour ; préface de Robert Badinter
- L'abolition : le combat de Robert Badinter / scénario Marie Gloris Bardiaux-Vaïente ; dessin Malo Kerfriden
- La peine de mort en France : du Moyen-Âge à 1981 / textes choisis et présentés par Benoît Garnot
- L'abolition de la peine capitale en France : 9 octobre 1981 de Philippe Astruc et Éric Ghérardi
- La peine de mort : vers l'abolition absolue ? : un dialogue entre philosophes, juristes et cartographes / sous la direction de Marc Crépon, Jean-Louis Halpérin et Stefano Manacorda
- Nul ne pourra être condamné à la peine de mort - L'Influx
- Statistiques de la population détenue et écrouée pour l'année 2021 - justice.gouv.fr
- Les prisons en France - faits et chiffres - Statista
- Statistiques pénitentiaires et parc carcéral, entre encombrement et (sur)occupation (1900-1995). La gestion des effectifs détenus, des mots aux indicateurs chiffrés par Bruno Aubusson de Cavarlay, Crimino corpus, consultable - OpenEdition
- L’application de la peine de mort en France - Vie-publique
Bonne journée.
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