Question d'origine :
Bonjour !
Je souhaiterai savoir ce qu'est le jusnaturalisme et pourquoi il est en déclin chez les juristes ?
Réponse du Guichet
Le jusnaturalisme est une doctrine soutenant l'idée de "droit naturel" (notion morale), par opposition au "droit positif" (lois concrètes).
Nous vous proposons dans cette réponse quelques éléments de définition, des ressources disponibles en ligne, et des références bibliographiques pour approfondir.
Bonjour,
Voici pour commencer les éléments de définition que propose le site definition-juridique.fr :
Trois éléments de distinction entre droit positif et droit naturel
1 - Droit positif et droit naturel
La définition du droit positif s'oppose à celle du droit naturel. Le droit naturel est un droit constitué de règles morales ( " bonnes moeurs " ). Le droit naturel est un droit universel, évolutif et subjectif : chacun a sa propre conception du droit naturel.
La loi naturelle est celle qui est conforme à l'équité, à la légitimité, au "juste".
La distinction entre droit positif et droit naturel est connue par tous les juristes.
2 - Positivisme et jusnaturalisme
Le positivisme juridique est un courant de pensée initié par un théoricien du Droit du XIXème siècle : Hans Kelsen, dans Théorie pure du droit (1962). Ce courant de pensée privilégie une analyse logique et méthodique du Droit : le droit doit être appliqué tel qu'il est sans se soucier des règles morales et de l'appréciation de la portée de cette application. On parle également de " normativité juridique ".
A l'opposé, le jusnaturalisme privilégie le droit naturel au droit positif : le droit positif, à savoir la règle de droit, doit être appréciée à l'aune du droit naturel, et l'évolution du droit positif doit suivre celle du droit naturel. On parle également de " science du droit " ou " sociologie du droit ".
3 - Vision moniste et vision dualiste
Le positivisme favorise une vision moniste en ce que seul le droit positif doit être étudié par le juriste. En revanche, le jusnaturalisme favorise une vision dualiste en ce qu'il reconnaît à la fois l'existence du droit naturel et du droit positif, le premier devant exercer une influence sur le second.
L'encyclopédie Universalis propose un article consacré au jusnaturalisme. En voici un extrait :
Le droit et la philosophie du xviie siècle repensèrent la vieille idée de droit naturel selon des critères qu'une tradition de deux mille ans n'avait pas imaginés. Cette réélaboration fut le point central d'une théorisation que l'on désigne par le terme « jusnaturaIisme ». La signification de cette doctrine moderne ne se laisse pas aisément déchiffrer. La difficulté réside dans la mutation du concept de droit naturel par rapport à sa définition antique et médiévale. Dans le cadre de l'humanisme renaissant, qui bouleversait la tradition juridique, cette mutation s'est effectuée progressivement. Malgré des nuances entre ses représentants, devenues parfois de franches oppositions, le jusnaturalisme a tracé les lignes de force d'une conception du droit qui dominera jusqu'à la fin du xviiie siècle. En rendant possible une normativité fondée sur la nature humaine, il a dénoncé, par anticipation, les illusions philosophiques des positivismes juridiques.
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En attendant, voici quelques ressources disponibles en ligne qui vous permettront également d'approfondir le sujet :
- Le droit naturel dans Wikiberal
- Les fiches de cours sur le jusnaturalisme
- L'hésitation conceptuelle du jusnaturalisme de Hobbes à Wolff, Simone Goyard-Fabre, Revue d'histoire des facultés de droit et de la science juridique
- La doctrine française et le droit naturel dans la première moitié du XXème siècle, Jean-Louis Sourioux, Revue d'histoire des facultés de droit et de la science juridique
Michel Villey dans son article Jusnaturalisme. Essai de définition propose quant à lui une interprétation un peu plus "personnelle" de cette doctrine...
Concernant le déclin du jusnaturalisme, voici ce qu'on peut lire dans l'ouvrage La (dis)continuité en droit dirigé Hélène Simonian-Gineste :
Dans une approche ancienne, le droit positif est soumis au droit naturel. Il y aurait donc une continuité juridique entre droit naturel et droit positif.
Le fondement de l'obéissance à la règle de droit, c'est la conformité à une règle idéale de conduite, le droit naturel. Cependant, plusieurs conceptions successives du droit naturel apparaissent au cours des siècles. Le droit naturel antique, celui de Platon ou Aristote, est fondé sur l'organisation du cosmos, l'ordre du monde. Vient ensuite le droit naturel fondé sur une logique divine, comme Saint Thomas d'Aquin le percevait. Enfin, le droit naturel fondé sur la droite raison apparaît.
On peut donc observer, au fil de l'histoire, que le droit naturel est lui-même susceptible d'évoluer en fonction des transformations de la société dans le temps. L'existence de différentes conceptions du droit naturel au fil des siècles montre bien qu'il n'y a pas de continuité juridique absolue, même en matière de droit naturel. Ce droit naturel perd de ce fait le statut de droit supérieur et immuable, qui aurait une continuité absolue. Le droit naturel est une projection de l'esprit, variable elle-même dans le temps.
Et le droit positif, même s'il est réellement fondé sur un droit naturel, qui perd son caractère d'immuabilité, est soumis alors à une innovation constante.
Il faut inévitablement constater que le droit naturel est forcément imaginé dans un Etat donné par rapport à une situation particulière dans la société. "Le droit naturel est caractérisé par sa supériorité sur le droit positif ; mais il est imaginé sur le modèle de ce qui se voit, de ce droit positif et de ses règles". "Si le Droit naturel est appelé à fonder (et à critiquer) le Droit positif, celui-ci est en retour appelé, exigé par le Droit naturel". Il y a alors continuité juridique entre le droit positif et le droit naturel d'une autre manière. Chacun renvoie à l'autre avec un effet de miroir. C'est bien l'évolution de la société qui conduit à une transformation des normes de droit positif, mais aussi des normes de référence, c'est-à-dire le droit naturel. Le serpent se mord la queue en quelque sorte.
Ainsi, dans une approche plus récente, il n'y aurait plus de continuité entre le droit naturel et le droit positif, on assisterait à une rupture entre les deux, avec des interactions réciproques.
D'ailleurs, d'un côté, "le jusnaturalisme n'est pas une doctrine unitaire et homogène" et, de l'autre, "confondre l'existence du droit positif en ses multiples figures - Constitutions, lois, règlements infra-législatifs, coutumes et décisions jurisprudentielles - avec la doctrine positiviste qui tend, pour exprimer la philosophie de l'ordre juridique positif, à sa rationnalisation et à sa systématisation exhaustive, est une lourde méprise".
Le droit naturel n'est plus considéré comme le fondement du droit positif. Et, pour les tenants du positivisme juridique, encore plus qu'une absence de continuité, il y aurait une coupure totale entre droit naturel, idée rejetée, et droit positif, qui existe en soi.
Mais il faut aussi prendre en compte le passage du droit naturel aux droits naturels, qui a réellement bouleversé le rapport entre continuité juridique et innovation juridique. "Si nul ne peut sérieusement contester que la reconnaissance des droits de l'homme soit un progrès pour l'humanité, le passage subreptice qui s'opère dans la théorie juridique, au nom du principe téléologique du droit naturel, vers la défense des droits naturels de l'homme soulève un problème redoutable. Que l'idée de droit naturel (au singulier) ait ouvert la voie à la reconnaissance des droits naturels (au pluriel) paraît de prime abord répondre à une mutation intellectuelle et sociale, ce qui constitue pour la pensée un pas en avant dans le sens de la logique et de l'histoire. En vérité, dans le glissement des critères de discernement auxquels se réfère le droit, le passage du singulier au pluriel fait surgir les ambiguïtés les plus graves de son concept : non pas parce que la finalité du droit naturel va de pair avec la contingence de ses visées, mais parce qu'elle s'enfonce dans l'incertitude de ses projets". "La codification des droits naturels a été qualifiée d'oxymore, cette codification ne pouvant que signer la mort du droit naturel. Pourtant, il nous apparaît que la naturalité des droits de l'homme trouve son accomplissement dans la légalité, dans le droit positif. Même s'ils sont l'expression d'une philosophie politique, les droits de l'homme ont besoin du droit pour exister concrètement. Il n'y a de droits de l'homme que par l'intervention du droit positif afin de transformer ces droits virtuels en droits opérationnels".
Si on se place en ce début de XXIème siècle, pour les positivistes, le droit naturel n'existerait pas, ce qui éliminerait toute question de continuité ou d'innovation juridique.
Pour les jusnaturalistes, la référence à Dieu comme fondement du droit naturel a été pratiquement abandonnée. Et on se fonde alors plutôt sur une logique des droits naturels, tels qu'ils apparaissent à partir de la Révolution.
Dans le dernier quart du XXème siècle, l'idée de droit naturel a vraiment été rejetée par une grande partie de la doctrine. Elle était en contradiction avec la remise en cause des valeurs traditionnelles de la société dans le mouvement de critique globale, qui prend sa source dans les contestations liées à mai 1968, avec, notamment, la querelle sur la religion.
Vous trouverez dans notre catalogue plusieurs documents sur le droit naturel qui vous aideront à approfondir votre réflexion sur le sujet.
Bonne journée.