Pourquoi trouve-t-on parfois un accent circonflexe et parfois un s dans des mots de la même famille ?
Question d'origine :
Bonjour, je voudrais savoir pourquoi on trouve parfois un accent circonflexe et parfois un s dans des mots de la même famille (type hôpital et hospitalier). L'environnement consonnantique me semble similaire - pourquoi a-t-on arrêté de prononcer le "s" dans un cas et non dans l'autre ? Est-ce dû à la longueur du mot et de ce fait à une accentuation ? à la date à laquelle les mots ont été créés ?
Merci d'avance !
Réponse du Guichet
Voici quelques pistes qui permettront de clarifier l'emploi du "S" et de l'accent circonflexe.
Bonjour,
La fonction de l’accent circonflexe peut être de noter un « s » étymologique absent. Ainsi on peut retenir l'orthographe de certains mots en faisant appel à des mots de la même famille : comme vous le souligniez hôpital et hospitalier, ou hôtel et hostellerie, forêt, forestier ; on ne confond pas la forêt et le foret, château et castel.
Mais cet accent circonflexe peut posséder d'autres raisons comme l’amuïssement (disparition complète d'un phonème ou d'une syllabe dans un mot) d’une ancienne lettre. Dans le cas qui nous intéresse: la disparition d'un ancien "s".
C'est, de loin, le phénomène le plus célèbre. La majorité des cas provient d'un /s/ en position appuyante, c'est-à-dire devant une autre consonne.
Bien que la graphie ait longtemps gardé la présence de ce /s/, on ne le prononçait plus depuis bien avant qu'on ne décide, auXVIIIe siècle (dès l'édition de 1740 du Dictionnaire de l'Académie française), de noter cet amuïssement par le recours systématique à l'accent circonflexe. L'amuïssement du /s/ en position appuyante date pourtant d'après1066. Il avait entraîné un allongement compensatoire, lequel s'est effacé après le XVIIIe siècle.
Au XVIIe siècle, quelques tentatives de modification de la graphie avaient vu le jour, sans grand succès.Pierre Corneille, à qui l'on doit aussi l'opposition entre é et è, utilisait dans ses textes les long,ſ, pour indiquer qu'un s amuï allongeait la voyelle précédente (comme dans tempête, écrit tempeſte, par opposition à bête, écrit beste; cf. Mireille Huchon,Histoire de la langue française).
La formation de mots savants ou récents tirés deradicauxdans lesquels un /s/ est en position appuyante a amené des familles de mots à utiliser, ou non, le circonflexe, selon que le /s/ est prononcé (dans des mots formés ou empruntés après 1066, qui n'ont donc pas connu l'amuïssement du /s/ appuyant, ou empruntés à des langues dans lesquelles ce phénomène n'a pas eu lieu) ou non (mots plus anciens). Dans certains mots anciens, cependant, le /s/ en position appuyante, qui s'est nécessairement amuï, n'a pas été corrigé dans la graphie ou bien a été remplacé par influence d'un autre mot proche. Par influence de la graphie sur la prononciation, il a même pu de nouveau être audible.
Voici quelques exemples de mots issus d'un même radical latin:
feste (première attestation: 1080) →fête mais:
festin: emprunté au XVIe siècle à l'italien festino, d'où le maintien du /s/,
festoyer (vers 1170), prononcé fétoyer jusqu'à la fin du XIXe siècle (écrit avec ou sans s), époque à laquelle le s a été restauré dans la graphie puis dans la prononciation par analogie avec festin,
festivité: mot emprunté au latin festivitas au XIXe siècle, ce qui explique le maintien du /s/ appuyant,
festival: mot emprunté à l'anglais festival au XIXe siècle, d'où le maintien du /s/ appuyant.
Teste (vers 1050) →tête mais:
test (fin du XVIIe): emprunt à l'anglais, d'où le maintien du /s/.
Fenestre (vers 1135) →fenêtre mais:
défenestrer (deuxième moitié du XXe siècle): la formation tardive explique le maintien du /s/, le mot ayant été inspiré par le radical latin fenestra.
Castel (fin du Xe siècle) →château mais:
castel-dans de nombreux toponymes (Castelnaudary,Castelnau,Casteljau, etc.). Les toponymes retardent souvent leur évolution phonétique car le nom d'un lieu est peu dissociable de son identité.
Ospital (vers 1170) →hôpital mais:
hospitaliser (début du XIXe siècle): de formation tardive à partir de l'étymon latin, d'où le maintient du /s/ appuyant.
Et aussi:
ostel→hôtel;
bastir→bâtir (mais bastide, par l'occitan);
creistre→croître;
pasle→pâle;
isle→île, etc.
Il convient de noter que dans de nombreux mots anglais empruntés au français (et parfois revenus au français plus tard), un s devant une consonne sourde se prononce, au contraire de l'étymon français : forest~forêt, feast~fête, beast~bête, hospital~hôpital, etc.. En effet, ces mots ont été apportés en Angleterre lors des conquêtes de Guillaume le Conquérant (bataille de Hastings,1066) à une époque où ils se prononçaient encore en français. L'anglais n'ayant pas connu l'amuïssement, la consonne est restée. Au contraire, le s devant une consonne sonore est amuï dans les deux langues : isle[aɪɫ] ~île car à l'époque de Hastings, il était déjà muet en français. La séquence /s/ + consonne sonore (notée ici G) a en effet évolué plus vite que la séquence /s/ + consonne sourde (notée K):
/s/+/G/ → /zG/ → /G/ (avant 1066);
/s/+/K/ → /K/ (après 1066).
Source: Wikipedia
Pour plus de précisions :
L'Accent en français contemporain, Pierre Léon, Ed. Marcel Didier érudition, 1980.
Dictionnaire historique de l’orthographe française, publié sous la direction de Nina Catach, Larousse, 1995.