Comment agissent les trafiquants d'huîtres, champagne, bois, caviar, champignons, bétail ?
Question d'origine :
Bonjour, je voulais savoir si vous pouviez me dire tout ce qu'il y a à savoir sur le trafic d'huitre, de champagne, de bois, de caviar, de champignons et de bétails.
Comment s'y prendre pour chacun d'entre eux ? C'est à dire voler le produit en question.
À qui revendre ?
Pour combien d'argent ?
Si vous trouvez des informations intéressantes que j'ai manqué de dire, n'hésitez pas à les rajouter.
Je vous remercie.
Réponse du Guichet
La plupart des produits que vous citez font l'objet de vols et de trafics réguliers. Certains très localisés (huîtres, champagne), certains saisonniers (champignons, bétail), d'autres exclusivement internationaux (caviar, bois). Nous avons toutefois trouvé peu de chiffres sur les produits de ces larcins, et ceux-ci sont forcément sujets à caution, du fait de la clandestinité de ces pratiques.
Bonjour,
Vos questions sont toujours rafraîchissantes, et nous apprennent beaucoup. Nous allons vous répondre, en faisant toutefois l'impasse sur les modes opératoires, car d'autres internautes pourraient y voir comme une invitation, et ce n’est pas le rôle d’un service public d’expliquer comment contourner la loi.
Le trafic d'huîtres est une pratique courante. En 2018, un article de France 3 régions rapportait la saisie et la remise à l'eau de 2,5 tonnes d'huîtres en Charente-Maritime. Des ostréiculteurs à la retraite les élevaient de façon illégale, "à destination du marché noir", se servant d'un "bateau de plaisance" pour les débarquer. Un responsable local de la gendarmerie affirmait : "On assiste à une activité parallèle qui se met en place".
Des affaires de vol d'huîtres en grandes quantités sont aussi régulièrement mises au jour : toujours en Charente-Maritime, selon France bleu, c'est pas moins de 6 tonnes d'huîtres qui ont été dérobées entre juillet et août 2019 - sur un total de plus de 24 tonnes sur l'année - tandis, que L'Indépendant fait état d'un vol commis en 2015 dans l'étang de Leucate, probablement par une équipe professionnelle avec " l'embarcation adaptée ", et qui s'est soldée par un butin de 70 poches d'huîtres de 18 kilos, soit 6000 euros de manque à gagner pour le producteur.
Comme le souligne un article de France 3 régions, il arrive que ce soient les ostréiculteurs qui se volent les uns les autres. Selon L'Express, il s'agirait d'une pratique courante. On peut imaginer que la proximité, la connaissance du terrain, la possession du matériel et du savoir-faire suscite des tentations... en revanche nous n'avons trouvé aucune indication sur ce que rapporte ce type de trafic ni qui sont les clients... mais au regard des quantités, nous penserions plutôt à des grossistes ou à des restaurateurs qu'à des particuliers.
Les affaires de trafic de champignons ne sont pas non plus rares dans notre pays, sans doute en partie parce que le modus operandi présente peu de complexité : une paire de bottes, un canif, un panier... ou un récipient beaucoup plus gros, comme le laisse penser cet article d'Ouest France sur une saisie de 400 kg de cèpes en Haute-Saône :
Quelque 400 kg de champignons ont été saisis en Haute-Saône et quinze Roumains suspectés d’être liés à un trafic de cèpes ont été interpellés depuis la mi-octobre, a indiqué mercredi le procureur de Vesoul.
Parmi les 15 personnes mises en cause, quatre hommes âgés de 26 à 40 ans et interpellés à Fougerolles (Haute-Saône) seront jugés le 28 janvier devant le tribunal correctionnel de Vesoul pour « cession non autorisée » et « détention en bande organisée de plantes soumises à une protection particulière », a précisé le procureur de la République à Vesoul, Emmanuel Dupic, lors d’une conférence de presse.
Selon les enquêteurs, il s'agissait là d'un véritable réseau de marché noir comprenant entre 50 et 70 personnes et qui revendaient les champignons 3 € le kilo. Un prix propre à attirer le client, si on songe que les cèpes sur le marché légal se vendent au cours du jour (09/11/2021) entre 30 et 38 € le kilo selon France Agrimer, et ont même pu atteindre des 50-70 € en 2019, année de ce fameux pillage en Haute-Saône.
Un trafic qui n'est pas sans risque. Selon l'Office national des forêts, la cueillette en forêt est très réglementée :
La cueillette des champignons est autorisée en forêt domaniale (appartenant à l'État) si elle reste dans le cadre d’une consommation familiale et si les prélèvements sont raisonnables, c'est-à-dire qu'ils n’excèdent pas 5 litres par personne et par jour (sauf réglementation locale contraire).
Elle doit être modérée, car en principe, une autorisation préalable du propriétaire est nécessaire (article 547 du Code civil). En effet, toutes les forêts publiques ont un propriétaire, qu'il s'agisse d'un Etat, une région, un département ou une commune.
Au-delà de 5 litres par jour, la cueillette est punie par la loi : selon le Centre nationale de la propriéété forestière citant l' article R163-5 du code forestier, "une récolte sans autorisation inférieure à 10 litres est passible d’une amende maximale de 750 €. Une récolte supérieure à 10 litres, et quel que soit le volume pour les truffes, peut être sanctionnée jusqu’à 45 000 € d’amende et 3 ans d’emprisonnement. Cette peine peut être portée à 75 000 € d'amende et 5 ans d'emprisonnement en cas de circonstances aggravantes [...]"
Pas de quoi effrayer de nombreux cueilleurs, toujours selon Ouest-France. Ceux-ci forment un véritable marché noir, notamment à destination des restaurateurs, qui, en plus d'un gain de prix, voient en l'achat de champignons illégaux une garantie d'accès à un produit local. Cependant, qu'on ne s'y trompe pas, selon Hebdo 39, de nombreux cueilleurs illégaux venant des pays de l'est, ceux pratiquant des prix très bas destinés à l'export, vivent dans une absolue précarité et des conditions très difficiles, parfois même en forêt avec leurs enfants.
Greenpeace a publié en 2016 une tribune tirant la sonnette d'alarme vis-à-vis du trafic de bois illégal :
Le trafic de bois illégal est une immense industrie parallèle qui pèse des milliards et menace les forêts du monde entier. Certaines recherches montrent que près de 10 % du commerce de bois international concernerait du bois illégal, soit 150 milliards de dollars par an. Comme rappelé par Interpol, les atteintes à l’environnement qui en découlent vont souvent de pair avec d’autres infractions comme la corruption ou le blanchiment.
En effet, ce trafic peut-être défini par les pratiques suivantes, souvent concomitantes : corruption pour obtenir des accès à des zones forestières protégées ; coupes d’arbres sans permissions dans ces zones, dont des espèces rares et protégées ; prélèvements supérieurs aux quotas autorisés ; production de faux documents lors des contrôles aux frontières ; soustraction à toute la fiscalité en vigueur sur ces produits.
Les conséquences sociales du trafic de bois illégal sont souvent dévastatrices ; d’abord parce qu’il induit une criminalité parfois violente, du travail forcé – y compris d’enfants – ainsi que des conditions de travail souvent désastreuses. En outre, le trafic de bois illégal porte généralement atteinte aux droits des peuples autochtones.
Le commerce de bois illégal est très présent en France. Un article du Figaro rapporte une enquête de Greenpeace ayant montré l'implication de six grandes entreprises françaises dans un trafic basé sur un système de permis défaillants permettant importer du bois produit dans l'État de Pará, au nord-ouest du Brésil, par des "forestiers délinquants" délivrant contre rémunération des permis d'exploitation illégaux à des entreprises, leur permettant de prélever un nombre d'arbres insoutenable à la forêt amazonienne.
Concernant le commerce illégal du caviar, le principal préjudice est écologique, puisque les 27 espèces d'esturgeons connues dans le monde sont menacées d'extinction. Selon le Ministère de l'Economie, l'importation de caviar sauvage est d'ailleurs interdite depuis 2011. Ce qui n'empêche pas un vaste réseau de corruption international d'en faire le trafic :
Au fil des décennies, les stocks d’esturgeons se sont faits de plus en plus rares. Pour éviter leur disparition, la CITES a décidé d’agir il y a déjà 21 ans en instaurant différentes règles et quotas sur leur pêche.
Seulement, cela n’a pas empêché les pratiques illégales de se poursuivre. D’importants réseaux illégaux se sont développés, attirés par la cherté de ce produit qu’est le caviar sauvage. Pour perdurer, ces réseaux organisés ont usé abusivement de la violence et de la corruption, se mettant ainsi à l’abri des réglementations internationales.
C’est justement ce que dénonce le rapport publié le 13 février par l’ONG TRAFFIC, WWF et U4 Anti-Corruption Resource Center, en partenariat avec l’université de Northumbria au Royaume-Uni et l’université d’Utrecht aux Pays-Bas. La corruption alimente non seulement les prélèvements mais aussi la vente illégale de caviar, ce qui accélère la disparition des espèces concernées.
Certains négociants ont par exemple recouru à une pratique illégale consistant à étiqueter en tant que « caviar sauvage » du caviar issu de l’élevage ou à mentir sur l’espèce dont sont véritablement issus les œufs. Et ce, dans le seul but de pouvoir gonfler les prix auprès du consommateur final.
Plus grave, la corruption a permis de renforcer le braconnage d’esturgeons sauvages. Le rapport révèle par exemple que des pêcheurs soudoient des policiers pour ne plus avoir à déclarer les poissons capturés illégalement. D’autres utilisent des permis scientifiques pour pêcher des esturgeons menacés en mer Caspienne et dans la Volga. Et bien d’autres mécanismes pourraient encore exister mais n’ont, pour l’heure, pas encore été découverts.
Source : Espèces menacées
Toujours est-il que selon l'ONG Traffic, le trafic de caviar, issu du braconnage ou d'importations clandestines depuis des pays producteurs (Iran, Fédération de Russie, Kazakhstan...), est éminemment international. De par son caractère clandestin, il est difficile à chiffrer :
Ce que l’on connaît est souvent anecdotique et basé sur des rapports de saisies et des condamnations. Cependant, d’importantes saisies de caviar illégal en Europe indiquent l’existence d’un marché noir florissant pour « l’œuf » de luxe qui menace la survie des espèces d’esturgeon. Elles démontrent aussi que les contrebandiers sont bien organisés et utilisent des méthodes sophistiquées. On
considère que le commerce illégal de caviar est étroitement lié avec des groupes criminels organisés.
[...]
Une enquête des douaniers allemands en 2005 a montré non seulement la taille de ce commerce illégal mais aussi l’importance de la coopération internationale. L’enquête a révélé que deux hommes d’affaires ont fait passer au moins 1.4 t de caviar dans l’UE et l’ont vendu illégalement dans différents pays de l’UE en utilisant des documents falsifiés. Les douanes allemandes ont découvert cette affaire après avoir été informées par les douaniers français
Autre produit de luxe, le champagne fait l'objet de cambriolages spectaculaires chez les producteurs : en décembre 2020, un vigneron de l'Aisne a ainsi été soulagé de pas moins de 3000 bouteilles, selon France 3 régions. Comme pour les champignons, il s'agit d'une forme de délinquance saisonnière : c'est à l'approche des fêtes que les trafiquants s'intéressent aux caves. D'après les autorités, les cambrioleurs visitent les celliers et prennent ce qu'ils trouvent :
Comme dans le cas des deux cambriolages de Trélou-sur-Marne, les quantités volées peuvent être très aléatoires. "Ces délits sont réalisés par des opportunistes. Ils peuvent tomber sur des milliers de bouteilles sur palettes prêtes à être embarquées comme sur des celliers vides, remarque le major Frank Martin. Les bouteilles sont ensuite vendues sur tout le territoire français, à des prix défiant toute concurrence.
Le phénomène n'est pas récent : en 2010 déjà, un reportage de Canal 32 visible sur Dailymotion suivait une patrouille de gendarmes de Bar-sur-Aube, dont le brigadier soulignait l'attractivité de ce type de vol et la facilité à écouler un stock de bouteilles "quatre ou cinq euros en-dessous du prix". Il soulignait également que la plupart des exploitations volées étaient celles qui avaient négligé d'installer un système de protection efficace, notamment une alarme. Selon un reportage d'Imineo (sur YouTube), le vol peut toutefois être très rapide si l'individu connaît les lieux - et l'emplacement éventuel des caméras.
Sur YouTube toujours, Anselme Selosse, producteur réputé, déplore un vol non seulement de bouteilles mais également d'étiquettes, permettant aux malfaiteurs d'ajouter la contrefaçon à l'écoulement du butin.
Enfin, le vol de bétail est d'autant plus dommageable pour ses victimes qu'il est à la fois aisé et presque jamais élucidé :
L'autre principale source de vol l'été: celui du bétail. Un phénomène assez récent qui est, pour la FNSEA, «le gros point faible» dans l'actuelle tentative de lutte contre les délits en milieu agricole. «Jusqu'ici, personne n'a jamais été coincé pour un vol d'animaux», explique Arnaud Lemoine. «Les choses se passent la nuit et rarement deux fois au même endroit. De plus, l'été, les animaux sont souvent à des kilomètres de la ferme, impossible de voir ou d'entendre quoi que ce soit. Il suffit d'un camion et on emmène sans souci une ou plusieurs dizaines de bêtes...» Preuve de l'expertise des voleurs: les animaux sont parfois retrouvés tués et dépecés sur place. «Il ne reste alors plus que la peau et les os, toute la viande est emmenée» détaille Arnaud Lemoine. De ces animaux et cette viande, personne ne sait pour le moment ce qu'il en advient.
Source : Le Figaro
Cette impunité explique qu'on n'en sache pas plus sur les voies d'écoulement du butin, les clients, les sommes rapportées... toujours est-il que de nombreux éleveurs sont à bout, notamment en Loire-Atlantique. Ce qui a donné lieu à un numéro d'Envoyé spécial en février dernier, dont vous pouvez voir un extrait sur France TV info, où l'éleveur évoque des conditions de vol - raté - de six brebis tellement stressantes qu'elles en sont mortes.
Bonne journée.