Quelle place a l'aile de raie dans la gastronomie française et lyonnaise ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je cherche des informations sur la recette de l'aile de raie.
Je lis, ici et là, qu'il s'agit d'un classique de la gastronomie française. Et d'une recette typique de Lyon. Sans plus de précisions que cela.
En savez-vous plus ?
merci par avance.
Réponse du Guichet

La raie est effectvemment un grand classique de la gastronomie française et lyonnaise, depuis presque deux siècles.
Bonjour,
La raie a effectivement une place de choix dans la gastronomie française. Dès 1853, elle est citée dans le Dictionnaire général de la cuisine française ancienne et moderne ainsi que de l'office et de la pharmacie domestique :
RAIE, poisson cartilagineux et coriace lorsqu'il est nouvellement pêché, mais qui devient tendre et d'assez bon goût lorsqu'il est suffisamment attendu aussi dit-on vulgairement de la raie qu'elle a besoin de voyager, et c'est, du reste, le seul poisson qui puisse braver pendant les grandes chaleurs l'élévation du thermomètre. Les deux meilleures espèces de raie sont la turbotine et la bouclée. La meilleure manière de la manger est tout uniment de la faire cuire à l'eau de sel avec du vinaigre, et quelques tranches d'ognon. Il ne lui faut que deux bouillons pour être assez cuite; ensuite on retire la raie pour l'éoutter et l'éplucher, et on la sert masquée d'une sauce blanche aux câpres, ou bien à la sauce au beurre noir et garnie de persil frit.
Le foie de la raie ne doit rester pour être cuit que deux ou trois minutes dans de l'eau bouillante.
L'ouvrage propose des recettes telles que la raie à la noisette, raie frite, raie à la Sainte-Ménéhould, foies de raies, raietons... la raie au beurre noisette ainsi que les raieteaux frits étant encore des recettes mises à l'honneur par Le grand Larousse gastronomique édition 2017, montrant une indéfectible continuité du goût français pour ce poisson !
Nouvelle cuisine bourgeoise pour la ville et pour la campagne d'Urbain Dubois, paru dans les années 1880, présente également des recettes de raie au beurre noir, d'aile de raie grillée à la rémoulade, de raie au fromage et de foie de raie. Voici un extrait de la préface :
On chercherait vainement, dans ce livre, la description des mets compliqués et dispendieux qu'on prépare dans les grandes cuisines, car ils sont incompatibles avec les ressources limitées d'une maison bourgeoise.
J'ai tenu à éviter cet écueil de produire des recettes qui ne pourraient être pratiquées ni par les ménagères ni par les cuisinières.
J'ai préféré les donner simples; mais d'une rigoureuse précision et bien détaillées, afin que les personnes qui les consulteront, puissent non-seulement les bien comprendre mais encore les exécuter sans de grands efforts, ou tout au moins, les faire exécuter sous leur direction.
Or, la cuisine lyonnaise, celle des "bouchons" s'est précisément construite comme une cuisine bourgeoise, dont la simplicité est une qualité hautement remarquée, si on en croit La Cuisine de nos mères de Georges Blanc et Coco Jobart
, on peut lire :
"Mères". Ainsi a-t-on affectueusement surnommé à Lyon ces cuisinières talentueuses qui s'installèrent à leur compte à la fin du XIXè siècle, et dont le succès repose sur une cuisine bourgeoise exécutée au quotidien, avec passion et perfection. "Cette cuisine atteint tout naturellement ce degré suprême de l'art : la simplicité ", disait Curnonsky, le "prince des gastronomes".
Ledit Curnonsky se fait fort de donner dans son encyclopédie Cuisine et vins de France les recettes de la carbonade de raie, des filets de raie à la poulette, de la décidément très classique raie au beurre noisette ("c'est la préparation principale de la raie") et de l'aile de raie à la Saint-Cast... sans particulièrement les ancrer à Lyon. Ce qui n'empêche pas de nombreux livres de recettes de cuisine lyonnaise de comporter des recettes de raie, parmi lesquels :
Mais l'ancienneté de la raie au beurre (qu'il soit noisette, noir, même si celui-ci est selon Curnonsky dans l'ouvrage déjà cité "un poison" ou plus obscur encore ici) dans la gastronomie de la capitale des Gaules est attestée surtout par La cuisine lyonnaise : historique, recettes de Mathieu Varille, publié en 1928 et considéré par l'auteur de Gastronomie lyonnaise : les trésors retrouvés Yves Rouèche comme "le premier ouvrage destiné à la cuisine lyonnaise". Varille y évoque le repas de fiançailles et de noces d'Auguste Cabias, "qui fut maire de la Croix-Rousse et député du Rhône" :
Premier service : trois potages au riz et au coulis d'écrevisses, deux à la julienne, trois assiettes de thon, trois d'anchois, trois de cornichons, trois de melon, une raie au beurre brûlé, une grosse matelote d'anguilles, de brochets, de perches et de lottes, une pièce de boeuf à la Nivernaise [...].
Nous coupons là la liste gargantuesque pour ne pas vous faire risquer une indigestion. Mais la fête eut lieu le 27 octobre 1829, et le repas fut préparé par Bertholon, traiteur aux Etroits, ce qui confirme l'ancienneté de l'usage de la raie du côté de la Saône.
Bonne journée.