Quelles sont les couleurs de l'arc-en-ciel ?
Question d'origine :
Quelles sont les couleurs de l'arc en ciel?
Réponse du Guichet
La perception des couleurs est une donnée culturelle. Ainsi, le nombre de couleur que compte un arc-en-ciel est variable d'une époque, d'une culture, voire d'un individu à l'autre.
Bonjour,
Rappelons tout d'abord comment se forme un arc-en-ciel :
Un arc-en-ciel est un phénomène qui se produit surtout lorsque le soleil est bas sur l'horizon et que le temps est nuageux ou pluvieux. Il arrive aussi que l'arc-en-ciel apparaisse sur des cascades ou même sur de l'eau vaporisée à l'aide d'un spray.
Le point commun ? De l'eau en suspension dans l'air et, surtout, la lumière blanche du soleil. Le spectre de la lumière devient tout à coup perceptible et s'étend du rouge au violet, en passant par les principales couleurs qui sont l'orange, le jaune, le vert, le bleu et l'indigo.
La formation d'un arc-en-ciel
Comment ce phénomène optique se produit-il ? La lumière provenant du soleil se reflète sur les gouttes d'eau selon un angle d'environ 40°. Les gouttes d'eau ne réagissent pas tout à fait comme un miroir, sans quoi le reflet du soleil lui-même serait observé, mais plutôt comme un prisme qui réfracte la lumière blanche en un spectre multicolore.
Source : futura-sciences
S'il est désormais établi que c'est la lumière solaire, qui, en se décomposant, crée l'arc-en-ciel, le nombre de couleurs que présente celui-ci est toujours un choix plus ou moins arbitraire. Dans l'ouvrage Une belle histoire de la lumière et des couleurs, Bernard Valeur explique que "Si on vous a appris qu'il y avait sept couleurs (violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge) dans l'arc-en-ciel, c'est parce Newton avait mis en correspondance ces sept couleurs fondamentales avec les sept notes de la gamme diatonique : do, ré, mi, fa, sol, la, si." Ce choix peut sembler étrange de la part d'un savant ayant révolutionné les sciences, mais le nombre de couleurs de l'arc-en-ciel a toujours varié chez les scientifiques :
Le nombre de couleurs dans l'arc-en-ciel est-il une affaire de science ou de culture ? De l'Antiquité à la Renaissance, les textes sur l'arc-en-ciel font état de trois, quatre ou cinq couleurs. Par exemple, Aristote en voyait trois (violet, vert, rouge), Gassendi, cinq (pourpre, bleu, vert, jaune, rouge). L'ordre des couleurs était parfois différent de celui qui sera obtenu à partir de la décomposition de la lumière solaire par un prisme. Enfin, même Newton qui, à ses débuts en sciences, recensait cinq couleurs, changea d'avis pour décréter l'existence de sept couleurs sur la base du chiffre mythique 7, omniprésent dans l'histoire, la religion, la musique, etc [...]. Dénombrer les couleurs de l'arc-en-ciel relève donc en partie d'une démarche culturelle.
En réalité, la décomposition de la lumière solaire produit un spectre continu où les couleurs ne sont pas précisément séparées [...]. En outre, il est bien plus difficile de distinguer les couleurs de l'arc-en-ciel que dans la lumière dispersée par un prisme, car elles se chevauchent. Pourquoi ? En deçà de l'angle critique, l'intensité des rayons émergents d'une longueur d'onde donnée décroît rapidement en fonction de l'angle mais reste non négligeable sur plusieurs degrés. En conséquence, à l'exception du rouge, aucune couleur de l'arc-en-ciel n'est pure.
C'est aussi ce que dit un article de Sciences et avenir :
C’est par temps pluvieux que l’on peut avoir la chance d’apercevoir un arc-en-ciel mais pas seulement : autour d’une cascade ou en vaporisant ses plantes, il est possible de retrouver le même phénomène. En fait, il suffit qu’il y ait de l’eau en suspension dans l’air... et du Soleil. C’est sa lumière qui est réfractée par les gouttelettes d’eau. Si elle nous apparaît blanche, elle est en fait composée de toutes les couleurs existantes et celles-ci sont séparées par l’effet de prisme des gouttes d’eau.
Toutes les couleurs ? Alors pourquoi en avoir retenu sept ? Tout cela, à cause d’un célèbre physicien : Isaac Newton. Connu pour sa formulation de la loi de la gravitation universelle, il s’est aussi intéressé à l’optique et aux télescopes et avait remarqué que la lumière réfractée donnait des couleurs. Il a étudié le phénomène pour s’en affranchir, les aberrations chromatiques limitant l’usage des télescopes à lentilles. Après plusieurs expériences menées avec des prismes, il conclut que la lumière en apparence blanche du Soleil était composée de rayons colorés et il en dénombra cinq au départ : les trois primaires (le rouge, le jaune et le bleu) et deux secondaires (le vert et le violet). Il en rajouta deux (l’orange et l’indigo) pour faire correspondre la gamme des couleurs à la gamme des notes de musique (do, ré, mi, fa, sol, la, si). Toutes ses expériences sont résumées dans Opticks, un ouvrage qu’il publia en 1704. C’est donc à Newton qu’on doit la division en sept des couleurs de l’arc-en-ciel qui compte en réalité une infinie variation de teintes !
Selon un article de la Radio télévision suisse, la situation se complique encore si on prend en compte les limitations inhérentes à notre corps... et en particulier à notre rétine :
En réalité, l'arc-en-ciel présente une infinité de nuances: le facteur limitant étant ce que l'œil humain est capable de percevoir. Or nous sommes des trichromates: dans notre rétine, nous possédons des cellules photoréceptrices – nommées "cônes" – de trois types différents: certaines sont spécialisées dans les bleus, d'autres dans les verts ou les rouges.
Chaque famille de cônes est capable de distinguer une centaine de nuances de sa teinte de prédilection et donc, cela fait cent niveaux de bleu, fois cent niveaux de vert, fois cent niveaux de rouge, ce qui nous laisse tout de même – en théorie du moins – un sacrée palette d'un million de couleurs différentes.
Toutefois, nous ne sommes pas toutes et tous égaux devant l'arc-en-ciel. Chez certaines personnes, celles qui souffrent de daltonisme par exemple, un type de cône peut être plus ou moins défecteux. Ces gens se retrouvent avec une palette plus limitée: 10'000 couleurs différentes, s'ils sont complètement dichromates.
Les tétrachromates
Mais on pense qu'il existe aussi des individus tétrachromates – majoritairement des femmes, pour des raisons génétiques – qui auraient un quatrième type de cône et pourraient voir jusqu'à 100 millions de nuances de l'arc-en-ciel.
Ces limites physiques expliquent les limites extrême des longueurs d'ondes lumineuses que nous pouvons distinguer : selon l'ouvrage La lumière en lumière [Livre] : du photon à l'Internet / coordonné pas Benoît Boulanger, Saïda Ghellati-Khélifa, Daniel Hennequin... [et al.], "La lumière visible s'étend de 380 à 780 nanomètres (1nm = 1-9 m, un milliardième de mètre) en termes de longueur d'onde, ce qui correspond à des couleurs allant du violet au rouge".
Ajoutons que la perception et l'identification des couleurs ne sont pas des données universelles : elles sont induites par la culture et la langue de chacun. Ainsi
La perception de l’arc-en-ciel est-elle universellement DE L’ANTHROPOLOGIE partagée ou propre à chaque culture ? Depuis les travaux fondateurs de Newton, la tradition occidentale considère l’arc-en-ciel comme un composé de sept couleurs (rouge, orange, jaune, vert, bleu, violet, indigo) issu de la décomposition prismatique et continue de la lumière. Pourtant, dès 1810, Goethe, avec sa Théorie des couleurs, vient critiquer ce modèle, pour prendre en compte la subjectivité du regard. Dans son sillage, les Romantiques accusent Newton d’avoir « détruit la poésie de l’arc-en-ciel, en le réduisant aux couleurs prismatiques ».
Se défaire d’une théorie dominante afin de considérer d’autres types d’expériences et de perceptions : tel est l’objectif de cet ouvrage qui invite à découvrir une variété d’arcs-en-ciel extra-européens, de l’Antiquité à nos jours. L’enquête révèle que, dès lors que l’on s’écarte des sociétés européennes des derniers siècles, les liens entre arc-en-ciel et couleurs s’établissent selon des modalités différentes : nombre d’arcs-en-ciel sont trichromes, monochromes, voire incolores. En Égypte, en Mésopotamie, en Grèce ancienne,
en Éthiopie ou en Mélanésie, les couleurs de l’arc-en-ciel se déclinent ainsi selon des configurations bien éloignées du modèle newtonien. Ces dernières nous renseignent sur la façon dont chaque société envisage le chromatisme.
Quelles sont les conditions nécessaires pour colorer un arc-en-ciel ? Quelles représentations culturelles entourent l’apparition de ce phénomène météorologique ? Quels défis les arcs-en-ciel posent-ils pour la mise en images ? Voici les principales questions auxquelles ce livre se propose de répondre.
Concernant les couleurs, le livre souligne, dans des extraits consultables sur Google livres, qu'hors des "sociétés européennes des derniers siècles", les arcs-en-ciel peuvent être "trichromes, monochromes, voire incolores ou transparents" ! Et ces perceptions sont influencées par des données enthnolinguistiques. Décrivant une expérience menée à la fin di XIXè siècle auprès des autochtones de l'île Murray, au nord de l'Australie, les auteurs rapportent que les
Les huit individus de l'île Murray ont donné les couleurs suivantes comme étant celles d'un arc-en-ciel ! mamamamam (rouge), kakekakek (blanc), golegole (bleu-noir), bambaam (orange-jaune), pipi golegole (gris-bleu-noir), giazgiaz (vert), suserisuseri (vert-bleu), si on traduit ces mots de la couleur par une "teinte générique", selon la formule employée par [l'ethnologue] Rivers, et qui correspondent au vocabulaire britannique.
Plus près de nous géographiquement, mais plus loin dans le passé, rappelons que les langues grecque et latine de l'antiquité ne comportaient pas de mots pour désigner le bleu, par exemple... au point qu'on a longtemps cru que les anciens ne le percevaient pas. Selon un article de Libération,
En latin ou en grec, le ciel et la mer sont rarement qualifiés de bleus. Le vocabulaire est flottant. En grec, l'adjectif kyaneos qualifie aussi bien le bleu des yeux que le noir des vêtements de deuil. Et glaukos, qui indique une idée de pâleur, s'applique aussi bien au bleu des yeux, qu'au vert des feuilles ou au jaune du miel. Cela vient aussi de ce que, dans les sociétés anciennes, on ne nomme la couleur des phénomènes naturels que sur un plan métaphorique. Le ciel est blanc, rouge ou noir, selon la façon dont il agit sur la vie des hommes. Dire qu'il est bleu n'a pas de sens. Chez Homère, on trouve très peu d'adjectifs de couleur, mais énormément d'adjectifs de luminosité. Même chose dans la Bible où on est très attentif à l'éclat, la brillance, la matité. C'est une constante des sociétés anciennes. Et, au Moyen Age encore, un bleu brillant est perçu comme plus proche d'un rouge brillant que d'un bleu terne.
Voir aussi notre ancienne réponse sur l'invention des couleurs, qui citait l'intéressant article d'Annie Mollard-Defour, "les mots de couleur : des passages entre les langues" :
Le noir était nommé en latin à l’aide de deux termes : niger (« noir brillant », puis noir en général) et ater (« noir mat »). Ater a, peu à peu, été supplanté par le terme niger a l’origine du terme noir actuel (neir,1100), mais ater persiste toutefois dans des sens littéraires ou médicaux tels que atrabile (ou « bile noire »), synonyme de mélancolie (melaina chole) issue du grec.
De même, le blanc était nommé en latin par albus (« blanc mat ») et candidus (« blanc éclatant »). Si ces termes se retrouvent dans albescent, aube, aubade, aubépine (« épine blanche »), etc. ainsi que dans candide, candeur, candidat, etc., le terme blanc, générique exprimant la blancheur, est issu du germanique blank («brillant, clair ») et aurait été employé par les soldats germains pour qualifier l’éclat des armes ou la robe des chevaux. Le lexique du blanc et du noir latins met en évidence l’importance accordée aux notions de brillance et de matité, et se différencie en cela du lexique de notre société contemporaine qui s’attache davantage à traduire les différences de tonalités. Le grec leukos, « blanc, brillant, pâle » est à l’origine de l’élément formant leuc(o)- entrant dans la composition de mots savants tels que leucémie, leucoderme, leucome, etc.
1.2 Le rouge
Le latin disposait de nombreux termes pour traduire le champ du rouge, ce qui témoigne de la place privilégiée occupée par cette couleur dans la culture grecque et romaine : ruber, rufus, purpureus, punicus, rubicundus, rutilus, coccinus, mineus, sanguineus, flammeus, etc. [...]
Du latin galbinus, dérivé de galbus, « vert pâle, jaune vert », qui serait à rattacher à un radical indo-européen gal-, nous vient le terme jaune (1100), « couleur de l’or », puis (1165), dans un sens plus négatif, en parlant du teint marqué par la fatigue.
Egalement apparu vers 1100, le terme vert , du latin viridis , « vert », mais aussi « frais, vigoureux, jeune », a été, dès sa création, étroitement lié à la notion de végétal, d’herbe, de croissance.
Quant au bleu , il était si peu présent dans les textes anciens que certains philologues se sont interrogés sur l’absence de perception de cette couleur par les Grecs et les Romains ! [...]
le terme français bleu ne nous vient pas du latin, mais de l’ancien bas francique blao (bas latin blavus), de signification imprécise à l’origine, le sens le plus ancien emblant être « pâle, blanchâtre » et « livide, bleuâtre », en parlant du teint d’une personne ou de la peau contusionnée. Certainement issu de l’indo-européen bhleg-, «
briller ; brûler », bleu est étymologiquement lié à blanc, blond et blême.
Un autre terme, azur, du latin médiéval azurium, est issu de l’arabe lazaward, « lapis lazuli », du persan lazward. En français - comme en italien et en espagnol - les deux mots les plus courants pour désigner la couleur bleue ne sont pas hérités du latin, mais du germanique et de l’arabe : bleu et azur. Ce sont ces mots qui finiront par prendre le pas sur les autres et s’imposeront dans toutes les langues romanes. [...]
Parmi les termes chromatiques français désignant les grandes catégories de couleur, certaines sont référentielles, crées par analogie : violet, orange et rose.
Le français violet (1228) est dérivé de l’ancien français viole désignant la violette, fleur de cette couleur, et issu du latin viola, nom de différentes plantes dont la violette (viola purpurea).
Rose (1165), emprunt au latin rosa, du nom de la rose sauvage, l’églantine, est commun à toute l’Europe, mais par quelle voie ? Emprunt direct au latin pour chacune des langues ou à l’une d’entre elles pour toutes les autres ? Rose, s’il n’en est pas issu, est toutefois apparenté au rose grec rhodon (qui évoque le rhododactulos et les « doigts de rose » de l’aurore chers à Homère, et donnera naissance à rhododendron, rhodophycées, rhodochrosite,rhodosite, etc.). [...]
Les termes orangé (1534) et orange (1553) désignant la couleur sont issus du nom du fruit qui s’est diffusé dans toute l’Europe à partir du sud de l’Italie. L’ancien français pome (d’)orenge serait un calque de l’ancien italien melarancio, -a(depuis le XIVe), de mela « pomme » et de arancio « oranger, orange », emprunté à l’arabe, lui-même au persan narang, le o- du français moderne s’expliquant probablement par l’influence du nom de la ville d’Orange, tandis que le -a- par celle de l’italien
arancia, orange étant d’abord attesté dans une traduction de l’italien.
Pour aller plus loin dans les différentes perception de l'arc-en-ciel à travers l'espace et le temps, nous vous conseillons l'ouvrage de Bernard Maitte Histoire de l'arc-en-ciel.
Bonne journée.