Question d'origine :
Hitler faisait-il des cauchemars à cause des camps de concentration ?
Y a-t-il des éléments / des témoignages / des écrits laissant supposer que sa conscience le travaillait la nuit ?
Réponse du Guichet

Persuadé d'être dans son bon droit, Hitler n'avait à priori pas de problèmes de conscience, concernant les atrocités de la Shoah.
Bonjour,
Au vu des lectures et analyses qui ont été faites sur le personnage, nous pouvons dire qu’Hitler ne semblait guère torturé par sa conscience devant le sort des juifs. Et les sources d’époque de ses contemporains ne semblent pas non plus aller dans ce sens. Pour comprendre ce manque d'empathie reproché aux nazis en général, il est intéressant de se pencher sur la personnalité et la psychologie du führer. La page Wikipedia traitant de la psychologie d’Hitler, nous fournit des informations assez complètes sur les troubles de la personnalité dont souffrait Hitler. Loin d’excuser les actions de l’homme, ces pathologies nous permettent d’appréhender sa personnalité.
Voici en préambule, un rappel des difficultés rencontrées dans l'étude de la personnalité d’Adolf Hitler:
«Durant sa vie et ce jusqu’à sa mort, Hitler a souvent été soupçonné de souffrir de troubles mentaux tels que l'hystérie, la mégalomanie ou la schizophrénie paranoïde. Dans le cas d'Hitler, la psychologie pose des problèmes particuliers. Premièrement, les auteurs qui écrivent sur la vie privée du dictateur doivent traiter de la question selon laquelle un lectorat majoritairement intrigué accepte même les spéculations les moins prouvées.
Encore plus inquiétant est l'avertissement émis par certains auteurs selon lequel analyser la psychologie de Hitler serait le décharger de ses propres agissements. D'autres craignent qu'en accusant ou en diabolisant Hitler, tout le blâme concernant les actes du Troisième Reich puisse être entièrement placé sous sa responsabilité innocentant ainsi ses partisans les plus acharnés ainsi que les collaborateurs. Hannah Arendt parle notamment de "banalisation du mal"; en 1963, elle juge que pour un criminel nazi comme Adolf Eichmann, la parfaite santé mentale et la capacité d’organiser des meurtres de masse n’étaient pas totalement incompatibles.
Dans sa biographie de 2015, Peter Longerich a souligné comment Hitler a mis en œuvre ses objectifs politiques en tant que puissant dictateur avec une assurance inébranlable ainsi qu’une capacité élevée à courir des risques sans compter un pouvoir illimité.
Enfin, certains auteurs étaient fondamentalement opposés à toute tentative d'expliquer Hitler, par exemple par des moyens psychologiques. Claude Lanzmann est allé plus loin en qualifiant ces tentatives «d 'obscènes». Après l'achèvement du documentaire Shoah en 1985, il a estimé que de telles tentatives étaient à la limite de nier l’holocauste, avec une critique particulière adressée à l'historien Rudolph Binion.»
Vous le voyez, les tentatives d’analyse de la psyché d’Hitler suscitent des controverses et apparaissent comme un exercice risqué. Des diagnostics ont ainsi été évoqués: hystérie, paranoïa, schizophrénie et mégalomanie. Mais faute de sources fiables, ces diagnostics ne peuvent être prouvés de façon fiable. Néanmoins, certains comportements de führer laissent à penser qu’effectivement, il était sujet à des troubles psychiatriques: ses accès de colère, son intime conviction d’être l’élu destiné à sauver l’Allemagne, comportement égocentrique, théâtral, attaques de panique, jalousie irrationnelle, hypersensibilité, paranoïa etc...De plus, Hitler a depuis longtemps une santé fragile, et son médecin le traitera avec de nombreuses drogues. Il est avéré que pendant ses dernières années, Adolf était un poly toxicomane: méthamphétamines, barbituriques, amphétamines, opiacés et cocaïne faisaient partie des substances qu'il consommait régulièrement. Ces nombreux psychotropes déconnectaient souvent Hitler de la réalité et le maintenaient souvent dans le flou.
Ainsi "certains auteurs ont décrit Hitler comme un manipulateur cynique ou un fanatique mais ont nié qu'il était sérieusement dérangé mentalement. Parmi eux, l’historien britannique Ian Kershaw tire la conclusion qu’Hitler n'avait pas de troubles psychotiques majeurs et n'était pas cliniquement dément. Le psychologue américain Glenn D. Walters a écrit en 2000: «Une grande partie du débat sur la santé mentale à long terme de Hitler est probablement discutable car même s'il avait souffert de problèmes psychiatriques importants, il serait parvenu à atteindre le pouvoir suprême en Allemagne et ce malgré les difficultés ou par leur intermédiaire." Son schéma psychologique n’explique pas le pourquoi de la Shoah (qui n’aurait pu avoir lieu sans la participation active et la collaboration complaisante de milliers de personnes) mais il aide à comprendre le cheminement intérieur d’Hitler.
Pour revenir à votre question, Hitler semble toujours avoir été profondément convaincu d’agir pour le bien de l’Allemagne, en réaction à la menace que pouvait représenter les Juifs, entre autre. Il ne semble pas s’émouvoir du sort de la population juive puisque dans sa tête il est, et nous le voyons dans Mein Kampf dès 1920, persuadé d’être destiné à sauver, protéger et guider l’Allemagne, ce qui passe par la planification de la Shoah. Il ne s’est jamais éloigné de cette ligne de conduite, et n’a jamais exprimé ni remord ni regrets quant au sort du peuple juif. Voici ce que dit l'historien Peter Longerich dans sa biographie d'Adolf Hitler :
«Sa complexité volontaire, ne doit rien aux circonstances, mais tout à Hitler, qui n'a rien d'un "dictateur faible" et se révèle, au contraire, un autocrate cynique multipliant les organes concurrents et orchestrant à dessein les rivalités entre ses dauphins putatifs pour mieux demeurer le maître absolu. Sa paranoïa et sa cruauté (notamment envers les juifs) s'accentuent devant la perspective d'une défaite qu'il refuse d'admettre, alors qu'elle devient inéluctable après Stalingrad. S'ils bénéficient d'une réelle autonomie et se livrent entre eux à une guerre sans merci pour accroître leurs "territoires", les Göring, Goebbels, Himmler, Heydrich, Speer et autres Bormann n'en restent pas moins des exécutants, tremblant devant la volonté de leur chef.»
Un article du magazine Psychologies explique ainsi sa "folie" et son antisémitisme:
"Ce « juif », Hitler le voit partout. Il pullule, c’est un « poison », un « empoisonneur », une « maladie », une « bactérie »… S’il déteste à ce point les communistes, c’est qu’il voit en eux un masque du « juif ». Le « persécuteur » le nargue et se moque de lui. Mais, c’est sûr, pense-t-il, il sera le plus fort. Les juifs prétendent avoir une religion ? Hitler est convaincu qu’il s’agit là encore d’un masque.La religion de Moïse n’est rien d’autre que la doctrine de la conservation de la race juive », écrit-il dans Mein Kampf, cette race dont le « “parasitisme” fait souffrir toute l’humanité ». Naturellement, le « juif » est responsable de toutes ses frustrations ets’il n’a pu intégrer les Beaux-Arts (il était persuadé d’être un grand peintre), c’est sa « faute »."
Nous n'avons donc aucune source mentionnant des quelconques regrets de la part d'Hitler face au sort des juifs. Nous n'avons à priori non plus, aucune certitude de la "folie" du führer. Et aucun psychiatre n'a eu l'occasion d'analyser l'homme pour faire un diagnostic clair de sa personnalité. Néanmoins, Hermann Göring l'un des cadres du parti nazi eu l'occasion de s'entretenir avec un psychiatre américain du nom de Douglas Kelley durant sa détention lors du procès de Nuremberg en 1945-46. Kelley, qui doit étudier le profil psychologiquedes chefs nazis, leur fait passer de nombreux tests, s'entretient avec eux de longues heures, voulant s'approcher au plus près de la "personnalité nazie". Hanté par son expérience, il finira par se suicider douze ans plus tard. Son expérience passionnante est décrite dans le livre Le nazi et le psychiatre de Jack El-Hai. A défaut de pouvoir expliquer la psychologie d'Hitler, celle de ses généraux les plus proches constitue un champ d'étude tout aussi édifiant. Voici, et terminerons par là, les conclusions assez glaçantes du psychiatre concernant la santé mentale des dignitaires nazis qu'il a pu rencontrer:
"L'examen des tests de Rorschach suggère qu'aucun des grands dignitaires nazis ne présente de symptômes de maladie mentale ni de troubles psychiques permettant de lui coller une étiquiette de "fou". Kelley réfute donc un cliché qui a cours à l'époque. Tous ces hommes, y compris Hess, si amnésique et perturbé soit-il, sont responsables de leurs actes et capables de distinguer le bien du mal. Certes, Göring pose un problème particulier. Le psychiatre est sidéré qu'un être aussi intelligent et cultivé ait pu témoigner de tant d'immoralité, et d'une si complète indifférence envers le sort d'autrui. Peut-être l'exemple de Göring suggère-t-il qu'un être intelligent et assumant de hautes responsabilités est tout à fait susceptible de perdre le nord et de devenir nuisible.
Kelley avait espéré découvrir un "virus" nazi, un "noyau" psychopathique commun à tous les accusés, il en est pour ses frais. En revanche il a détecté des anomalies psychiques qu'il qualifie de "névroses": il est possible qu'elles aient contribué à déséquilibrer ces individus et à aggraver leur cruauté, sans toutefois leur faire franchir la frontière qui sépare la normalité de la folie. Ils présentent tous également une ambition démesurée, une éthique atrophiée et un patriotisme exorbitant, caractéristiques dont la combinaison leur permet de justifier pratiquement n'importe quel acte à la moralité douteuse. Les nazis qui plus est, n'étaient pas des monstres, des machines à faire le mal ou des automates dépourvus d'âme ou de sentiments. Faute d'avoir identifié les ressorts secrets du psychisme nazi ou sa faille pathologique, Kelley est amené à conclure à regret, que de très nombreux individus sont capables de se transformer eux aussi en criminel de guerre. Un constat en soi assez effrayant."
Pour aller plus loin:
Adolf Hitler, étude psychologique / H. Stierlin
Pourquoi Hitler ? / R.Rosenbaum
Hitler et l'Allemagne : l'envers de l'histoire / R.Binion
« Nous pouvons vivre sans les Juifs » / E. Husson
Psychanalyse du meurtre totalitaire / G. Laval
Sur la pathologie d’Hitler / O.Postel-Vinay
Comment devient-on tortionnaire ? : psychologie des criminels contre l'humanité / Françoise Sironi