Depuis quand existe en France la coutume de fleurir les tombes ?
Question d'origine :
Depuis quand existe en France la coutume de fleurir les tombes ? Cette pratique a-t-elle été courante durant toute l'époque moderne et contemporaine ?
Réponse du Guichet
C'est au XIXe siècle que cette tradition, héritée des Romains, sera remise au goût du jour en France.
Bonjour,
D'après l'ouvrage Aux origines des rites funéraires : voir, cacher, sacraliser d'Eric Crubézy, que nous n'avons pas pu consulter du fait du télétravail mais dont on peut consulter quelques extraits sur Google livres, on peut lire que le fait d'apporter des fleurs sur une tombe s'est "généralisé en Europe depuis le XIXè siècle".
L'article de Régis Bertrand "Origines et caractéristiques du cimetière français contemporain", revue Insaniyat, 2015, lisible sur journals.openedition.org, retrace les mutations du cimetière à partir de la fin du XVIIIe siècle. L'auteur nous explique que sous l'ancien régime, deux régimes funéraires coexistaient : inhumation à l'église - plutôt pour l'élite - et au cimetière - plutôt pour les pauvres, notamment en zone urbaine. L'augmentation de la population de ces lieux de repos éternel tendant à poser des problèmes d'hygiène publique, Louis XVI promulgua en 1776 un édit ordonnant "le transfert à terme des cimetières hors des enceintes des « villes et bourgs »." En conséquence, à la fin du siècle, "la plupart des cimetières de l’Europe catholique sont, à quelques exceptions près, des enclos entourant un terrain vague, considérés comme des lieux insalubres", et certainement pas des lieux de visite. Après la période révolutionnaire et une "phase d’interdiction du culte des religions révélées qui s’est aussi traduite par la suppression des rites publics d’enterrement et par l’égalitarisme des inhumations dans des fosses anonymes", c'est avec le décret napoléonien du 12 juin 1804 reconnaissait « le droit qu’à chaque particulier, sans besoin d’autorisation, de faire placer sur la fosse de son parent ou de son ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture » que le cimetière moderne commence à ce dessiner. Et que les fleurs apparaissent :
L’offrande d’une couronne de fleurs ou de feuilles est un hommage nouveau, apparemment inspiré de réminiscences gréco-romaines réinterprétées et propagées par la Révolution. Sa pratique se diffuse sans doute depuis les cimetières parisiens. La couronne d’immortelles supplante les cierges jadis portés aux obsèques ; elle s’impose surtout comme marque d’une visite du tombeau, lors de l’anniversaire de la mort d’un défunt ou à l’occasion des fêtes dites « de la Toussaint » (1er novembre, ce jour qui commémore les saints inconnus est ordinairement confondu avec celui proprement dédié aux morts, le 2 novembre). La visite au cimetière en transforme les rites : l’assistance à la cérémonie dans l’église est complétée par le pèlerinage individuel et familial sur les tombes, qui tend à la remplacer.
Comme le suggère cet article, l'usage de fleurir les tombes s'imposant alors est le retour d'une tradition ancienne : on a en effet retrouvé restes de fleurs dans des sépultures de la culture natoufienne datées de 13 700 ans. Si on ignore quel pouvait être le sens de ce geste, il est en revanche, chez les romains, très clairement religieux :
Le dépôt floral sur la tombe appartient à un langage symbolique très ancien. Déjà les Romains rendaient hommage à leurs morts en leur offrant des fleurs. Mais le dépôt floral relevait alors très clairement de l'offrande. Il s'accompagnait d'ailleurs d'autres présents (nourriture, biens matériels) et de sacrifices accomplis sur le lieu même de la tombe. Il s'agissait d'obtenir des satisfactions en retour. Après avoir tenté, en proscrivant toutes les offrandes dont les fleurs, d'éradiquer ces coutumes dénoncées comme « païennes », l'église chrétienne, se rendant compte de leur enracinement, a peu à peu toléré le dépôt floral à condition que son intention soit purement ornementale : selon les propres termes de saint Augustin, les fleurs témoignent d'un « respect rendu à la mémoire [des morts] », elles ne sont par elles-mêmes «ni des objets sacrés, ni des offrandes sacrificielles rendus aux morts comme s'ils étaient des dieux ».
Source : https://catalogue.bm-lyon.fr/Le souvenir des morts : essai sur le lien de filiationark:/75584/pf0000708927.locale=fr / Jean-Hugues Déchaux
Quant à l'association de la tombe et du chrysanthème, particulièrement à la Toussaint, elle daterait du mitan du XIXe siècle, et serait due au fait que cette fleur a une floraison tardive :
La littérature spécialisée indique que dès la moitié du XIXe siècle, cette plante a commencé à remplacer les bougies laissées dans les cimetières pour la fête des saints, la Toussaint. Elle a été choisie pour une raison simple : c’est l’une des rares à être encore en fleur début novembre.
Mais, grand nombre oblige, la plante a gagné en « popularité » après la première guerre mondiale, pour fleurir les tombes des millions de morts, en France et en Belgique. Le 1er novembre 1919, comme en atteste Le Monde illustré, « toutes les tombes portent un plant de chrysanthèmes blancs » : « Il y a de la mélancolie dans leur teinte, et nous sommes dans un temps de mélancolie », écrit Antoine Redier.
Source : Le Monde
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