Je cherche un ouvrage sur la construction de la maison Brunet
Question d'origine :
Bonjour cher Guichet,
On peut lire tout et son contraire sur la maison Brunet, celle aux soi-disant 365 fenêtres (en réalité 378 mais il y en 13 de murées...). Y a t il un ouvrage qui donne plus de détails sur sa construction, sur la volonté supposée de son constructeur (le canut Claude Brunet) d'en faire un calendrier, (52 appartements, 6 étages et deux escaliers, soit douze comme les mois de l'année, 4 portes d'allées, 365 fenêtres, etc...) et le fait que cette construction l'a ruiné et que la maison a été saisie et vendue aux enchères ? En particulier je pensais à l'ouvrage de Nicolas Jacquet (dont j'avais suivie une visite en son temps 2008 ?...) sur les façades lyonnaises. Peut être s'est il intéressé à cette maison emblématique de Lyon ?
Merci.
Praline
Réponse du Guichet
Nous n’avons pas trouvé d’étude approfondie de l'immeuble dit "maison Brunet" dans les ouvrages que nous avons pu consulter, hormis le compte-rendu d'une conférence de Gérard Truchet et Jean-Paul Tabey aux Amis de Lyon et de Guignol. Si cet immeuble est souvent cité, les intentions de son commanditaire ou de son constructeur ne sont guère développées, sans doute par manque de sources fiables. Nous n’avons cependant pas exploré toutes les ressources possibles, nous vous laissons le soin de prolonger ces recherches. Vous trouverez dans notre réponse les ressources consultées et quelques informations qui y figurent.
Concernant l’impact sur les finances de M. Brunet, nous avons trouvé dans la presse numérisée quelques références qui vous intéresseront. Il y est question d’un troc d’immeubles et d’expropriations forcées, ce qui laisse supposer qu’il n’était pas en bonne posture mais ne nous donne pas une vue précise de sa situation, ni du lien direct avec la construction de cet immeuble !
Hormis quelques photographies, le dossier consacré à la maison Brunet sur le site de l’Inventaire du patrimoine culturel en Auvergne-Rhône-Alpes est quasi vide, à notre grand regret…
On trouve sur le web un compte-rendu de conférence de Gérard Truchet et Jean-Paul Tabey sur La maison aux 365 fenêtres (Conférence du 7 novembre 2015), dans lequel les auteurs mettent en question l’interprétation faite de l’architecture de la maison Brunet : «Mais à l’origine est-ce vraiment la volonté du propriétaire ou celle des maçons de s’attacher au rythme du temps au point de concevoir une construction exemplaire ? C’est bien là tout le mystère et il restera, nous semble-t-il, entier jusqu’à la fin des temps et de l’édifice (…)». Vous y trouverez des informations assez détaillées sur Claude Brunet. Pour en savoir plus sur les recherches menées par les deux auteurs et leurs sources, vous pouvez contacter l’association des amis de Lyon et de Guignol, dont Gérard Truchet est président.
Voici les ouvrages que nous avons consultés à propos de la maison Brunet :
Histoires, légendes et anecdotes à propos des rues de Lyon avec indication de ce qu'on peut y remarquer en les parcourant / par Louis Maynard, 1922 (rééd 1980), tome 4, p. 20, extrait de la notice sur la place Rouville :
«La maison Brunet, immense, corps de bâtiment qui compte 365 fenêtres, occupe la plus grande partie de la façade de la place Rouville. Le 22 novembre 1831, elle devint, entre les mains des insurgés lyonnais, une véritable citadelle qui tint en échec les troupes venant de la rue de l’Annonciade. L’intervention de l’abbé Pierre Pousset empêcha que la maison ne fût démolie à coups de canon. Cet immeuble figure sur un plan du «clos Saint-Benoît» daté de 1826. Il fut construit sur l’emplacement d’une villa romaine dont on a retrouvé les vestiges et, particulièrement, quatre belles statues : Apollon, Mercure, un prêtre faisant brûler l’encens, un jeune faune.»
Façades lyonnaises : 2000 ans de création architecturale et de confluence culturelle / Nicolas Jacquet, p. 121-122, chapitre «L’architecture de la fabrique et des pentes de la Croix-Rousse». Extrait concernant la maison Brunet :
«Cette maison, qui a abrité les bureaux du premier journal ouvrier français, L’Echo de la fabrique, fondé en 1831, est particulièrement remarquable en ce qu’elle se compose de 52 appartements, 7 étages, 4 portes cochères et de 365 fenêtres : semaines, jours de la semaine, saisons et jours de l’année y trouvent ainsi une illustration. Cette maison construite en 1828 présente un front continu de percées rectangulaires et constitue un édifice remarquablement engagé dans les chemins de la modernité architecturale ». L’auteur ne fournit pas de référence bibliographique précise pour cet immeuble. La bibliographie générale se trouve p. 228.
Lyon silhouettes d’une ville recomposée: architecture et urbanisme, 1789-1914 / Dominique Bertin et Nathalie Mathian, p. 199-200 :
«Le plus spectaculaire des immeubles-ateliers est construit dans les années 1818-1825 au n°6, place Rouville. Sa grande hauteur, l’absence de hiérarchie des étages, la multiplication des baies et l’absence de décor confirment son occupation par des métiers à tisser. Il s’agit en fait d’un immeuble double implanté sur un ilot cerné de rues appartenant à l’ancien clos Gonin, dénommé, en 1826, «maison Brunet» et aujourd’hui «maison aux 365 fenêtres». Il s’impose comme un prototype par son architecture, son occupation sociale et son histoire, puisque lors de la révolte des canuts en 1831, il est transformé en citadelle par les insurgés.
Avec ses vingt-et-une travées sur huit niveaux, côté place, il barre la colline. La façade est surprenante par sa rigueur et le développement répétitif des travées en rez-de-chaussée et des «365 baies». (…) »
Les paragraphes suivants s’intéressent à l’occupation de l’immeuble dans les années 1830 et à la répartition des activités, mais n’abordent pas les points qui vous intéressent. Un plan du rez-de-chaussée et du 1er étage du 6 place Rouville dressé lors d’une expertise du 31 mars 1830 est reproduit p. 198 (plan conservé aux Archives départementales du Rhône).
La Croix-Rousse des canuts : déambulations historiques et photographiques / photographies Laurent Amieux ; textes George Sheridan, p. 61-63, à propos de la place Rouville :
«Cette place «moderne» que «peu de maisons […] garnissent» au début du Second Empire était pourtant occupée alors par «la magnifique maison dite Brunet […] qui n’est habitée que par des ouvriers en soie» (23). Cette maison de six étages, «la plus gigantesque construction qu’on ait faite à l’usage des tisseurs», était «citée pour avoir autant de fenêtres qu’il y a jours dans l’an» (24). Elle est commémorée pour avoir abrité des insurgés, qui tirèrent de ses fenêtres lors de l’insurrection de novembre 1831. C’est une «fameuse caserne d’ouvriers!» s’exclame l’un des personnages dans le roman des Lurons de Sabolas (1932) d’Henri Béraud. «La baraque Brunet […] quand ça chauffe, les grandes capotes n’ont pu s’en approcher à moins de cent pas…», ajoute un autre.» (…) «Elle jouit d’ailleurs «d’une vue sur Lyon qui ne le cède en rien aux positions les plus recherchées» (28).»
L’article d’Aymeric Blanc La maison Brunet, paru dans Lyon Mag n°166 (février 2007) aborde la "légende des 365 fenêtres" et la ruine de son commanditaire, mais l’auteur n’indique pas ses sources.
La Croix-Rousse à travers l’histoire, de Georges Rapin, 1983 : un paragraphe sur la «maison aux 365 fenêtres» qui ne vous en apprendra guère plus, sans sources précises.
Autres documents consultés sans succès :
La colline de la Croix-Rousse : histoire et géographie urbaine / Josette Barre, 1993 : sans index des noms, difficile d'en être certain mais nous n'avons pas vu de paragraphe consacré à la maison Brunet.
Soierie lyonnaise et habitat / Josette Barre , in : Le Monde alpin et rhodanien ; No 2-3, 1991, p. 39-52
L'architecture à Lyon : Lyon et le Grand Lyon de 1800 à 2000 / Jacques Beaufort, 2001
Lyon, connaître son arrondissement : Le 1er / par Jean Pelletier, 2009
Vous pourriez consulter en ligne : Tableau historique, administratif et industriel de la ville de La Croix-Rousse [Livre] / par J.-F. Bunel (consultable en ligne sur Numelyo)
Un membre de la Société archéologique historique littéraire et scientifique du Gers s’est amusé à répertorier différents bâtiments comptant 365 fenêtres dans un article publié en 1979.
Le catalogue en ligne des archives de la Société académique d’architecture de Lyon signale un dossier sur l’immeuble au 5 place de Rouville (il nous semble que le n°5 fait également partie de la maison Brunet, à vérifier cependant), mais ne vous intéressera probablement pas car cela semble concerner l’installation d’un ascenseur : «Immeuble 5, place Rouville 69001 - ascenseur - état des lieux, plans Lyon».
Concernant l’état des finances de Claude Brunet après la construction de l’immeuble aux «365 fenêtres», nous avons trouvé dans la presse lyonnaise numérisée quelques indices laissant à penser qu’il était effectivement en mauvaise posture :
- Le Précurseur du 6 février 1828 (consultable sur Numelyo) publie une annonce judiciaire relative à une échange de biens immobiliers entre les époux Brunet-Ballay et les époux Boyet-Richard, où l’on apprend que Claude Brunet et sa femme se désaisissent de l’immeuble appelé «maison Brunet» situé rue de Flesselles, qu’ils ont fait construire sur un emplacement acquis en 1824. La maison Brunet n’est donc pas restée longtemps entre les mains de ses premiers propriétaires. On ne connait en revanche pas les raisons de cet échange :
D'un acte reçu M" Cherblanc, qui en a la minute, et son collègue, notaires à Lyon, le trois janvier mil huit cent vingt-huit, enregistré le quatorze, transcrit le quinze au bureau des hypothèques de Lyon, il appert : Que M. Claude Brunet, marchand fabricant de schals, et de lui autorisée, dame Aune Ballay, son épouse, demeurant ensemble à Lyon, place des Capucins, n°1 , ont solidairement donné en échange à M. Jacques Boyet, négociant commissionnaire, et de lui autorisée, a dame Marie Richard, son épouse, demeurant ensemble à Lyon, place des Terreaux, une maison située à Lyon, rue de Flesselles , appelée maison Brunet, et qu'ils ont fait construire sur un emplacement qu'ils ont acquis de M. André Gonin et de la dame Antoinette Combe, son épouse, les cinq juin, quatorze septembre mil huit cent vingt-quatre, et quinze janvier mil huit cent vingt-cinq, par actes enregistrés reçus Mes Bonnevaux et son collègue, notaires à Lyon.
Par le même acte, les mariés Boyet et Richard ont solidairement donné en contre-échange aux mariés Brunet et Ballay, un ténement de terrain propre à recevoir des constructions, situé aux Brotteaux, rue Monsieur, commune de la Guillotière. Ces terrains ont été acquis par M. Boyet de M. Charles Rambaud, par acte reçu Me Coste, notaire à Lyon, le vingt-un juin mil huit cent vingt-six.
2° Un domaine situé en ladite commune de la Guillotière, au lieu de la Blancherie, consistant un bâtimens, cours, jardin et clos ; le tout contigu, acquis des mariés Nicolas Morel, et Anne Barre, par acte reçu Mes Rozier et son collègue, notaires à Lyon, le cinq janvier mil huit cent vingt-six.
Ces échange et contre-echange ont été faits aux clauses , charges et conditions portées dans l'acte. Les mariés Boyet et Richard et les mariés Brunet et Ballay, voulant purger les immeubles par eux réciproquement échangés des hypothèques légales, connues ou inconnues, qui peuvent les grever, ont fait déposer le vingt-quatre janvier mil huit cent vingt-huit, au greffe du tribunal civil de Lyon, expédition en due forme de l'acte d'échange prédaté, extrait duquel a été de suite affiché au tableau placé à cet effet en l'auditoire dudit tribunal, pour y rester le tems voulu par la loi.
Le quatre février suivant, par exploit visé et enregistré de Barcet, huissier à Lyon , l'acte de dépôt ci-dessus a été dénoncé et signifié : 1° à M. le procureur du roi près le tribunal civil de Lyon ; 2° à ladite dame Anne Ballay, épouse de M. Claude Brunet; 3° à ladite dame Anne-Marie Richard, épouse de M. Jacques Boyet, avec déclaration qu'ils feraient publier lesdits dépôt et signification, conformément aux articles 2194 du code civil, 683 du code de procédure civile et de l’avis du conseil d'état du 9 mai 1807, et ce afin que tous intéressés connus ou inconnus n'en ignorent.
- Le Précurseur du 2 décembre 1829 (consultable sur Numelyo) publie une annonce judiciaire portant sur la «Vente par la voie de l’expropriation forcée d’immeubles consistant en un domaine situé au lieu de la Blancherie, à la Guillotière, et en un espace de terrain à bâtir situé aux Brotteaux, rue Monsieur». La saisie de ces immeubles appartenant à Claude Brunet, négociant et propriétaire et à son épouse Anne Ballay (procès verbal du 29 novembre et premier décembre 1828) fait suite à la requête du sieur Antoine Odemard et de son épouse dame Anne Maître, fabricants. Il s’agit des biens immobiliers dont Claude Brunet et sa femme étaient devenus propriétaires suite à l’échange mentionné ci-dessus.
Le Moniteur judiciaire de Lyon, Journal des annonces judiciaires du 5 décembre 1829 (consultable sur Google books) publie une annonce de la « vente par expropriation forcée d’une maison appelée maison Brunet située à Lyon, place Rouville, clos Gonin »: Louis Rolle et Antoinette Olivier, propriétaires rentiers ont fait saisir au préjudice de Jacques Boyer, commissionnaire, et de dame Marie Richard, son épouse, "une maison leur appartenant appelée vulgairement «maison Brunet»".
Voir les différents volumes numérisés du Moniteur judiciaire de Lyon
Dans le Précurseur du 10 décembre 1830, Marie Richard, épouse de Jacques Boyer, demande la séparation de biens et la liquidation de ses droits dotaux !
Le Précurseur du 6 avril 1831 publie une annonce qui nous apprend que «les propriétaires de la maison dite Brunet, place Rouville, préviennent qu’ils disposent pour bourgeois la façade de leur bâtiment, côté midi, et pour ateliers celle côté nord. Beau site, salubre. Prix modéré. S’adresser à M. Boyer.». Jacques Boyer aurait donc encore été propriétaire ou du moins gestionnaire de la maison Brunet à cette date, malgré la publication de la saisie en 1829 ?
Le Censeur du 13 janvier 1837 nous informe qu’a lieu une nouvelle vente par expropriation forcée de la maison Brunet au préjudice de Jean-François Labbe, alors propriétaire.
Une maison qui n’aura pas porté chance à ses premiers possesseurs !
Quels étaient les liens entre les Brunet et les Boyer? Que signifie l'échange d'immeubles réalisé entre les deux couples en 1828, et les saisies et expropriations qui suivirent ? Nous vous laissons le soin de poursuivre les recherches !