"Liberté, égalité, fraternité ou la mort" : est-ce la vraie devise originelle de la France ?
Question d'origine :
Bonjour
"Liberté, égalité, fraternité ou la mort" : est-ce la vraie devise originelle de la France ou bien "la mort" a-t-elle été rajoutée à la révolution française de 1789 ? Sinon à partir de quand cette devise est celle que nous connaissons aujourd'hui ?
Merci.
Réponse du Guichet

Une synthèse de l'évolution de la devise républicaine "Liberté, Égalité, Fraternité".
Bonjour,
La devise "Liberté, Égalité, Fraternité" telle que nous la connaissons aujourd’hui a été pour la première fois exprimée durant la période révolutionnaire. Mais ses origines sont plus anciennes. Des penseurs comme John Locke, Jean-Jacques Rousseau, Fénelon ou encore Voltaire, associent fréquemment ces notions : le couple liberté-égalité apparait ainsi dans de nombreux écrits, et ce dès le XVIIème siècle ; ce couple fera au siècle suivant partie intégrante du fonds des Lumières. La notion de fraternité se retrouve également dans des écrits antérieurs, associée à celle d’égalité. Notons par ailleurs l’influence de la franc-maçonnerie, dont le langage utilise ces notions, en particulier celle de fraternité, prérequis de la démarche maçonnique.
Mais c’est Robespierre qui formule le premier cette devise «à l’identique», dans son discours sur l’organisation des gardes nationales, le 18 décembre 1790 (discours prononcé à la société des amis de la Constitution) : «Décret proposé Art 16 : Elles porteront sur leur poitrine ces mots gravés : le peuple français, et au-dessous : Liberté, égalité, fraternité. Ces mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux, qui porteront les trois couleurs de la nation.»
Quelques années plus tard, en juillet 1793, le Directoire du département de Paris, invite les habitants à «faire peindre, sur la façade de leurs maisons, en gros caractères, ces mots : Unité, indivisibilité de la République ; Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort». (Extrait de Feuille de correspondance, ou Nouvelles patriotiques pour les habitants des campagnes, 1793). Cette décision va essaimer hors des murs de la capitale, adoptée par un grand nombre de révolutionnaires. Et cette devise devient alors d’un usage très fréquent.
Mais elle est mise en cause assez rapidement par les Montagnards eux-mêmes, pour des raisons conjoncturelles. En effet, la guerre fait rage, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières. Sur le territoire national, il n’y a pas que des républicains, quid de la fraternité avec les royalistes et autres conspirateurs ? Réduite à ses trois premiers termes (la notion de mort s’étant effacée), elle demeure cependant d’un usage courant après 1794 : toujours invoquée par les loges maçonniques, on en trouve des traces jusqu’au Directoire. Durant cette période, la devise est abandonnée au profit de «Liberté – Ordre», plus proche de l’idéologie du temps ; elle est de nouveau transformée par Napoléon et devient «Liberté – Ordre public». Mais comme nous le dit le Dictionnaire de l’Histoire de France «la triade continue à cheminer dans les mémoires, notamment dans les sociétés secrètes et la franc-maçonnerie […] Sous la pression populaire, la IIème République décide, en février 1848, de l’inscrire sur le drapeau tricolore.» Cette devise sera ainsi inscrite dans le préambule de la Constitution de la deuxième République. Le clergé l’adopte également à cette période, ces notions étant compatibles avec les valeurs prônées par les Évangiles.
Le juriste Michel Borgetto nous précise dans son ouvrage La devise liberté, égalité, fraternité, que "Ce n’est que dans la première moitié du XIXème siècle que les trois termes de Liberté, Égalité et de Fraternité sont parvenus à s’imposer en tant que tels comme devise de la République. Avant d’être définitivement fixée, cette trilogie a connu en effet une gestation relativement difficile : il a fallu choisir ces mêmes termes, les associer, les ordonner en une suite se voulant logique et cohérente, les imposer face à d’autres formules concurrentes, enfin assurer leur suprématie au titre d’incarnation ou de figure emblématique du régime républicain.
Autant d’étapes qui montrent bien qu’entre la période qui va de 1789 jusqu’à la fin de la Révolution française et celle qui va du Consulat et de l’Empire jusqu’à la fin de la Seconde République, il y a beaucoup plus qu’une simple évolution : il y a en réalité tout l’écart qui sépare une phase d’élaboration doctrinale de la devise de la phase de consécration juridique de celle-ci".
Effacée par Napoléon III, cette devise est rétablie durant la IIIème République : le 14 juillet 1880, la triade est inscrite sur le fronton des édifices publics. Elle provoque encore quelques résistances (largement développées dans l’ouvrage précédemment cité de Michel Borgetto), mais s’imposera durablement jusqu’au régime de Vichy, qui lui substitue une autre triade «Travail, Famille, Patrie». Mais la devise révolutionnaire sort de l’épreuve douloureuse de Vichy sensiblement renforcée. Elle n’est désormais plus seulement la devise du régime républicain, mais devient devise de la constitution républicaine :
Pour aller plus loin :
- La devise liberté, égalité, fraternité, Michel Borgetto, Paris, PUF, 1997
- Lieux et symboles de la République, Mathilde Larrère, Paris, CNRS éditions, 2019