Dans quelle mesure des sculptures existant en plusieurs exemplaires sont-elles considérées comme "originales" ?
Question d'origine :
Bonjour,
je souhaitais savoir dans quelle mesure des sculptures existant en plusieurs exemplaires sont considérées comme "originales". Il me semble qu'il est question d'un nombre d'exemplaires limités. Je pense par exemple à L'âge d'airain de Rodin, dont il existe 2 exemplaires de taille différente au musée des Beaux-Arts de Lyon, il y en a un (de mémoire) au musée Rodin et sans doute ailleurs. Qu'est-ce qui fait que ces exemplaires sont considérés comme des "originaux" ?
Merci
Réponse du Guichet

Sont considérées œuvres d'art originales, les sculptures dont le tirage est contrôlé par l'artiste mais aussi limité en nombre d'exemplaires.
Le gouvernement français limite ces tirages à huit exemplaires auxquels peuvent s'ajouter quatre épreuves d'artiste.
On retrouve sur le marché plusieurs variations d'échelle d'un même modèle de sculpture. A ce sujet, la législation française se réfère au projet original de l'artiste et considère comme œuvres d'art originales les exemplaires dont l'échelle correspond à la volonté première de l'artiste quant à la version finale de l'oeuvre.
Bonjour,
Votre question porte sur la notion d'oeuvre originale pour les sculptures produites en multiples.
A ce titre vous prenez l'exemple de la première statue en bronze d'Auguste Rodin de 1877 L'Âge d'airain présente dans plusieurs musées, dont celui des Beaux-Arts de Lyon qui en conserve deux modèles de tailles différentes.
LA NOTION DE MULTIPLE EN ART
Le mot "multiple" a deux définitions dans le domaine des arts.
Au sens large, le multiple est une œuvre d'art qui remplit les trois conditions suivantes : être réalisée en plusieurs exemplaires identiques, de façon artisanale, et en utilisant une matrice unique.
Le terme a aussi une définition plus stricte pour le droit français : un nombre d'exemplaire limité peut être qualifiée d'œuvre d'art originale et au delà de ce nombre, chaque exemplaire s’appellera multiple et sera considéré non plus comme une œuvre d'art mais comme un objet d'usage.
Je vous invite à consulter une réponse antérieure du Guichet du Savoir au sujet du multiple et de la reproduction en art.
LA QUESTION DE LA SCULPTURE ORIGINALE
En France, en matière de sculpture, sont considérées comme œuvres d'art originales les productions exécutées de la main de l'artiste ou les fontes à tirage limité dont la production est contrôlée par l'artiste.
C'est souvent le cas pour les bronzes -comme L'Âge d'airain de Rodin- qui par la nature même des procédés et techniques du prototype et du moulage se prêtent à la multiplicité.
Le gouvernement français, par sa fiscalité, limite à huit exemplaires les tirages pouvant être considérés comme des tirages d’œuvres d'art originales. Peuvent s'y ajouter quatre exemplaires obligatoirement marqués "EA" (épreuve d'artiste).
Cette réglementation qui date de la fin des années 60 vient clarifier la définition d'une œuvre d'art originale par l'article 98 A du Code général des Impôts déclarant que "sont considérées comme œuvres d'art [...] fontes des sculpture à tirage limité à huit exemplaires maximum". De plus, l'exemplaire doit être numéroté et la tirage avoir été contrôlé par l'artiste ou ses ayants droits.
Vingt ans plus tard, le Syndicat Général des Fondeurs d'Art a édité un code déontologique qui autorise pour les œuvres d'art originales, quatre autres exemplaires appelés d'usage "épreuves d'artistes", numérotées comme telles et correspondant à des tirages personnels de l'artiste. La sculpture originale devra comporter la signature de l'artiste, le numéro du tirage et le cachet de la fonderie. L'artiste devant déclarer au moment de la réalisation de la première pièce si celle-ci est une pièce unique ou un multiple avec un nombre de tirages originaux.
Précisons que cette réglementation est française et qu'elle ne s'applique donc qu'au territoire français.
L'EXEMPLE DE LA SCULPTURE DE RODIN L'ÂGE D'AIRAIN EXPOSÉE DANS PLUSIEURS MUSÉES, DONT CELUI DES BEAUX-ARTS DE LYON
- Au musée des Beaux-Arts de Lyon, sont en effet exposées deux statues de L'Âge d'airain, la première étant une épreuve d'artiste, la seconde étant une réduction.
Les notices respectives de l'épreuve et du modèle réduit, rédigées par le Musée des Beaux-Arts de Lyon, contiennent tous les éléments techniques, de datation et d'identification de cette sculpture du XIXe siècle.
On retrouve effectivement sur le marché plusieurs variations d'échelle d'un même modèle de sculpture. A ce sujet, la législation française se réfère au projet original de l'artiste quant à la version finale de l'oeuvre. Le site du Conseil de la Sculpture au Québec l'explique très bien :
"Si, au moment de la conception de l'oeuvre, l'artiste choisit de la réaliser en petit format, les agrandissements, à moins de transformations notables, sont considérés comme des copies. Et il en est de même pour les réductions d'échelle, qu'elles soient plus ou moins probantes. [...] L'artiste a-t-il d'abord conçu sa sculpture comme miniature ? C'est l'oeuvre de ce format qui demeurera le format original, même si ultérieurement l'artiste réalise un agrandissement de son oeuvre. Projette-t-il plutôt une oeuvre monumentale ? C'est l'oeuvre monumentale qui sera reconnue comme l'oeuvre originale, même si elle a d'abord été réalisée sous forme d'une ou de plusieurs maquettes ou modèles d'échelles plus ou moins réduites."
- Le Musée Rodin de Paris possède également plusieurs modèles de la statue comme les recense le site du musée. Ce dernier consacre un article au travail novateur de l'artiste :
"La pratique du moulage est très répandue dans les ateliers de sculpteurs au XIXème siècle. L'exécution d'un tirage en plâtre est [...] une étape technique nécessaire à la fonte d'un bronze ou à l'exécution d'un marbre. L'innovation de Rodin tient à l'introduction systématique de ce procédé au cœur du processus de création. [...] La plupart des sculptures est modelée « en petit », ce qui les rend plus maniables et permet au sculpteur de suivre son inspiration sans se soucier de contraintes techniques, comme avec Le Baiser. Leur agrandissement permet aussi à Rodin d'éviter l'accusation de moulage sur nature, dont il a souffert lors de l'épisode de L'Âge d'airain. Bénéficiant de la technique de la machine à agrandissement inventée par Collas en 1830, Rodin emploie des praticiens, en particulier Henri Lebossé à partir de 1894, pour exécuter les agrandissements et les réductions de ses modèles".
- Plus largement, les moulages de cette œuvre sont nombreuses dans le monde, comme l'explique la notice du MuMa (Musée d'art moderne André Malraux) dédiée à L'Âge d'airain.
En effet, "du même moule furent tirés les plâtres envoyés au musée de Dresde en 1894, à Philadelphie en 1899, à Budapest en 1900, à Saint-Pétersbourg en 1901, de même que ceux qui furent exposés à Paris au pavillon de l’Alma en 1900".
"Les épreuves en plâtre de L’Âge d’airain répertoriées dans les musées français et étrangers sont assez nombreuses : on en dénombre quinze, soit des dons directs de l’artiste (Saint-Pétersbourg), soit un dépôt par l’État (Cognac), soit encore des acquisitions par l’intermédiaire du musée Rodin (Hanoï, Saint-Gilles-lez-Bruxelles, Le Havre, Istanbul…)".
"L’Âge d’airain est entré dans les collections du MuMa le 18 mai 1929".
Bien à vous !
ET POUR EN SAVOIR PLUS...
... Sur la sculpture
Le goût de la sculpture [Livre] / textes choisis et présentés par Delphine Chaume (2020)
Voir la sculpture [Livre] : essai sur le dispositif sculptural / Gérard Le Don (2018)
La sculpture moderne [Livre] : du primitivisme aux avant-gardes / Giovanni Lista (2018)
Comment regarder la sculpture [Livre] : mille ans de sculpture occidentale / Claire Barbillon (2017)
...Sur les multiples
Multiples [Revue] / [dir. de la publication Eric de Chassey] (2019)
...Sur Rodin
Rodin [D.V.D.] / réal. & scénario de Jacques Doillon ; musique de Philippe Sarde (2017)
Rodin [Livre] / Raphaël Masson, Véronique Mattiussi ; préface de Jacques Vilain (2015)