Quelle était la descendance moyenne d'un couple au 18e siècle en France ?
Question d'origine :
Bonjour,
Voici ma question : Quelle était la descendance moyenne d'un couple au 18e siècle en France ?
En vous remerciant.
Réponse du Guichet
Nous avons consulté plusieurs sources qui fournissent des données démographiques pour la France du XVIIIe siècle. S'ils ne nous permettent pas d'avancer une réponse précise à votre question, vous trouverez néanmoins ci-dessous des informations qui pourront vous intéresser.
Bonjour,
Voici les informations que nous trouvons dans l'ouvrage de Jacques Gélis, L'arbre et le fruit : la naissance dans l'Occident moderne, XVIe - XIXe siècle concernant la fécondité des couples au XVIIIe siècle :
La limitation des naissances était déjà suffisamment répandue au XVIIIe siècle pour que de nombreux témoignages de contemporains nous en soient parvenus. Théologiens, moralistes ou médecins évoquent de plus en plus souvent les "funestes secrets", les "coupables précautions" [...]. L'enquête réalisée en 1979 par l'Institut national d'études démographiques, à partir d'un échantillon de paroisses représentatives choisies dans l'ensemble du royaume au XVIIIe siècle, a permis à deux historiens démographes, Marcel Lachiver et Jacques Dupaquier d'esquisser une chronologie du début de la contraception. Il est clair que la fécondité a commencé à baisser timidement dès 1740 et que cette tendance s'est accélérée à partir des années 1760-1770. Les indices convergent tous : "la baisse brutale du nombre d'enfants par familles complètes, la nette décroissance du taux de fécondité légitime après trente ans, l'augmentation considérable des intervalles intergénésiques à partir du second ou du troisième (enfant), la baisse de l'âge des mères à la dernière naissance."
Cette baisse de la fécondité est inégale suivant les régions ; c'est d'abord la France du Nord, du Nord-Ouest précisément, qui donne le ton : Normandie et région parisienne. "A la veille de la Révolution, on enregistre plus de cinq baptêmes par mariage dans le Midi méditerranéen, ainsi que dans les petites villes. Par contre à Paris et en Normandie, le rapport est inférieur à quatre."
Le demi-siècle qui précède la Révolution correspond vraisemblablement moins à un changement radical de comportement à l'égard de la procréation qu'à une adaptation à une société en pleine mutation, à un monde de plus en plus "plein", où les jeunes ont du mal à se faire une place. Ce "malthusianisme diffus", qui résulte sans doute à la fois de l'espacement des relations conjugales et de la pratique du coït interrompu, progresse à l'occasion des crises économiques de l'Ancien Régime. Lui succède à partir de 1789 un "malthusianisme résolu" qui précipite l'évolution. La Révolution et l'Empire marquent donc un tournant décisif dans l'histoire des comportements démographiques. Qu'on en juge : le taux de natalité qui était de 38,8‰ dans les dernières années de l'Ancien Régime passe à 32,9 sous le Consulat. Le fléchissement net de la fécondité se situe juste après la Révolution : "C'est seulement vers 1800 que le taux de natalité décroche."
Les villes sont touchées plus vite que les campagnes ; ce qui ne constitue pas une surprise. Marcel Lachiver a constaté qu'à Meulan les familles contraceptives - celles qui espacent leurs naissances de plus de quatre ans - sont pratiquement inexistantes avant 1740, mais représentent déjà 11% pendant la période 1740-1789 et 36% entre 1790 et 1814. Autrement dit, au début du XIXe siècle, un couple sur trois pratique la contraception. On a calculé par ailleurs que le nombre des naissances par rapport aux mariages dans l'ensemble de la France urbaine est passé de 4,53 pendant la période 1773-1786 à 3,13 pendant la période 1790-1803.
Les campagnes suivent avec un décalage dans le temps ; à l'image de la ville, elles adoptent à leur tour des comportements malthusiens. Le rapport du nombre des naissances à celui des mariages y passe de 4,55 pendant la première période à 3,13 pendant la seconde. L'exemple de la petite région de Meulan montre le rôle de modèle joué par la ville ; c'est à partir d'elle que la contraception fait tache d'huile. Jusqu'en 1760, elle y est inconnue semble-t-il ; elle commence à être perceptible dans les villages pendant la décennie décisive de la France moderne : 1760-1769. Puis, très vite à partir de 1780, le mouvement s'accélère ; avec la Révolution, les familles à forte fécondité disparaissent alors que les unions à très faible fécondité, contraceptives, atteignent 40% du total chez les vignerons. Le passage massif à la contraception s'effectue en deux générations et toutes les classes sociales sont touchées ; à des rythmes différents pourtant. Ce sont d'abord les petits notables des bourgs de campagne qui changent leur comportement, imités ensuite par les cultivateurs et les vignerons. Au début du XIXe siècle, alors que la société vigneronne est frappée de plein fouet par la crise du vignoble local, la famille va se réduisant de plus en plus au point que la relève même des générations s'en trouve compromise : le couple vigneron ne met au monde qu'un ou deux enfants et seulement dans les années qui suivent immédiatement le mariage. Attitude suicidaire, qui témoigne du poids des contraintes économiques sur les comportements démographiques.
Le rôle joué par les classes aisées dans l'introduction du "modèle contraceptif" est indiscutable. Dès la fin du XVIIe siècle, les ducs et pairs limitent leur descendance, et dans ces milieux, le nombre d'enfants par famille complète est passé de 2,7 entre 1700 et 1749 à 2 entre 1750 et 1799. Une évolution comparable est perceptible parmi les bourgeois des grandes villes. L'étude récente de Jean-Pierre Bardet sur Rouen aux XVIIe et XVIIIe siècles montre que les grands notables se sont conduits en malthusiens à partir des années 1690 ; en tout cas, bien avant le monde de l'échoppe et de la boutique, bien avant les ouvriers qui restèrent fidèles jusque vers 1750 à l'ancien modèle démographique, n'adoptant un malthusianisme de circonstance que durant les périodes de crise. Mais il est clair que dans la grande ville normande comme ailleurs, tout n'a définitivement basculé qu'avec la Révolution. Sur le long terme la fécondité rouennaise, toutes classes sociales confondues, est passée de "huit enfants (théoriques) par mariage en 1670, à moins de quatre en 1800 : les Rouennais ont acquis en moins de cent cinquante ans une surprenante maîtrise des funestes secrets."
Et sur la mortalité infantile :
Un enfant sur quatre au moins mourait autrefois avant un an et cette énorme proportion résultait principalement de la surmortalité aux premiers jours de la vie. A Rouen, un sur vingt était emporté le jour de sa naissance ; un sur sept disparaissait au cours de la première semaine de son existence ; et à la fin du premier mois, plus de 20% des innocents reposaient à trois pieds sous terre. Il est vrai que le cas de Rouen et des grandes villes était particulier. La proportion des enfants abandonnés y était devenue impressionnante au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle ; or, c'étaient eux qui payaient alors le plus lourd tribut.
Mais partout la mortalité du premier mois était massive ; elle était même plus élevée pour la France rurale que pour la France entière. Dans une paroisse de 800 à 1000 âmes, le glas retentissait chaque mois pour annoncer le décès d'un nouveau-né.
Lorsqu'ils étudient la mortalité infantile, les démographes distinguent généralement la mortalité endogène résultant de l'hérédité et des conditions de la grossesse et de l'accouchement, de la mortalité exogène dépendant davantage de l'environnement, du milieu socio-économique. La mortalité endogène représentait autrefois moins de la moitié de l'ensemble des décès de moins d'un an ; mais elle pouvait varier sensiblement d'une région à une autre ; ainsi, elle était de 49% à Sainghien-en-Mélantois entre 1740 et 1789, mais elle atteignait 60% à Tourouvre-au-Perche pour la période 1740-1769. La mortalité exogène était responsable de la forte proportion de mortalité infantile dans les régions à forte mortalité. C'est elle qui semble avoir baissé le plus au cours du XVIIIe siècle.
La distinction entre ces deux types de mortalité était vraisemblablement très floue pour les populations anciennes. On savait le nouveau-né constamment menacé et l'on était préparé à l'idée qu'il pouvait mourir. Quant à se préoccuper de savoir quelle était la cause précise du décès... Il fallait que la matrone se soit montrée particulièrement maladroite pour qu'on la mette en accusation ou qu'on envisage d'en appeler une autre.
L'enfant mort était habituellement remplacé. L'intervalle moyen entre deux accouchements était raccourci de manière significative en cas de décès prématuré de l'enfant né du premier des deux accouchements. L'allaitement "très souvent inhibiteur de l'ovulation" était en effet brusquement interrompu et la femme concevait donc plus rapidement. Mais le remplacement de l'enfant disparu n'était pas imputable seulement à cette réalité biologique ; il résultait aussi de la volonté des parents de répondre au défi de la mort, puisque ceux-ci donnaient habituellement au cadet le prénom de l'aîné disparu. [...]
La mortalité des nouveau-nés est restée très élevée jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. [...] Mais au fond, ces très jeunes enfants n'étaient guère plus exposés que leurs aînés et même parfois moins : dans les villages de Dombes et de Sologne, où la vie était si difficile, les "fièvres frappaient certainement davantage les enfants de un à cinq ans que ceux qui venaient de naître". La mort du nouveau-né ne constituait qu'un aspect - de plus en plus insupportable il est vrai - d'une réalité plus globale. La mort était partout, à tout moment, et elle n'épargnait personne."
L'ouvrage de Jean de Viguerie Histoire et dictionnaire du temps des Lumières dresse un constat similaire sur la baisse de la fécondité et la diminution de la dimension des familles au XVIIIe siècle :
On constate en effet presque partout une baisse de la fécondité, et une diminution de la dimension des familles. Ce n'est pas un phénomène général. Par exemple, on observe la persistance d'une très forte fécondité pendant toute la période 1750-1774 chez les boulangers lyonnais, dont les épouses ont très régulièrement un enfant par an. Mais de tels cas sont exceptionnels. La norme est la diminution des famille. Ce sont les catégories sociales les plus élevées qui ont commencé. Les familles des ducs et pairs comptaient en moyenne plus de six enfants pendant les années 1740-1771. Les familles des huissiers diminueront aussi, mais seulement après 1770.
Il note en revanche un recul de la mortalité infantile et juvénile, et fournit des chiffres :
1740-1749 | 1770-1779 |
---|---|
Bretagne Anjou : 276‰ Région autour de Paris : 278‰ |
245‰ 241‰ |
Vous trouverez également sur Futura Sciences un article sur la démographie française au XVIIIe siècle, dont les données confirment plus ou moins les passages cités ci-dessus. En voici un extrait :
La France entame sa transition démographique
À partir des années 1740, on constate que le taux de mortalité diminue régulièrement ; il a chuté en moyenne de 10 % à la veille de la Révolution, passant de sa valeur traditionnelle de 35 ‰ à environ 30 ‰. Durant la période 1740-1790, la natalité se maintient encore à un taux élevé de 37 à 38 ‰. Ce nouvel aspect des courbes (baisse de mortalité accompagnant une natalité encore forte) constitue la première étape de la transition démographique.
La seconde étape caractérisée par une baisse de la fécondité (rapport entre nombre de naissances et nombre de femmes mariées en âge de procréer) s'amorce dès les années 1770. On observe de nouveaux comportements dont le recul de l'âge au mariage : il concerne l'ensemble du territoire, avec 28 ans en moyenne pour les hommes et 26 ans pour les femmes, à la veille de la Révolution.
On constate aussi une réduction volontaire du nombre d'enfants par couple : à Rouen, par exemple, le nombre d'enfants par femme mariée est proche de six en 1729 ; il atteint 4,5 vers 1789. Cette nouvelle attitude de limitation des naissances s'observe dans le Bassin parisien, les vallées de la Seine, de la Loire et de la Garonne. Elle se diffuse ensuite en auréoles autour des grandes villes. Au contraire, d'autres régions comme l'Alsace dotée d'un fort particularisme culturel, maintiennent une fécondité élevée.
Avec la réduction volontaire du nombre d'enfants par couple, on constate également que le modèle familial le plus courant est déjà celui, très moderne, de la « famille nucléaire », c'est-à-dire formée par le noyau parents-enfants. Les « familles souches » associant plusieurs noyaux, se retrouvent dans les Pyrénées, la Haute-Provence, le Massif central, plus généralement les régions de montagne : la forte cohésion familiale traduit une stratégie de conservation du patrimoine. Dans les villes, la tendance est à la réduction du nombre de personnes par foyer : trois en moyenne à la fin du siècle.
La question de l’espérance de vie
La mortalité infantile ne diminue pas vraiment au XVIIIe siècle, puisqu'un enfant sur trois n'atteint pas l'âge d'un an. La mise en nourrice, très en vogue dans les villes, provoque de véritables hécatombes : vers 1770, on estime que 2/3 des nouveau-nés lyonnais et 75 % des nourrissons parisiens décèdent de cette manière.
Bonne journée.