Question d'origine :
Bonjour,
Je voudrais vous poser une question concernant la dîme ecclésiastique. Qui la payait ? les paysans, c’est sûr, les nobles et les ecclésiastiques ? Je pensais que non mais le texte ci-dessous (archives départementales du Rhône, 11 G 834) qui n’est pas daté (probablement 1770-1780) semble prouver le contraire puisque le seigneur de Jarnioux bénéficie d’une exemption pour services rendus :
« Les décimateurs de la paroisse de Ville sur Jarniost n’ont en propriété aucun cuvier pour la traite de leurs dîmes ni aucun pressoir pour pressurer leurs vins ; jusqu’ici ils s’étaient servi des cuviers, cuves et pressoirs du Seigneur de Jarniost qui par espèce de compensation pour la fourniture desdits cuviers, cuves et pressoirs jouissait précairement et sans aucun traité par écrit avec les propriétaires de la dîme ni avec leurs fermiers, d’une exemption de dîme pour une quantité de vigne illimitée ».
Qu’en était-il en fait ? Les seigneurs payaient-ils généralement la dîme ecclésiastique ? et les ecclésiastiques non décimateurs ?
Est-ce également la même chose pour la taille ?
Merci par avance pour votre réponse.
Gilles Demaison
Réponse du Guichet
Issu d'une pratique trouvant sa source dans l'ancien testament, la dîme est à l'origine un impôt dû par tous les fidèles, au profit des ecclésiastiques. En réalité, plus de mille ans de prélèvement ont généré des pratiques fort différentes.
Bonjour,
Selon le Dictionnaire du Moyen Age publié sous la direction de Claude Gauvard, Alain de Libera et Michel Zink, la dîme, "redevance d'un dixième du revenu dû par tout fidèle à l'Eglise en application des prescriptions du Deutéronome", était en principe due par "tous les fidèles, le roi et l'aristocratie compris". C'est dans cet esprit qu'elle se généralise à l'époque carolingienne pour devenir un des impôts les plus stables du Moyen Age, car non soumis à l'érosion du cours de la monnaie puisqu'il était proportionnel.
Mais cet impôt, prélevé pendant plus de mille ans, a fortement évolué au cours de l'histoire. Ainsi, le Dictionnaire de l'Ancien régime : royaume de France, XVIe-XVIIIe siècle publié sous la direction de Lucien Bély évoque plutôt LES dîmes. Tout d'abord, certaines dîmes se sont sécularisées au cours des siècles, si bien qu'on finira par distinguer les dîmes inféodées (dues au seigneur) et les dîmes ecclésiastiques - malgré les protestations de l'Eglise considérant que toute dîme lui revenait de droit divin. Ensuite, "le taux de prélèvement de la dîme est extrêmement variable d'une paroisse à l'autre, voire à l'intérieur d'une même paroisse, ce qui rend toute généralisation illusoire."
Mais il semble que la noblesse ait bien été soumise à la dîme ecclésiastique, puisqu'elle s'est jointe massivement à une grève de la dîme qui a embrasé la vallée de la Saône et du Rhône au XVIe siècle, et a encore participé au siècle suivant à des mouvements de protestation visant à faire exempter de dîme les nouveaux produits de la terre qui se développaient (maïs, luzene, sainfoin...). Il arrive fréquemment en outre que le pouvoir royal et les parlements soient solidaires des décimables, car les parlementaires sont eux-mêmes des propriétaires terriens... de plus, de nombreuses exemptions ou réduction de dîmes ont pu être utilisées pour encourager la production de telle ou telle plante.
Concernant la taille, l'article de l'Encyclopaedia universalis "IMPÔT - histoire de l'impôt" (consultable grâce à l'abonnement BmL) nous dit :
La taille, à l'origine impôt féodal, était devenu impôt royal au xiiie siècle. Elle tirait son nom du mode de preuve destiné à établir son paiement, qui consistait à faire une encoche dans une latte de bois qui était taillée en deux, une partie du bâton restant entre les mains du receveur, l'autre dans celles du contribuable. D'abord impôt extraordinaire, la taille devint permanente après 1439. Dans les pays du Nord, il s'agissait d'un impôt personnel payé par les roturiers et dont les nobles et le clergé étaient dispensés. Dans les pays du Sud, pays d'État, la taille était une sorte d'impôt foncier.
D'après le Dictionnaire de l'ancien régime, cet impôt n'était payé que par les roturiers, "en rachat du service militaire qu'ils n'effectuaient pas" et donc par en principe réservé aux roturiers : les nobles se battaient, et le clergé était exempt de toute charge militaire. Pourtant, dans la pratique, en tant qu'impôt foncier "privilégiant les statuts réels à ceux de la personne" dans un environnement méridional issu du droit romain, la taille était réclamée dans le sud à tout propriétaire terrier, y compris seigneur ou ecclésiastique.
Pour aller plus loin :
Bonne journée.