Combien d'algériens reçus aux Épreuves de vérifications des connaissances en médecine exercent-ils déjà en France ?
Question d'origine :
Bonjour,
La presse nous a informée récemment. Les résultats des Épreuves de vérifications des connaissances en médecine, EVC en abrégé, qui permettent à des médecins formés à l’étranger d’obtenir une équivalence de leur diplôme pour notre pays, sont connus depuis vendredi dernier. Sur les 2 000 postes à pourvoir, 1200 lauréats sont Algériens .
Mes questions. Sur les 1200 reçus sait-on combien sont déjà exerçant en France ? Sait-on dans quels centres d'examen ont eu lieu ces épreuves ? Sait-on pourquoi les candidats algériens sont si nombreux à être reçus par rapport à d'autres pays du maghreb ou d'afrique subsaharienne ? Connait-on les répartitions d'âge des candidats reçus ?
En vous remerciant par avance.
Cordialement
Réponse du Guichet

Malgré des contextes politiques, socio-économiques très différents, c'est la même dégradation des systèmes de santé français et algériens qui explique la forte présence des candidats et lauréats algériens aux EVC, épreuves françaises de validation des connaissances en médecine.
Réponse du Département Société
Les EVC sont les « Épreuves de vérifications des connaissances » en médecine qui permettent à des médecins formés à l’étranger d’obtenir une équivalence de leur diplôme.
Les diplômés européens bénéficient quant à eux de la Directive 2005/36/C du Parlement Européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.
Les lauréats des EVC peuvent alors exercer dans les hôpitaux en France. Dans un premier temps d’une durée de 3 ans, ils passeront par un statut de médecin étranger, une catégorie inférieure à leurs collègues français. A l’issue de ces 3 années et sous condition d’une évaluation favorable des établissements dans lesquels ils auront exercé, ils seront inscrits à l'Ordre des médecins français.
Sur les près de 2 000 postes ouverts en 2021, 94 nationalités représentées et 1200 lauréats sont Algériens. Nombreux étaient déjà installées en France en attendant la validation de leur diplôme. Avec les marocains et les tunisiens, les ¾ des candidats aux EVC en 2021 venaient donc du Maghreb.
Il faut savoir que 16000 algériens exercent déjà aujourd’hui de plein droit en France.
Mostefa Khiati professeur de médecine en Algérie et Président du Conseil régional de l’Ordre des médecins de Blida, apporte des explications à ce phénomène dans le magazine TSA (Tout sur l’Algérie, média d’information en ligne) du 9/2/22 :Expatriation des médecins : les raisons de la saignée
« Les causes de cette saignée sont multifactorielles et multidimensionnelles. Elles peuvent être sériées en deux grandes rubriques : les causes extrinsèques liées à une politique délibérée d’attractivité de la France pour nos médecins et d’autres intrinsèques nationales répulsives qui poussent nos médecins, contraints et forcés à l’exil. ».
Cette année, le nombre de poste était particulièrement élevé. C’est le symptôme d’un système de formation français qui ne parvient pas à fournir le nombre de médecins nécessaires :« Pour pallier le manque de personnel médical, la France fait appel à des médecins étrangers. […] La France a recours depuis 2007/2008 à la PAE ce qui lui permet de disposer dans des délais relativement courts, en moyenne de 3 à 5 ans, de médecins, alors qu’il faut compter 9 ans pour former un médecin généraliste et 10 à 12 ans pour le spécialiste.».
A l’inverse, l’Algérie forme beaucoup de médecins 44 millions d’hab. et 15 facultés de médecine qui forment chaque année 5000 médecins (presque autant qu’en France pour 67 millions d’habitants), en raison d’un système de santé et d’une activité économique insuffisante, l’Algérie ne parvient pas à absorber toutes ces compétences. De nombreux médecins sont au chômage et quand ils parviennent à trouver un poste, les salaires sont très bas (300 et 370 euros/ mois contre 2000€ au Maroc, les plus bas des pays du Maghreb…) et les conditions de travail difficiles (service civil obligatoires, établissements vétustes, équipements insuffisants, administration arbitraire, …). Parmi les raisons de cette exode, le journal El Watan avance aussi l’absence de dispositif pour garantir aux médecins en exercice la formation continue nécessaire au développement de leur connaissances et de leur technique : « il n'y a pas pour les médecins spécialistes de formation complémentaire ou de formation diplômante supplémentaire. Les médecins qui choisissent de partir peuvent ainsi se perfectionner dans un domaine très spécifique », dit un praticien. « Ce n'est pas le cas au Maroc où mes assistants en médecine spécialisée peuvent acquérir de nouvelles compétences à travers un partenariat franco-marocain. »
Les médecins algériens cherchent donc à s’exporter, prioritairement en France en raison d’une naturelle proximité culturelle, historique, linguistique avec la France. Des qualités que nos établissements de santé apprécient en retour chez les candidats médecins algériens ainsi que leur niveau de compétences initiales.
La crise sanitaire française a été renforcée par la pandémie Covid 19 levant le voile pudique posé sur notre démographie médicale défaillante. En réponse, les autorités françaises ont remplacé la PAE par une procédure d’autorisation d’exercice plus attractive.
Cette actualité dévoile les défaillances respectives et différentes de systèmes de santé de part et d’autre de la méditerranée. Du côté Algérien, elle révèle le profond malaise de la profession médicale et nous rappelle l’incurie des dirigeants algériens qui contribuent depuis des années à la dégradation sociale et économique de ce pays en poussant à l’expatriation ses cerveaux, dont ces médecins qu’elle s’échine à former pendant de longues années ( la formation d'un médecin spécialiste coûte en moyenne à l'État algérien environ quinze millions de dinars (93 000 euros, selon le taux de change officiel.)
Source : Que cache l'ampleur des départs de médecins algériens vers la France ?,Le Point.fr Afrique, no. 202202, dimanche 6 février 2022 (accessible sur la base Europresse)
« Une véritable saignée, comme une plaie béante qui vide le système nerveux de la matière grise, s'étendant, d'année en année, à toutes les pépinières de compétences que compte le pays », s'indignait le 6/2 le quotidien Liberté, qui titre en une Ils fuient… !.
Le Point cite le sociologue Karim Khaled, éditorialiste pour Liberté,"qui voit dans l'exode des cerveaux algériens le signe d'un « mal de gouvernance à tous les échelons ». La migration des cadres « ne date pas d'hier », soutient l'auteur de Les Intellectuels algériens, exode et forme d'engagement (éditions Frantz Fanon, 2019). « [Ce phénomène] a été amplifié de manière extraordinaire depuis 2010, en raison notamment d'une gouvernance obsolète et archaïque loin de rassurer nos étudiants, universitaires, médecins, chercheurs, et de manière générale, des pans entiers de notre société », appuie le chercheur Karim Khaled. Intervient aussi la question de la « dignité »: « Quand un chercheur est blessé dans son amour propre et ne bénéficie d'aucune ou de très peu de reconnaissance au double plan institutionnel et social, il ne faut pas s'étonner de le voir opter pour un autre pays prêt à l'accueillir et à reconnaître ses compétences. » « Il y a comme une espèce de mécanique, marqueur du système, qui, faute de nouveaux paradigmes, étouffe et empêche la réalisation de soi. Car ceux qui partent pensent aussi à l'avenir de leur progéniture. C'est dire que le phénomène ne s'estompera pas de sitôt s'il n'est pas appréhendé à l'aune de la qualité et de la profondeur des changements qu'on doit impérativement conférer au pays », conclut, pour sa part l'éditorialiste".
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