Est ce que omettre volontairement une partie de la vérité c'est mentir ?
Question d'origine :
Bonjour,
Est ce que omettre volontairement une partie de la vérité c'est mentir ?
En soit si je ne dis pas toute la vérité je ne mens pas, mais le fait de ne pas révéler une partie de la vérité peut-il faire de ma vérité un mensonge ?
Merci à vous et bonne journée !
Réponse du Guichet

Loin d’être exhaustif, le raisonnement proposé peut poursuivre d’autres pistes de réflexion ou prendre en compte d’autres concepts car d’autres discussions existent pour poursuivre le débat.
Bonjour,
Pour répondre à cette question, il est peut-être utile de rappeler tout d’abord le sens du mot mensonge. Il vient du verbe latin mentiri qui signifie mentir. Mentiri provient à son tour d’un autre mot latin, mens, c.a.d. esprit. Cette racine latine se trouve dans l’adjectif «mental» qui n’a a priori rien à voir avec le mensonge.
Selon Jean-Luc Nancy,
«l’esprit désigne la disposition dans laquelle nous sommes, ce à quoi nous accordons de l’attention, de la volonté, du désir. Le mensonge a lieu dans l’esprit en dehors de la parole, il contredit intérieurement ce que la parole dit extérieurement. […] Mentir requiert de la force car c’est une affaire de disposition d’esprit. Je veux cacher la vérité ou la transformer. Si un verbe latin voulant dire "être dans telle disposition mentale" devient mentir, alors la disposition mentale du mensonge est très forte.
Réussir un mensonge demande une certaine puissance», affirme-t-il dans son livre La vérité du mensonge.
Il est toutefois assez ardu de définir le mensonge. Le cas du "mensonge par omission" semble particulièrement litigieux. Le Trésor de la Langue française propose la définition suivante : "action de taire la vérité, d’empêcher qu’elle ne soit révélée en gardant le silence".
A la différence des définitions simples du mensonge tout court, le mensonge par omission fait référence explicite à une intention. On ne saurait mentir par omission sans avoir une idée derrière la tête, sans cacher sciemment chose qu’on aurait dû révéler.
Philippe Cadet observe qu’il serait beaucoup plus juste d’employer l’expression "omettre de dire par mensonge" plutôt que l’inverse.
« La formulation d’omission par mensonge paraît bien moins énigmatique que celle de mensonge par omission. L’omission par mensonge, c’est-à-dire l’omission respectant les principes et les techniques même du mensonge se trouverait ainsi réduite à un cas très particulier d’expression par mensonge. […] Sa seule caractéristique serait de s’appliquer par mutisme – moyen comme un autre de s’exprimer dans certains contextes. »
On peut admettre que le fait de ne pas parler d’une partie des faits est moins spectaculaire qu’affirmer que des énoncés faux sont vrais. Le fait, toutefois, de taire une partie de la vérité pour atteindre un but précis, comme par exemple protéger son image, son intérêt personnel ou obtenir une faveur, relève de la manipulation. Il peut s’agir d’omettre volontairement de mentionner un détail pour induire son interlocuteur à penser, voir les faits ou les personnes d’une certaine façon et donc d’orienter son jugement. Apparentée à la dissimulation, la situation est très proche du mensonge. Soit dit à la marge que la transparence et les relations de confiance peuvent en être potentiellement affectées.
Pour prendre la mesure des subtilités du raisonnement et les différentes clauses et notions que Philippe Cadet a introduites dans son discours, nous vous invitons à lire le chapitre Topographie du mensonge, pp. 37 à 65 dans son livre intitulé Qu’est-ce que mentir ?.
Dans les premières pages de son ouvrage intitulé Mentir, Marie-France Hazebroucq observe :
"Qu’est-ce que cela veut dire, mentir ? On pense en premier mieux aux mensonges par omission, qui consistent à cacher la vérité : il y a d’abord ceux qui ne sont «pas graves du tout», «tout bêtes», comme par exemple dire la mauvaise note à un devoir […]. Il y a aussi ceux qui consistent à mentir vraiment : lorsque l’on cache volontairement la faute qu’on a commise […]."
Pour aller plus loin :
Vérité et insincérite: mensonge, délire, fabulation, mythomanie et mauvaise foi de Francis Descarpentries, dans «Le journal des psychologues» 2019/5 (n°367) ;
Taire, mentir, simuler, dissimuler, un long héritage de Jean-Pierre Cavaillé dans «La lettre de l’enfance et de l’adolescence» 2009/1 (n°75) ;
Dites la vérité, toute ma vérité, rien que la vérité! d’Henri de Caevel, dans «La lettre de l’enfance et de l’adolescence» 2009/1 (n°75).
Bonne journée.