Question d'origine :
Bonjour je voudrais savoir s'il existait un congé de maternité en 1945, en général et dans la fonction publique et si oui, quelle en était la durée? Merci d'avance
Réponse du Guichet
De 1928 à 1945, le congé maternité est d'une durée de douze semaine en France, et sera allongé à 14 semaines dès 1946.
Bonjour,
La première loi de protection de la maternité en France a été votée le 27 novembre 1909. Elle prévoyait huit semaines d'arrêt de travail sur la période de l'accouchement, sans prévoir d'indemnité :
Fernand Engerand (1867-1938), député conservateur du Calvados, dépose en 1906 une proposition de loi sur la protection des femmes avant et après l’accouchement. Trois ans s’écoulent avant que cette loi soit votée. Elle comprend un unique article : « La suspension du travail de la femme, pendant huit semaines consécutives, dans la période qui précède et suit l’accouchement, ne peut être une cause de rupture, par l’employeur, du contrat de louage de services et ce à peine de dommages-intérêts au profit de la femme. Celle-ci devra avertir l’employeur du motif de son absence. Toute convention contraire est nulle de plein droit. L’assistance judiciaire sera de droit pour la femme devant la juridiction du premier degré ».
Dès 1886, Albert de Mun, une des grandes figures du catholicisme social, avait défendu sans succès l’idée d’un congé maternité qui fut inclus dans la loi de 1892 sur la protection des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels.
Aussi, la loi de 1909, même si elle propose uniquement un congé non rémunéré, est-elle accueillie avec soulagement, comme un premier pas.
À la fin du XIXe siècle, la santé des travailleuses et des nouveaux-nés suscite débats et initiatives, dont deux propositions de loi en 1892, examinées par la Chambre des députés. Le rapporteur, médecin lui-même, s’appuie sur les arguments des « puériculteurs », accoucheurs et spécialistes du nouveau-né. Ces spécialités médicales en plein essor érigent, pour la première fois, la naissance et la santé de la mère et du nourrisson comme objets de sciences. Les recherches se multiplient, ainsi que les recommandations comme l’allaitement maternel. Des associations se créent, destinées à accueillir des femmes enceintes, à mener des études et à diffuser de nouvelles pratiques auprès des mères. Les résultats des observations menées par des médecins de renom comme Adolphe Pinard (sur le bienfait du repos des mères sur la santé du nourrisson par exemple), à l’hôpital, mais aussi dans des associations contribuent à alimenter les débats de société.
À peine la loi Engerand votée, Paul Strauss, élu au Sénat en 1897 et bien connu pour son action contre la mortalité infantile, dépose une autre proposition de loi, intégrant des indemnités destinées aux femmes salariées en couche. Elle sera adoptée en 1913. Son argumentation s’appuie largement sur les travaux scientifiques des médecins puériculteurs et recourt à une rhétorique bien rodée sur les risques encourus par le pays du fait de la baisse de la population française face à la puissance allemande. La loi de 1913 accorde aux femmes enceintes le droit à un congé assorti d’une indemnité. Le congé prénatal est facultatif, le congé postnatal de quatre semaines obligatoire pour les femmes qui travaillent hors de chez elles contre un salaire. Peu de temps après, la loi est étendue aux femmes salariées à domicile.
(Source : France archives)
Si l'argument belliciste anti-allemand a joué dans cette période revancharde, comme l'explique également l'article d'Anne Cova, "Généalogie d'une conquête - Maternité et droits des femmes en France fin XIXè-XXè siècles", Travail, genre et sociétés, 2000, consultable sur Cairn en bibliothèque, l'Allemagne faisait figure de modèle en matière de protection des jeunes mères, puisqu'elle avait dès 1878 promulgué une obligation d'arrêt de travail de trois semaines après l'accouchement pour les ouvrières d'usines, "assortie, en 1883, du versement d’une indemnité". Il ne faut pas non plus négliger l'importance de la pression des militantes et militants du dixième congrès international des femmes dans l'adoption de la loi Strauss de 1913, :
Entre temps, et ce, depuis le 2 juin 1913, a débuté à Paris le dixième congrès international des femmes, organisé par le Conseil national des femmes françaises. Un vœu y est émis, à l’instigation de Ferdinand Buisson, qui considère que si ce vœu est adopté par le congrès il “pourrait avoir une très grande influence sur la Chambre”, autrement dit sur les discussions ayant trait à la proposition de loi de Strauss. Ferdinand Buisson est bien placé pour l’affirmer puisqu’il est député (radical socialiste). Ce protestant solidariste et l’un des fondateurs de la Ligue des Droits de l’homme est également un ardent féministe. Sa présence au congrès féministe de 1913 n’est pas une coïncidence et son vœu est ainsi formulé : “1° Que la Chambre française vote la loi sur le repos des femmes en couches adoptée par le Sénat ; 2° Que les députés, partisans de l’extension du bénéfice de cette loi, à toutes les femmes, déposent le plus tôt possible une proposition de loi nouvelle à ce sujet ; 3° Que les municipalités soient invitées à reconnaître le droit à une indemnité de grossesse et d’accouchement pour toutes les femmes, salariées ou non .” L’avocate féministe Maria Vérone intervient en insistant sur le fait que Ferdinand Buisson considère que “s’il n’y a pas un vote formel des féministes et des femmes, entre autres de celles qui ont évidemment voix au chapitre, on risque fort que la loi ne soit pas votée à la Chambre ”. Mis aux voix, le vœu de Ferdinand Buisson est adopté à l’unanimité enjoignant la Chambre à voter la proposition de loi Strauss. Le 12 juin 1913, la Chambre des députés adopte l’ensemble de la proposition de loi Strauss. L’hebdomadaire féministe La Française se réjouit de la promulgation de cette loi tout en indiquant qu’il ne s’agit pas d’une “loi complète de protection maternelle ” mais n’en fait pas grief à Paul Strauss. Les féministes ne manquent pas de louer les actions des parlementaires et les relatent dans leurs journaux. Ainsi, elles informent leurs lectrices des débats parlementaires, des lois et de leur application à travers des rubriques spécialisées : “Echos parlementaires”, “Les Lois”, “Le Féminisme au Parlement”, “Les Lois d’intérêt féminin au Parlement”, “Au Parlement”, à La Française ; “Lois et décrets” et “Activité parlementaire” dans Le Droit des femmes.
Avec la loi Strauss, le repos est obligatoire pendant quatre semaines après l’accouchement (appliquant ainsi la résolution de la conférence de Berlin) et l’assortit d’une allocation journalière. Allocation qui n’est donnée que si des soins d’hygiène sont respectés. Assistance et Hygiène sont les deux caractéristiques de la loi Strauss. Une fois de plus, est posée la question de la nature du régime de protection : pour l’instant, c’est l’assistance qui prévaut sur l’idée de l’assurance maternelle. Avec la loi Strauss, la collaboration des œuvres privées agréées par l’Etat est sollicitée - et c’est une nouveauté - pour la mise en application de la loi. Les féministes s’en félicitent, tout en soulignant que le repos est bref, qu’il n’est pas obligatoire avant l’accouchement et que l’allocation versée ne compense pas la perte de salaire. Une loi de finances étend le bénéfice de la loi Strauss aux salariées à domicile. La stratégie des mouvements de femmes est d’appuyer la tactique des petits pas des parlementaires favorables à l’idée de protection de la maternité, mais elles ne manquent pas, une fois les lois promulguées, d’en souligner les lacunes et de s’enquérir de leur application. Elles soulèvent également la question des ayants droit, toutes les mères ne sont pas concernées par ces lois.
Les enseignantes, elles, avaient déjà droit à un congé rémunéré de deux mois depuis 1910.
Pour la plupart de ses agentes, l’Etat avait pris les devants : dès 1903, les agentes des PTT pouvaient demander un congé maternité de 25 jours avec maintien du traitement. Et la loi du 15 mars 1910 accordait un congé d’un mois avant et un mois après l’accouchement aux institutrices, là encore avec maintien du traitement. La protection sociale des fonctionnaires prenait d’autant plus d’avance que la guerre a partiellement vidé les lois de 1909 et 1913 de leur substance. Dans le privé, il faudra attendre la loi du 5 avril 1928 sur les assurances sociales pour que le congé maternité soit véritablement institué et pérennisé : 12 semaines – 6 semaines avant, 6 semaines après l’accouchement – assorties d’une indemnisation égale à la moitié du salaire (porté à 60% pour les salaires les plus bas). Les frais médicaux sont pris en charge forfaitairement pendant la grossesse et jusqu’à 6 mois après, une prime d’allaitement est créée, ainsi que le principe d’un congé pathologique supplémentaire de 3 semaines.*
(Source soprahr.com)
On trouve sur securite-sociale.fr le texte de cette fameuse loi du 5 avril 1928 sur les assurances sociales, dont voici l'article 9 :
Maternité
Art. 9. — 1. Au cours de la grossesse et des six mois qui suivent l’accouchement, l’assurée et la femme de l’assuré bénéficient des prestations médicales et pharmaceutiques dans les conditions et limites fixées par les articles 4 et 5.
2. Six semaines avant l’accouchement, six semaines après, l’assurée jouit de plein droit de l’indemnité journalière visée à l’article 5, à la condition qu’elle, cesse tout travail salarié durant cette période et qu’elle ait cotisé réglementairement soixante jours pendant les trois mois qui ont précédé l’état de grossesse. Pour le calcul du salaire annuel, il est fait état des cotisations payées dans les douze mois antérieurs à cette grossesse.
3. En cas de grossesse pathologique de l’assurée, entraînant application des assurances maladie, invalidité, l’assurance-maladie court à partir de la constatation de l’état morbide. Les dispositions de l’article 10 reçoivent application six mois après l’accouchement.
4. L’assurée qui allaite son enfant et qui remplit les conditions fixées par l’article 5, paragraphe 3, a droit, durant la période d’allaitement et pendant un an au maximum, à une allocation mensuelle spéciale de 100 fr., pendant les deux premiers mois, de 75 fr. le troisième, de 50 fr. du quatrième au sixième, de 25 fr. du septième au neuvième, de 15 fr. du dixième au douzième.
5. L’assurée qui, par suite d’incapacité physique ou de maladie, est dans l’impossibilité constatée par le médecin d’allaiter complètement son enfant peut, si l’enfant est élevé chez elle, recevoir, pour la durée et pour les quantités indiquées par le médecin, des bons de lait, dont la valeur n’excédera, dans aucun cas, les deux tiers de la prime d’allaitement.
6. Le payement des allocations ci-dessus visées est subordonné à l’observation, par la bénéficiaire, des prescriptions qui doivent être faites par la caisse d’assurances, notamment en ce qui concerne les visites périodiques à domicile et la fréquentation régulière des consultations maternelles et des consultations de nourrissons
Mais selon "Les bébés dans le code du travail" de Nathalie Chambelland-Liébault, paru dans Cahiers Jaurès en 2002 et consultable sur Cairn, l'indemnité a longtemps été considérée comme insuffisante :
Le principe une fois posé, restait à déterminer le montant de l’indemnité. L’allocation, déjà estimée insuffisante en 1913, l’est-elle toujours après-guerre et si non, a-t-elle été révisée et augmentée ? La réponse est négative. Depuis 1913, rien n’a été fait hormis la bonne volonté des communes, pour modifier le taux, malgré la dépréciation du franc, de sorte que l’indemnité est devenue dérisoire. Le docteur Arsène Fié, député de la Nièvre, indique en 1929 que 16 000 communes n’accordent que 0,50 francs par jour aux femmes enceintes, 7 à 8 000 donnent 1 franc, les autres vont parfois jusqu’au maximum de 1,50 francs. À Paris le secours est de 2,75 francs. De nombreuses voix se sont élevées en France contre la faiblesse de l’effort consenti par l’État en matière de protection de la maternité. Mais ces diverses revendications n’ont pas été entendues par les députés puisque la prise en charge par l’État des frais occasionnés par la maternité (visites médicales, frais pharmaceutiques, accouchement, hospitalisation, salaires) se heurte à des préoccupations budgétaires. Il faut noter que les lois du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930 sur les assurances sociales ne comprennent pas la couverture du « risque » de maternité comme elles le font pour la maladie, l’invalidité et la vieillesse. Les assurances sociales ne comportent « qu’une participation aux charges de famille, de maternité et de chômage involontaire ».
Selon une page du Centre d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles de la Somme ainsi qu'un rapport de la députée de l'Essonne Marie-Pierre Rixain datant de 2018, c'est en 1970 seulement que le congé maternité est indemnisé pour toutes à hauteur de 90 % du salaire brut. Puis, par la loi du 17 juillet 1980 portant diverses dispositions en vue d'améliorer la situation des familles nombreuses, la durée passe seize semaines indemnisées 100% du savaire brut.
Bonne journée.