Quels sont les propos polémiques tenus par Anish Kapoor sur sa sculpture Dirty Corner ?
Question d'origine :
Cette oeuvre sculturale Dirty Corner fait scandale , lors de son exposition ; mais ce qui a fait polémique se sont les paroles du sculteur eévoquant son oeuvre; De quoi parlait-il?
Réponse du Guichet
L’installation de cette sculpture monumentale au centre des jardins de Le Nôtre est l'objet d’une série de polémiques et déchaîna un véritable feuilleton sulfureux dans lequel chaque épisode alimenta le suivant.
L'installation d'une œuvre volontairement subversive au cœur d'un des joyaux historiques de la culture française, les propos de l'artiste pour présenter sa sculpture, les réactions vandales de ses détracteurs, la réponse d'Anish Kapoor à ces actes ravageurs : tout concourt au souffre de la polémique.
- Le contexte
Depuis 2008, chaque année, un artiste contemporain de renommée internationale est invité par le Château de Versailles à s'emparer du lieu pour y produire des œuvres en résonance avec son histoire.
En juin 2015, Anish Kapoor, figure incontestée de la scène britannique, s'installe donc à Versailles.
L’exposition comporte six œuvres monumentales, dont cinq présentées dans les jardins du Château. Conçues spécialement pour cet espace, elles se présentent comme un dialogue avec les perspectives parfaites de Le Nôtre, les fontaines et les pièces d'eau.
Le Dirty Corner (Coin sale) se déploie au cœur du Jardin central, au centre de l’allée royale. Dans le catalogue de l'exposition, l’artiste explique vouloir
écorcher le Tapis vert, l'éventrer tel un corps démembré, le dépouiller. Supprimer son ordre vert et le transformer en un Dirty Corner.
Catalogue de l'exposition, Sang et lumière (Entretien avec Julia Kristeva, p.57)
Installé dans l’axe principal du parc, c’est un tunnel d’acier rouillé de 60 m de long, 10 de haut, qui s’ouvre en direction du château par une sorte de trompe. Il est entouré d’énormes blocs de pierre (jusqu’à 25 tonnes), certains peints en rouge sang.
Pour reprendre les propos d’Alfred Pacquement (Commissaire de l’exposition),
l’allusion sexuelle est explicite, avec la longue tige phallique et la large ouverture en forme de vulve.
- L’expression polémique – Dirty Corner : « Vagin de la Reine » ?
La formule apparaît pour la première fois dans les colonnes du Journal du Dimanche daté du 31 mai 2015.
On y lit en effet une longue interview de l’artiste auquel le journaliste attribue cette expression pour caractériser le Dirty Corner :
le vagin de la reine qui prend le pouvoir
L’exposition n’est pas encore ouverte qu’elle fait déjà polémique!
Si Anish Kapoor revendique lui-même le caractère sexué (sexuel même) de son œuvre, il réfute cette dénomination.
Je n'ai jamais employé les mots d'où est née la polémique. Je n'ai jamais dit 'la Reine', j'ai évoqué 'Her' ou 'She' pour désigner une forme qui pourrait être féminine, allongée sur le gazon, comme une reine égyptienne ou une sphynge. Le fait de baptiser 'Dirty Corner' d'un vulgaire 'Vagin de la Reine' est une façon de rabaisser mon travail, de mettre l'art au niveau des injures, de salir mon œuvre (…)
(Entretien accordé au Figaro le 18.06.2015)
- Vandalisme et dégradations
Entre juin et septembre, en réponse à la volonté affichée par A. Kapoor de bousculer l’ordre parfait des Jardins, l’œuvre sera vandalisée à trois reprises: d’abord aspergée de peinture jaune puis recouverte de messages royalistes et antisémites.
Très rapidement, l’artiste, profondément heurté par ces violences, a déclaré s’opposer au nettoyage de sa sculpture, comme en témoigne sa réaction du 06/09/2015 sur son compte Instagram :
Dirty Corner, sales opinions politiques, antisémitisme. Je suis un juif. Et un musulman. Et un Hindou. Et un chrétien. Je défie les musées du monde de montrer ce travail tel qu’il est, tel qu’il restera.
ou encore cette déclaration au micro de Jérôme Jadot (France Culture, le 7.09.2015)
on ne peut pas faire comme si rien ne s’était produit, donc regardons-le!
Ce refus de réparation (ou de camouflage) s’explique par des raisons pragmatiques et matérielles évidentes (le chantier pour rendre à l'oeuvre son aspect d'origine eut été colossal !) mais avant tout en vertu d’un positionnement politique qui voulait faire de cet « acte criminel […] un Mémorial pour notre honte […] »
Dans un entretien accordé au Figaro (06.09.2015), il réaffirme :
Dirty Corner restera telle quelle […] et se montrera ainsi aux visiteurs et aux touristes de Versailles.
- L’obligation de recouvrir l’injure
Une décision de justice finira par l’obliger à cacher les tags antisémites sur sa sculpture.
En effet, le tribunal de Versailles (saisi par l'association Avocats sans Frontières et par un conseiller municipal de Versailles, Fabien Bouglé) a estimé que les inscriptions portaient atteinte à l'ordre public et «en particulier à la dignité de la personne humaine».
Choqué par cette décision, l’artiste a la formule-choc pour décrire sa colère (Entretien accordé à Valérie Duponchelle pour Le Figaro daté du 20.09.2015)
Je me sens comme une fille qui s'est fait violer et à qui l'on ordonne d'aller se rhabiller dans un coin
Se cacher. Camoufler les stigmates de l’agression. Effacer les traces.
- Réponse artistique et sublimes feuilles d’or
Contraint de s’inventer encore, l’artiste propose une « réponse royale »: les inscriptions seront finalement recouvertes de feuilles d’or (recouvertes, donc encore présentes).
Je ne peux pas juste retirer les tags, tout simplement parce que c'est arrivé et que les ôter serait nier le fait. Je crois avoir trouvé la réponse royale qui fera de «Dirty Corner» autre chose, une pièce toujours avec un passé douloureux, mais une pièce qui revendique d'abord la beauté de l'art.
La réponse géniale de l’artiste aux dégradations vandales ou la plus éclatante des fins données à cette série de polémiques !