Sous l'Ancien régime comment était-on anobli ?
Question d'origine :
Cher guichet,
1)Pouvez-vous me confirmer que sous l'Ancien régime tout anoblissement devait passer par une lettre patente du roi?
2)Que le titre nobiliaire le plus bas est "écuyer" ou "chevalier" mais que l'on pouvait être annobli par charge annoblissante (ou par achat de lettres de noblesse) sans avoir droit au titre d'écuyer ou chevalier ?
3) enfin que les assemblées de la noblesse de 1789 regroupaient outre des vrais nobles une minorité de non-nobles (10 à20 %) ?
4)Est-il nécessaire à un noble de posséder et donc être seigneur de" terres nobles "
Merci pour votre travail!
Réponse du Guichet
Plusieurs systèmes d'anoblissement ont existé durant l'Ancien Régime aboutissant à la création d'une noblesse hétérogène.
Bonjour,
Vous vous posez plusieurs questions à propos de l'anoblissement sous l'Ancien Régime. Nous tentons ici d'apporter quelques éclaircissements et des pistes de lecture pour approfondir le sujet.
Plusieurs systèmes d'anoblissement ont coexisté durant l'Ancien Régime avec plus ou moins de succès et de manière différente sur l'ensemble du territoire français.
Le second ordre du royaume est composé à l'origine des "bellatores" du Moyen-âge, dont la mission est de défendre Dieu et de le roi par l'épée. A cette élite vont venir s'ajouter des roturiers par anoblissement. Les lettres de noblesse sont des lettres patentes signées par le souverain visant à anoblir une personne et ses descendants. Attestées depuis le XIIIe siècle, elles connaissent un véritable essor sous François Ier et ses successeurs qui en accordent de plus en plus, parfois en échange du versement d'une "finance" afin de récompenser des fidélités et de se créer des réseaux de clients dans les villes. L'anoblissement taisible, qui consiste pour un roturier à acquérir un fief puis à se faire oublier pendant plusieurs générations jusqu'à se faire exempter de payer la taille, domine au XVIe siècle. Devenir propriétaire foncier était une première étape indispensable, car la terre seule pouvait apporter tous les moyens nécessaires pour vivre noblement, sans déroger. Puis l'anoblissement par l'office créé en 1485 va connaître un succès croissant auprès du pouvoir royal à partir du XVIIe siècle. L'anoblissement taisible n'était plus valide à la fin du XVIIe siècle. Désormais, le roi détenait seul les clefs du second ordre. Plusieurs types de noblesse vont donc ainsi coexister.
Voici quelques extraits de documents qui précisent cela et répondent à plusieurs de vos interrogations.
Anoblissement : La noblesse reste, sous l'Ancien Régime, un ordre accessible aux roturiers. La majorité des nobles ont une origine relativement récente, n'excédant pas l'an 1700 pour au moins un quart d'entre eux en 1789. Qu'il soit taisible ou contrôlé par le rois, l’anoblissement apporte en effet un sang neuf à cet ordre.
L'anoblissement taisible, qui échappe au contrôle du roi, est encore aisé au XVIe siècle. On fait oublier ses origines roturières en quelques générations en achetant une seigneurie, en évitant la dérogeance et en adoptant un mode de vie noble. Dès le XVIe siècle cependant, la monarchie en mal d'argent apporte des restrictions car cela la prive de taillables. L'idée qui domine désormais est que seul le roi confère la noblesse. Celui-ci multiplie donc les lettres de noblesse, notamment pour renforcer son autorité sur les élites du pays en cas de troubles. Il durcit aussi la législation contre les usurpations de noblesse. A partir de 1661 de grande enquêtes visent à les débusquer.
Depuis le XVe siècle, des offices anoblissants soulignent l'idée que le service du roi est noble. L'édit des tailles de 1600 légalise ce processus. L'anoblissement se fait, selon les cas, en une génération (au premier degré) ou deux (graduel) et il peut être héréditaire. Par exemple, l'office de secrétaire du roi, dénoncé par la noblesse d'épée comme une "savonnette à vilain", anoblit son titulaire au premier degré, comme celui de conseiller au parlement de Paris à partir de 1644. Quelques charges militaires anoblissent elles aussi, selon les époques (maréchaux au XVIIIe siècle, par exemple). La noblesse de cloche, privilège accordé au Moyen-Âge et au XVIe siècle par le roi aux échevins de villes fidèles (Tours, Angers, Abbeville, Lyon, Toulouse, ...) est révoqué pour la plupart des cités en 1667.
Noblesse : [...] Elle comporterait 234 000 membres en 1700 (1% des Français mais 1,5% un siècle auparavant) contre 140 000 vers 1780, baisse due à la disparition de nombreux lignages appauvris ainsi qu'au contrôle de l'anoblissement. Des disparités régionales existent. La densité nobiliaire est plus importante à l'Ouest et dans une partie du Languedoc qu'à l'Est de la France. la composition de l'ordre n'est guère homogène. Des écarts considérables de fortune et de revenus opposent les grandes familles de la noblesse de cour ou de robe aux simples gentilshommes qui peuvent vivre avec des revenus semblables à ceux de la paysannerie aisée. Il existe une hiérarchie interne entre les nobles titrés (ducs pairs, marquis, comte, vicomte, baron), les chevaliers, écuyers et simples gentilshommes. La vocation militaire de l'ordre n'est plus assurée que par 5% de ses membres, officiers dans l'armée royale. La noblesse d'épée lui fournit l'aîné de ses fils. La noblesse de robe, terme apparu au XVIIe siècle, regroupe les nobles faisant profession au service du roi dans les offices, par tradition familiale, et ceux issus d'offices anoblissants. [...]
source : Dictionnaire de l'Ancien Régime / Anne Conchon, Bruno Maes, Isabelle Paresys
Noblesse : Les nobles composent, depuis le XIIe siècle, le secod ordre du royaume. A ce titre, ils sont toujours considérés, sous l'Ancien Régime, comme les héritiers des "bellatores", dont la mission idéale est de défendre Dieu et le roi par l'épée. [...] Cet idéal quelque peu figé, qui fait de la noblesse un groupe essentiellement militaire, ne reflète pas les réalités sociales. Certes, le roi continue de convoquer, jusqu'au règne de Louis XIV, le ban et l'arrière-ban de son royaume pour compléter ses troupes. [...] Mais nombre de familles se contentent de vivre sur leurs terres, sans faire carrière à l'armée. [...] En outre, la noblesse de cloche, la multiplication des lettres de noblesse et des offices anoblissants permet au souverain d'intégrer dans le second ordre des familles qui sont fort éloignées des idéaux guerriers traditionnels. Les conseillers au parlement, les notaires et secrétaires du roi, les fermiers généraux, les plus célèbres artistes ou les négociants les plus méritants s'agrègent de la sorte à la noblesse, et accentuent son hétérogénéité. Il s'allient aux anciennes familles, adoptent le même mode de vie, poussent certains de leurs enfants dans la voie des armes, mais la diversité des processus d'anoblissement, qui sont de plus en plus contrôlés par l'Etat, accroît la diversité de la noblesse, dont la principale vocation est d'accueillir les élites du royaume.
Cette fusion des élites interdit d'opposer une "noblesse de robe" composée de magistrats à une "noblesse d'épée" vouée à la guerre. Ces deux expressions, qui ont cours sous l'Ancien Régime, désignent simplement deux "états", c'est-à-dire deux types de professions.
[Dès la fin du XVIe siècle émerge l'idée de race], selon laquelle l'éminence d'une famille dépend avant tout de son ancienneté. Surtout l'affirmation de l'absolutisme entraîne une redéfinition des contours du second ordre, qui s'élargissent peu à peu à la notion de mérite. En 1629, le code Michau précise en effet que les ordres de chevalerie doivent exclusivement revenir aux "seigneurs et gentilshommes qui ont rendu des services signalés aux rois nos prédécesseurs, et exposé leurs vies aux occasions pour la manutention de l'Etat". Les services qu'ils doivent rendre à la couronne sont, bien sûr, d'abord militaires. Louis XIV et Louvois créent ainsi, en 1682, neuf compagnies de cadets destinées à former des officiers issus de la noblesse pauvre. L'Ecole militaire, fondée en 1751 par Louis XV, répond aux mêmes besoins. Mais parallèlement, les contours du second ordre s'élargissent à un mérite protéiforme. Dès la première moitié du XVIIe siècle, la noblesse accueille des négociants ; une cinquantaine de Normands sont ainsi anoblis en 1645. A partir du règne de Louis XIV, des artistes bénéficient d'une lettre de noblesse comme Charles Lebrun ou Hyacinthe Rigaud. Sous Louis XV, des ingénieurs, des médecins ou des avocats obtiennent semblable faveur.
source : Dictionnaire historique de la France moderne / sous la direction de Laurent Bourquin, Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Isabelle Brian
Nous vous invitons également à consulter les notices suivantes de ce dictionnaire : Anoblissement (page 27), Lettre de noblesse (page 258), Preuves de Noblesse (page 311), Noblesse de cloche (page 311), Noblesse de race (page 312), Noblesse dormante (page 312), Noblesse militaire (page 313), Noblesse seconde (page 313), Office (page 317)...
Pour en savoir plus, nous vous recommandons vivement la lecture dans son intégralité de l'ouvrage de référence : La noblesse dans la France moderne : XVIe-XVIIIe siècles de Laurent Bourquin.
En voici également quelques extraits :
" L'intégration dans la noblesse, qui avait échappé au contrôle du pouvoir royal au cours du Moyen-Âge et pendant tout le XVIe siècle, devint clairement l'affaire du prince par la suite. Les lettres de noblesse signées par le roi, qui permettaient de récompense la loyauté de certains notables, se multiplièrent sous le règne de Louis XIII. A partir du milieu du XVIIe siècle, le monarque multiplia aussi les offices qui anoblissaient leurs titulaires dans les cours souveraines, ce qui lui permit d'exalter la dignité de sa justice et de renforcer le prestige de ses magistrats. Peu à peu, ses pratiques firent évoluer l'image que l'on se faisait de l'anoblissement : désormais, il semblait dépendre davantage d'un document écrit que de l'adoption d'un mode de vie idéalisé."
Pour répondre à votre 4e question, David D. Bien explique à l’article "Aristocratie" du Dictionnaire critique de la Révolution française (page 639 et suivantes) :
"Ce qui frappe en fait, c'est combien la noblesse française était peu attachée à la terre. Une comparaison l'éclairera. Car l'aristocratie française était, d'une certaine manière, la moins "féodale" des aristocraties européennes. En France, aucune loi, aucune circonstance, aucune ambition sociale ne réclamait d'un noble qu'il possédât de la terre en échange de son statut spécial : système tout à fait différent de l'Angleterre, par exemple, où l'élite rurale se définissait elle-même presque entièrement par la propriété. Là, quelque 20 000 familles de "vrais gentlemen" formaient un groupe comparable à la noblesse française en prestige et en pourcentage de la population totale. Or, outre-Manche, cette élite ne possédait pas 25 ou 30%, mais 80% de la terre. En acquérir était indispensable à la condition de gentleman, et il en fallait beaucoup : plus de 60% de la noblesse française n'aurait jamais pu faire partie de l'élite anglaise. [...] il faut reconnaître que la propriété terrienne n'était pas l'essence de la noblesse française. En fait, la condition fondamentale de la noblesse était précisément de n'avoir point de limite : elle pouvait se définir à volonté, c'est-à-dire selon celle du roi. Car les rois faisaient les nobles. [...] Graduellement la distribution de lettres de noblesse contre de l'argent, commune depuis le XVIe siècle, fit place à la vente d'office anoblissant leurs porteurs. Usage très avantageux. Les offices représentaient une sorte de capital que les rois créaient à volonté et qu'ils vendaient bien plus cher que les lettres de noblesse. [...]
Au XVIIe et jusqu'au début du XVIIIe siècle, on créa des offices par vagues. Des institutions apparemment moribondes reprirent une vie nouvelle. [...] Dans les quinze dernières années de l'Ancien Régime, pas moins de 2 200 roturiers acquirent des offices qui sans la Révolution française les auraient anoblis avec leurs descendants. Bref, les soixante dernières années de la monarchie furent l'âge d'or de l'anoblissement. Rien d'étonnant à ce que, pour certains, rien ne semblât limiter l'expansion de la noblesse en France, à la différence des autres pays d'Europe, où la terre servait de frein."
Autres documents pour aller plus loin :
- La noblesse française à l'époque moderne : XVIe-XVIIIe siècle / Jean Meyer
- La noblesse au XVIIIe siècle : de la féodalité aux lumières / Guy Chaussinaud-Nogaret
- Les noblesses en France : du XVIe au milieu du XIXe siècle / Michel Figeac
- L'anoblissement par charges avant 1789 / François Bluche, Pierre Durye
- Noblesse d'affaires au XVIIIe siècle / Guy Richard
- L'Anoblissement en France : XVe-XVIIIe siècles : théories et réalités
Quelques documents en ligne :
- JOUANNA, Arlette. Perception et appréciation de l’anoblissement dans la France du xvie siècle et du début du xviie siècle In : L’anoblissement en France, xve-xviiie siècles : Théories et réalités. Pessac : Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 1985 (généré le 26 avril 2022).
- Dauvergne Robert. Le problème du nombre des nobles en France au XVIIIe siècle. In: Annales de démographie historique, 1973. Hommage à Marcel Reinhard. Sur la population française au XVIIIe et au XIXe siècles. pp. 181-192
- Reinhard Marcel. Élite et noblesse dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 3 N°1, Janvier-mars 1956. pp. 5-37.
Bonne journée.