Que sait-on de l'alimentation des humains du paléolithique ?
Question d'origine :
Bonjour,
J'ai cru comprendre que les glucides représentent le carburant des muscles, et qu'en conséquence ils constituent une part importante de notre alimentation.
Il semblent pourtant relativement peu courants dans la nature (les graines en été et les racines en hiver?), et nous trouvons les nôtres principalement dans les céréales depuis le néolithique.
Comment les humains du paléolithique satisfaisaient-ils alors leurs besoin en glucides?
Plus largement, que sait-on de l'alimentation paléolithique?
Merci pour vos recherches!
Réponse du Guichet
Bonjour ! Vous avez de la chance, votre question mérite deux réponses en une. Je vais, pour ma part, étayer votre point de vue sur les glucides.
Concernant l'action des glucides sur le corps humain donc. Les glucides sont classifiés en deux catégories : les glucides simples et les glucides complexes (anciennement sucres rapides et sucres lents). Les glucides représentent entre 40 et 55% de l'apport calorique journalier pour un humain et on les trouve dans de nombreux aliments. Les glucides simples se retrouvent dans tous nos aliments transformés, nos sucreries, sodas mais aussi les fruits ou le lait. Quant aux glucides complexes, ils sont dans les céréales ou les féculents. Si notre organisme en demande autant, c'est qu'une fois décomposé par les enzymes de notre système digestif, il reste du glucose, qui est le véritable carburant de notre cerveau, de nos muscles et, plus largement, de nos cellules. Le glucose excédentaire est stocké dans le foie et les muscles sous forme de glycogène avant d'être renvoyé dans le sang en cas d'effort. Pour simplifier, les glucides sont donc classés en fonction de la vitesse à laquelle ils sont assimilés par notre organisme pour en faire du glucose.
Pour plus d'informations sur l'action des glucides dans l'organisme.
Complément(s) de réponse
Bonjour,
Vous souhaitez en savoir plus sur le régime alimentaire des hommes du paléolithique.
Le «régime paléo» :
Le premier élément à prendre en compte est que cette alimentation était nécessairement multiple. La période paléolithique s’étend en effet sur une période très étendue, et concerne plusieurs continents, à l’environnement varié. On peut schématiquement la faire débuter à près de 3 millions d’années avant le présent (AP), date des premiers restes du genre homo et des premiers outils de pierre taillée découverts. Elle se poursuivra jusqu’à environ 10000 ans AP et les débuts de l’agriculture et de l’élevage. Durant cette période, les conditions climatiques ont connu d’importantes variations, avec des alternances de phases glaciaires et interglaciaires, qui ont modifié en profondeur l’environnement dans lequel évoluaient les premiers hominidés.
L’histoire de l’alimentation dirigée Florent Quellier ne dit pas autre chose :
Entre des chasseurs vivant dans des contextes glaciaires dont l’alimentation est fondée presque exclusivement sur des ressources d’origine animale, des populations de forêts luxuriantes où les fruits abondent ou encore des groupes établis dans les savanes africaines ou le bush australien connus pour leur richesse en tubercules, rien de comparable dans les habitudes alimentaires, si ce n’est un goût insatiable pour le gras. En effet, le registre archéologique montre que, quelle que soit la période ou la zone géographique considérée, cette substance est la ressource alimentaire la plus activement recherchée et appréciée par les chasseurs-cueilleurs paléolithiques: un régime diététique de fait aux antipodes du régime paléo !
Par ailleurs, durant cette période, plusieurs espèces d’hominidés se sont succédées ou ont cohabité sur différents territoires. On ignore si ces hominidés partageaient des besoins communs, ou si ceux-ci différaient sensiblement.
Les données disponibles sur cette période sont évidemment très fragmentaires. Toutefois, une étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences montre que, si les restes animaux sont majoritaires sur les sites de fouilles, c’est peut-être essentiellement dû à une conservation des restes osseux bien meilleure que celle des restes végétaux. Des fouilles menées en Israël montrent en effet que l’alimentation des premiers hominidés (ici des homo erectus ou une espèce proche) n’était pas purement carnée, mais incluait de grandes quantités de végétaux variés, vraisemblablement bien plus divers que ceux que nous consommons actuellement.
Ces travaux remettent en cause l’image que nous avons souvent des hommes préhistoriques subsistant essentiellement des produits de leur chasse, et viennent saper un peu plus les fondements du controversé régime paléo.
Même en nous concentrant sur le paléolithique supérieur, qui s’étend d’environ 45000 à 12000 ans AP, il n’est pas vraiment possible de dresser un menu type, chaque population s’adaptant vraisemblablement à son environnement immédiat. Là encore, on note pour l’Europe la coexistence de deux espèces d’hominidés, Neandertal et Cro-Magnon.
Dans un colloque de l’institut français pour la nutrition en 2004, Pascal Picq résumait les régimes alimentaires des singes et des différentes population d’hominidés. (Évolution humaine et régime alimentaire : du bon goût des singes à la cuisson, pp. 17-28). Il insiste sur la diversité du régime alimentaire des derniers hommes préhistoriques :
Ces quelques observations suffisent à dépeindre des Néandertaliens avec des régimes alimentaires incluant un apport très important de viande bien que diversifié au fil des saisons et selon la diversité de leurs habitats.Quant aux régimes des hommes de Cro-Magnon, des populations de notre espèce Homo sapiens, ils présentent certainement une diversité encore plus marquée de régimes de type omnivores.
Il faut également prendre en compte le fait qu’au-delà de la disponibilité des ressources, les pratiques alimentaires doivent avant tout être considérées comme un fait culturel, Le préhistorien Roland Nespoulet illustre cela dans l’entrée «Paléolithique» du dictionnaire Je mange donc je suis, édité par le Museum National d’Histoire Naturelle :
L’alimentation préhistorique peut être avant tout considérée comme un fait culturel, même si les adaptations aux milieux et les moyens techniques disponibles pour chaque époque sont évidemment à prendre en compte. Si l’on se risque à une comparaison actualiste, les groupes de chasseurs-cueilleurs, qui ont une excellente connaissance de leur milieu animal et végétal, n’utilisent pourtant qu’une part très réduite des ressources dont ils savent qu’elles sont comestibles.Ces choix sont d’ordre culturel et relèvent aussi du goût.
Il conclue ainsi :
Pour l’heure, il existe peut-être une certitude: la diversité et la complexité des traditions culinaires paléolithiques sont très anciennes et dépassent l’imagination des préhistoriens.
La place des glucides :
Si les céréales constituent une part très importante (55% d’après la FAO, citée dans l’homme et le grain, d'Alain Bonjean et Benoît Vermander) des apports énergétiques de l’alimentation humaine actuelle, riche en glucides, il n’en a pas toujours et partout été ainsi. L’organisme a surtout besoin, pour fonctionner, d’apports alimentaires diversifiés.
Marylène Patou-Mathis résume les apports énergétiques des différents types d’aliments de la manière suivante :
On distingue traditionnellement cinq groupes de nutriments. Le lait et les produits laitiers, d’une part, et la viande et le poisson et les œufs, d’autre part, riches en protéines animales et en calcium, fournissent les éléments bâtisseurs de l’organisme. Deux autres groupes, celui du pain, des céréales, de la pomme de terre et des légumes secs et celui des matières grasses, riches en amidon, en protéines végétales et en lipides, donnent les éléments fournisseurs d’énergie. Le cinquième groupe comprend les légumes verts et les fruits; ils apportent la majorité des vitamines, des fibres et des sels minéraux. Les végétaux, riches en protéines, en vitamines et en oligo-éléments, nourrissent et empêchent l’apparition de certaines maladies. Crus, ils renferment plus de nutriments que cuits, mais sont moins digestes. Les fruits secs et les tubercules sont riches en amidon et les fruits frais en fibres de cellulose, notamment en polysaccharides et lignines qui, résistant aux enzymes digestives de l’homme, favorisent le transit intestinal. Les légumes verts et les fruits frais pris en abondance rafraîchissent et stimulent l’appétit tout en atténuant la sensation de faim. Mais ils sont peu caloriques, exceptés les fruits secs (noix, glands et noisettes) qui ont une teneur protidique quantitativement analogue à celle de la viande, et les tubercules, aliments riches en glucides et en vitamine C.
Il semble donc que d’autres sources de glucides aient pu être mobilisées par les populations paléolithiques en l’absence de cultures céréalières.
Mais il apparaît également que les céréales appartenaient d’ores et déjà dans le panel des aliments consommés un peu partout dans le monde dès le paléolithique, via la récolte d’espèces sauvages, et constituaient une source de glucides d’appoint. Dans «l’homme et le grain», une synthèse extrêmement complète des rapports entre l’homme et les céréales dans l’espace et le temps, Alain Bonjean et Benoît Vermander écrivent ainsi :
Porteuses de résidus de graminées et d’autres plantes amylacées, notamment de grains d’amidon, les lames en silex, broyeurs et meules dormantes retrouvées illustrent la diversité des pratiques associées [à la consommation de végétaux], essentiellement conduites par les femmes et les enfants, entre 40000 et 5000 ans AP, au Proche-Orient. On trouve leurs équivalents en Europe, en Chine, en Australie, et très probablement aussi en Afrique et en Amérique. (p.63)
[…]
Des travaux archéologiques menés en Israël sur le site submergé d’Ohalo II en bordure du lac de Tibériade, daté d’il y a 23000 ans environ, ont mis en évidence que la récolte de graminées, effectuée avec des faucilles de silex, par une petite population paléolithique de pêcheurs-chasseurs qui s’abritaient dans des huttes une partie de l’année comprenait des blés, des égilopes, des orges, et des avoines sauvages et constituait seulement pour elles une alimentation d’appoint. (p.64)
Quelques millénaires plus tard, la culture des Natoufiens (v. 14500-11500 ans AP), située en bordure de la côte méditerranéenne, du sud de la chaîne des monts Taurus jusqu’au Sinaï, témoigne encore de pratiques mixtes de chasse (gazelle, auroch, onagre, ibex, poule d’eau, etc.) et de pêche (poisson, coquillages, etc.), complétées par la récolte, in situ ou issue de pré-cultures, de graminées sauvages (engrain, amidonnier, orge, seigle, etc.), de légumineuses sauvages, de glands, d’amandes et de pistaches sauvages, avec un habitat partiellement sédentarisé en petits groupes de maisons semi-enterrées[…]. (p.65)
Marylène Patou-Mathis, dans son ouvrage «Mangeur de Viande» reprend des travaux existants et précise la répartition des nutriments nécessaires pour les chasseurs-cueilleursdu Paléolithique, et les sources disponibles. Elle évoque notamment la possibilité de compenser une carence en glucides par une consommation de graisse animale (la néoglucogenèse) :
En 1987, l’archéologue américain John Speth a montré que pour les peuples vivant de la chasse, ce qui est important est pour maintenir l’équilibre du régime alimentaire, plus que la quantité de protéines, ce sont les apports caloriques provenant des graisses animales ou des végétaux riches en amidon. En Europe, les chasseurs-cueilleurs préhistoriques pouvaient trouver les glucides dans les baies, les fruits des noisetiers, des chênes ou des châtaigniers, les tubercules, la graisse (peut-être par néoglucogenèse) et probablement durant les périodes tempérées dans le miel.
Pour une étude approfondie, quoiqu’un peu datée, de l’alimentation préhistorique, en particulier au paléolithique, vous pouvez vous référer à l’ouvrage La nutrition préhistorique, publié par Gilles Delluc, Martine Delluc et Martine Roques en 1995. Il tente d’y confronter les connaissances des nutritionnistes avec les données matérielles acquises par les préhistoriens.