Pouvez-vous m'éclairer sur l'épisode biblique concernant Juda et Tamar ?
Question d'origine :
Ayant recu aussi le mythe d'Astartré concernant le voile, j'ai lu vos réponses, sites etc... mais je ne comprends toujours pas pourquoi dans la Bible qui date d'environ 2700 ans? , il est écrit :
GENESE 38 - "Juda et Tamar" - A lire :
38-14 "Alors elle ôta ses habits de veuve, elle se couvrit d'un voile et s'enveloppa, ..."
38 -15 : "Juda la vit, et la prit pour une prostituée parce qu'elle avait couvert son visage..."
Cette femme Tamar s'est fait approcher par son beau père Juda qui l'a prise pour une pu.. etc etc
Ma question : Pourquoi ces versets de la Bible ne correspondent pas à ce que j'ai appris.
Réponse du Guichet
Il n'est pas dit que Tamar ait souhaité se prostituer. Mais, pour arriver à ses fins et concrétiser la coutume du lévirat, elle n'a pas d'autre moyen à sa disposition que de dissimuler son visage sous un voile pour ne pas être reconnue de son beau-père.
Le voile revêtu par Tamar peut aussi être interprété comme le symbole du mariage léviratique avec Juda car il était aussi porté par les femmes lors des fiançailles.
D'après Paul Mirault et Michel Mazoyer : "on ne peut pas absolument conclure de ce texte que le voile distingue l’habituelle tenue des prostituées, en raison de l’absence d’autres exemples. Le texte n’est pas explicite. " Il s'agit probablement de l'interprétation de Juda.
Bonjour,
Voici l'analyse faite par Paul Mirault et Michel Mazoyer dans "Evolutions et transformations du mariage dans le christianisme" à propos de votre pertinente question :
Par ailleurs, l’attitude de Tamar (Genèse 38, 14-15), qui désire un héritier pour son mari défunt par l’application du lévirat, et ne l’obtient pas de son beau-père Juda, suscite un vif intérêt. Alors que celui-ci se devait de la donner en mariage à Shéla, son troisième et dernier fils vivant, il s’y refuse. L’héroïne, afin de mener à bien son projet, décide alors d’avoir un enfant de Juda. Pour ce faire, elle ôte ses vêtements de veuve, se couvre d’un voile puis s’assied en l’attendant au carrefour des Deux-Sources, sur le chemin de Timna. Son beau-père l’aperçoit et la prend pour une zônâ, «prostituée», car, rapporte le texte, son visage est voilé. La présence du lamed d’appartenance devant ce mot peut permettre de songer à une apparence distinctive, liée à ce statut, de l’ordre de l’aspect extérieur, sans y correspondre inévitablement. De plus, en 38, 21-22, l’ami de Juda, Adoullam, la nomme «la prostituée», et en 38, 20, 20, «la femme». Ainsi, le texte semble hésiter quant au statut de l’héroïne. De fait, s’il apparaît clairement que Tamar se voile afin de n’être pas reconnue par son beau-père, on ne peut pas absolument conclure de ce texte que le voile distingue l’habituelle tenue des prostituées, en raison de l’absence d’autres exemples. Le texte n’est pas explicite. 8 [C’est Adoullam et non Juda qui désigne Tamar par Car Juda l’a bien envoyé chercher le gage «des main de , la femme», dit le texte (Genèse 38, 20). Juda n’emploie que ce terme. Et les gens du lieu confirment qu’il n’y a pas de en ce lieu (Genèse 38, 22). Si ce terme désigne la prostitution sacrée, Tamar ne fait pas partie de ces femmes, conclut M. Gilbert, 1978, p. 208-9.]
Alors que le premier exemple décrit un rite traditionnel de la période biblique [Rebecca et Isaac, Grenèse 24, 65], le second peut ou non traduire une réalité récurrente, dont nous ne savons rien à ce jour. Il est, de plus, possible et même probable que dans l’esprit et le désir de l’héroïne, se voiler soit la métaphore de ses fiançailles et de son mariage léviratique avec Juda. Elle emploie le seul moyen à sa disposition pour concrétiser la coutume du lévirat, et donner un héritier à son mari défunt. Or, le terme employé dans ces deux textes est le même : qui peut évoquer un châle, un voile, un manteau ou une cape. Le substantif choisi, identique dans les deux textes de Genèse 24 et 38, n’est pas anodin. Et, symboliquement, Tamar met en scène une situation identique à celle des fiançailles où la fiancée se présente voilée à son futur mari (Genèse 24, 65; 29, 23-25). Le substantif serait alors le terme appliqué au voile de la fiancée.
Voici ce qui est également indiqué dans l'ouvrage de Shmuel Trigano, Philosophie de la Loi : l'origine de la politique dans la Tora, à ce propos :
Histoire hautement symbolique s'il en est, car les gages donnés par Juda sont les insignes mêmes de la royauté, les emblèmes de la royauté donnés à une prostituée ! Ici aussi l'ambivalence joue. Nulle part il n'est dit que Tamar voulut se prostituer. On nous dit seulement qu'elle prit un voile et s'en couvrit, et s'assit à la " porte des sources / yeux" (Genèse 38, 21), qui peut se lire l'"ouverture des yeux". C'est juda qui la prend pour une "prostituée / qedesha" (genèse 38,15). En somme, il tient le voilement, le cachement, pour une occasion de prostitution (et d'inceste, mais il ne le sait pas). Tamar n'a fait qu'une chose, c'est se couvrir d'un voile. Le reste est interprétation. Elle a voulu manifester l'absence dans la présence et faire sentir l'oubli du nom d'Er dans la famille de Juda. Au lieu de comprendre - mais il ne le peut -, Juda prend cette manifestation pour une invite : l'absence, croit-il, est à remplir, à occuper, au lieu d'y faire émerger autrui. Il y entre, au propre et au figuré, et cette occupation du lieu d'autrui, absent, équivaut à un inceste dans la mesure où le même (Juda) se mêle à lui-même (sa famille proche), au lieu d'y faire apparaître autrui. Le père, en somme, a oublié son fils (disparu et mort) dont il s'agit d'assurer la perpétuation. Tamar en prend l'initiative car elle a le lévirat à coeur et cherche, comme Ruth plus tard, à donner une descendance à une famille qui s'éteint.
Bonne journée.