Je cherche des sources scientifiques sur la timidité des cimes.
Question d'origine :
Bonjour,
Je suis à la recherche d'informations concernant la timidité des cimes dans les forêts. En effet j'ai déjà pu trouver diverses informations. Seulement, la plus part sont incomplètes. Je cherche de véritables informations scientifiques qui expliqueraient ce phénomène.
D'après mes recherches précédentes, cette timidité serait due à une communication biochimique entre les arbres. Existe-t-il d'autre moyen que les phytohormones pour communiquer ? Par où et comment les arbres reçoivent -ils ces informations ? La libération de phytohormones pour communiquer est-elle toujours de la même intensité ? Ou encore, Est-ce-que tout les arbres ont cette capacité ; cela peut se faire entre toutes les espèces, a tout endroits ?
Réponse du Guichet
Le phénomène de timidité des cimes, observé sur au moins une centaine d'espèces d'arbres, est à ce jour inexpliqué. Quant à la communication entre nos amis végétaux, elle emprunte de nombreux canaux : impulsions électriques, racines, champignons... et, semble-t-il, signaux olfactifs, mais dans une proportion probablement sans rapport avec l'engouement médiatique que l'annonce de leur existence a provoqué.
Bonjour,
Les sources que nous avons consultées n'apportent malheureusement pas un éclairage décisif sur le phénomène dit de la timidité des cimes, encore mal connu. On sait, d'après Tela botanica, qu'il intéresse pourtant les botanistes depuis les années 1920, et que l'expression est une traduction approximative de "crown shyness" (couronne de timidité), appellation forgée "par des chercheurs australiens au cours des années 60".
Dans le Dictionnaire amoureux des arbres [Livre], Alain Baraton donne quelques exemples d'espèces recourant à cette étrange pratique :
Depuis quelques décennies, les scientifiques s'intéressent à certains arbres qui poussent dans les forêts tropicales, dont les branches ne touchent jamais celles des autres végétaux. Les études portent principalement sur le sal, le camphrier, le palétuvier noir et l'eucalyptus, des végétaux qui atteignent tous adultes une trentaine de mètres de hauteur, excepté l'eucalyptus qui peut atteindre des dimensions vertigineuses. Les premiers travaux portent sur les forêts de Malaisie, mais aussi, et cela devient intéressant, les forêts ombrophiles d'Amérique du Nord et d'Europe. Précision pour ceux qui l'ignorent : une forêt est ombrophile quand elle se développe dans des régions très pluvieuses. Les botanistes pensent maintenant avoir trouvé une explication à ce qu'ils nomment "timidité botanique", jolie expression empreinte de poésie. Il ont en effet constaté que, sitôt qu'un arbre s'approche d'un de ses semblables, ses branches cessent de pousser. En faisant ainsi, les plantes régulent la quantité de lumière entre leurs branches hautes et leurs branches basses. Mieux encore, ces mêmes arbres font en sorte d'éviter que les branches près du sol ne soient trop exposées au soleil, afin d'éviter qu'elles ne deviennent trop grandes.
En France, selon un article de Radio France, on peut admirer le phénomène chez les pins parasol du cap d’Antibes ou parmi les chênes verts du midi. Le site Québec sciences mentionne quant à lui "certaines espèces d’eucalyptus, de pins, de mangroves et quelques autres espèces tropicales" et Tela botanica ajoute les fagacées (hêtres, chênes, châtaigniers, etc.).
Concernant la communication des arbres par la voie des airs via des phytohormones, elle n'est pas leur moyen le plus courant de transmettre des messages. C'est ce que nous apprend Les arbres grandissent-ils toute leur vie ? [Livre] : 60 clés pour comprendre les arbres d'André Granier :
La question de la communication entre arbres fait l'objet de nombreux débats, s'appuyant sur des arguments qui ne sont pas toujours solidement étayés par des approches scientifiques.Il est bien établi que non seulement des voies de communication existent entre les racines d'arbres voisins, mais aussi qu'elles sont nombreuses. Il y a d'abord les liaisons directes de racine à racine des arbres d'une même espèce, les anastomoses. Celles-ci se forment lorsque deux racines se trouvent en contact très étroit et on peut les comparer à des greffes. Dans une forêt, elles sont d'autant plus nombreuses que le peuplement est dense. Les anastomoses [...] mettent en commun les deux systèmes conducteurs de chaque racine, le xylème et le phloème. De ce fait, les arbres sont capables de partager les substances transportées par ces "canaux" : l'eau, les éléments minéraux, les produits de la photosynthèse.Des expérimentations utilisant des marqueurs introduits dans une racine (colorants, éléments radioactifs) ont formellement confirmé l'existence de tels échanges. Dans un peuplement de sapins de Douglas de l'île de Vancouver, après l'exploitation d'une partie du peuplement, 45% des souches des arbres abattus croissaient encore en diamètre 22 ans plus tard, car elles étaient toujours connectées par des anastomoses à des arbres encore vivants. Dans cette région, les mêmes observations avaient été faites dans des forêts de tsugas et de thuyas.Plus encore que les anastomoses racinaires, les mycorhizes [association des racines avec des champignons], par leur réseau extrêmement dense et étendu, avec une surface souvent supérieure à 100 m², constituent probablement la voie majeure de communication entre les arbres. La connexion entre espèces différentes via les mycorhizes a été démontrée dans des écosystèmes forestiers très variés, tempérés et tropicaux, pour peu que les arbres partagent la même espèce de champignon. L'eau et les éléments minéraux, éléments majeurs, sont échangés par cette voie, mais également les hormones végétales, molécules de signalisation. Il est notamment très probable que les auxines, qui initient la croissance au début de la saison de végétation, soient échangées entre plusieurs arbres voisins connectés.Au regard des nombreux travaux portant sur les échanges souterrains de matière, peu d'éléments apportent des preuves sur des échanges d'informations entre arbres par la voie aérienne. Les vecteurs d'informations les plus souvent évoqués sont les composés organiques volatils, dont l'éthylène, une petite molécule composée de deux atomes de carbone. Ce composé gazeux, classé dans la famille des hormones végétales, joue un rôle reconnu dans plusieurs processus notamment aériens : il stimule la floraison, la maturation des bruits, l'abscission foliaire en automne. En outre, des conditions stressantes (maladie, blessure) activent sa synthèse chez les plantes, ce qui en fait un bon candidat comme vecteur d'informations. Mais le rôle de l'éthylène dans la signalisation d'un danger émis pas un arbre vers ses congénères, qui a fait l'objet d'annonces médiatiques, n'a pas été étayé par des preuves scientifiques reproductibles.Enfin, la signalisation électrique via des différences de potentiel, mise en évidence depuis le XIXe siècle par des physiologistes végétaux, est revisite par une nouvelle discipline : la neurobiologie végétale. Face à ces interrogations, voire ce scepticisme sur la capacité qu'auraient les arbres d'échanger des informations, il n'en reste pas moins vrai que les voies de recherches sur le fonctionnement intégré de l'arbre entier et sur des communications à l'échelle des communautés ont été jusqu'à maintenant peu explorées, alors que la science végétale a fait des progrès considérables aux échelles cellulaire et intracellulaire."
C'est aussi ce qu'on trouve dans Les arbres c'est pas sorcier [Livre] de Victor Coutard :
Les arbres d'une forêt sont doués du pouvoir de communiquer et, plus impressionnant encore, de partager leurs expériences. Leurs racines et surtout leur réseau de champignons mycorhiziens forment une sorte d'Internet souterrain qui leur permet de s'envoyer des messages d'alerte. Si des insectes nuisibles ou certaines maladies pointent le bout de leur nez, les arbres sont capables de détecter le danger et d'envoyer une mise en garde à leurs congénères. Cet avertissement prend la forme d'une impulsion électrique qui permet aux arbres de sécréter les toxines ou les anticorps qui tiendront les agresseurs en respect.
La communication olfactive, on le voit, n'est pas ne fait pas consensus dans la communauté scientifique. Elle jouit cependant d'une vaste couverture médiatique, notamment suite à la publication de La vie secrète des arbres [Livre] : ce qu'ils ressentent, comment ils communiquent, un monde inconnu s'ouvre à nous de Peter Wohlleben. L'auteur y raconte comment les acacias de la savane africaine réagissent aux agressions des herbivores en échangeant de l'éthylène avertisseur, ce qui pousse les congénères à "augmenter à leur tour la teneur toxique de leur feuille", ce que feraient également les hêtres, les chênes et les sapins.
Ces messages chimiques sont également des substances volatiles émises dans l’air, qui préviennent les autres plantes ou attirent des prédateurs de la chenille. Si l’on considère que la communication est l’émission d’un signal suivie de sa réception induisant un changement d’attitude, on peut bien parler de communication végétale.
Une manifestation marquante de ce système d’alerte et défense a été rapportée dans les années 1990 par le biologiste sud-africain Wouter Van Hoven qui avait observé la mort de trois mille antilopes koudous dans les ranchs. Son enquête menée avec plusieurs scientifiques a permis de comprendre ce qui s’était passé : l’élevage de ces koudous amenait une pression très forte sur les acacias, dont les feuilles blessées émettaient un gaz volatil très commun, l’éthylène. Émis en grande quantité, ce gaz prévenait les autres acacias du danger et ils mettaient en route la production de tanins qui rendaient les feuilles indigestes pour les antilopes. Ces antilopes d’élevage ne trouvaient pas de parade et mouraient. Pour autant, un tel impact de la communication végétale semble excessivement rare, et demande certainement des circonstances très particulières (dans ce cas, une surpopulation d’herbivores en élevage extensif et au régime alimentaire peu diversifié, au contact d’arbres par ailleurs habitués à se protéger contre les prédations). On n’a pas encore observé dans nos régions que les régénérations de chêne ou de résineux abrouties par les cerfs, au grand dam des forestiers, avaient trouvé le moyen de se défendre toutes seules sans l’aide des chasseurs, dommage...
Dans la nature, les histoires sont la plupart du temps plus compliquées, car l’animal sait riposter et les acteurs (plantes et animaux) en interactions sont nombreux et diversifiés. Le biologiste André Kessler de l’Université Cornell a une équipe de recherche spécialisée, qui étudie les mécanismes chimiques et moléculaires et l’écologie des réponses des plantes à l’herbivorie. Dans une récente conférence à Nancy le 12 avril 2018, il nous parlait de ses travaux sur la communication entre espèces et de son influence sur la composition en espèces des communautés végétales. Contrairement à ce qui semble implicite dans le conte de Peter Wohlleben où « les mères protègent leurs enfants », les signaux émis n’informent et ne protègent pas seulement les individus de la même espèce. Ces recherches à dimension écologique, dans le milieu naturel diversifié en espèces et complexe en interactions, ne font que commencer car historiquement, les études ont plutôt été conduites par des physiologistes sur quelques plantes modèles en chambre de culture.
Les auteurs citent au passage une étude sur l'arabette des dames, "mauvaise herbe" poussant dans de nombreuses régions tempérées, révélant un mécanisme qui n'a pas encore été repéré chez les arbres mais pourrait être une piste de recherche pour l'étude de la timidité des cimes :
Au-delà de recevoir des signaux, les cellules végétales émettent en retour des messages qui permettent une chaine complexe de réponses, comme l’augmentation de la vitesse de croissance en diamètre et l’arrêt de la croissance en hauteur qui fait suite à la perception du signal du fléchissement du tronc par les cellules cambiales. Une expérience sur un tapis d’arabette des dames (Arabidopsis thaliana) a montré que ces petites plantes savaient combiner plusieurs sens lors d’interactions de voisinage : sur ces plantes en rosette, les feuilles horizontales ne peuvent « voir » leurs voisines ; mais dès qu’il y a un contact (sens du toucher) les feuilles impliquées se redressent activement et se rendent ainsi visibles via la perception par leurs voisines du rouge sombre réfléchi. Ce « geste » permet ainsi de renforcer le signal de proximité pour éviter de se faire mutuellement de l’ombre. Indubitablement, les humains que nous sommes ne peuvent qu’être impressionnés par autant de « sens collectif ».
Des réponses de cette nature n’ont pas encore été documentées chez les arbres, mais pourraient être impliquées par exemple dans le phénomène de timidité des cimes présent chez de nombreuses espèces [...].
Il est fréquemment avancé que des insectes ou d’autres herbivores comme les girafes, qui endommagent les feuilles, entraînent l’émission de composés volatils (éthylène, terpènes, ou autres) qui diffusent dans l’atmosphère et seraient réceptionnés par les plantes ou arbres voisins qui pourraient ainsi se mettre en défense et éviter les agresseurs (Baldwin et al., 2006). La plupart des essais effectués pour mettre en évidence de tels effets ont été obtenus en laboratoire et ne révèlent que des effets à la marge. Deux expériences (Baldwin et Schultz, 1983, Science ; Rhoades, 1983) auraient mis en évidence une communication entre arbres après défoliation expérimentale. Une de ces études semble statistiquement défectueuse (Baldwin et Schultz, 1983). Les résultats de l'autre pourraient résulter d’une maladie infectieuse transmise entre les chenilles et non à la communication entre arbres. Fowler et Lawton (1985) ont réalisé un essai de terrain sur bouleau (Betula pubescens) en défoliant des arbres de 5 % et 25 %. La défoliation expérimentale n’a pas réduit les niveaux ultérieurs d'attaque par des insectes et n’a été suivie d’aucune communication entre arbres. Depuis, ces résultats restent controversés et sont loin de faire l’unanimité dans la communauté scientifique. Ils ont continué à être véhiculés par des scientifiques comme Ian Baldwin du Max Plant Institute et de nombreux médias ou des ouvrages comme celui de Peter Wohlleben. Ils se sont ainsi transformés en certitude pour un vaste public.