Quel dictateur a causé le plus de morts, Hitler ou Staline ?
Question d'origine :
Au XXe siècle, quel dictateur a causé, directement ou indirectement, le plus de morts, Hitler ou Staline ??? Merci
Réponse du Guichet
Difficile de comparer le bilan humain résultant de l'action de ces deux hommes. Quels chiffres prendre en compte ? Les tentatives de comparaison sont d'ailleurs vivement critiquées par de nombreux historiens.
Bonjour,
D'après de nombreux historiens, la comparaison du nombre de victimes de ces deux régimes totalitaires n'est pas réellement pertinente.
En effet, quoi de plus proche dans l'horreur et la forme, mais parallèlement de plus opposé dans leur idéologie, que ces deux lames de fond pour le XXe siècle, que furent le nazisme et le communisme ? La comparaison de deux systèmes dits totalitaires est une démarche polémique. La parution en 1998 du "Livre noir du communisme" suscita de nombreux débats sur la légitimité de cette comparaison. Peut-on évaluer ces deux "malheurs du siècle" à l'aune d'une statistique macabre basée sur le nombre de leurs victimes ? Le décompte des morts est bien entendu insuffisant.
D'abord parce que les victimes peuvent ne pas mourir et survivre dans une souffrance et une aliénation insoutenables. Ensuite, parce qu'il est des analogies de structure bien plus intéressantes pour l'historien.
source : Analyse de Thomas Roman de l'ouvrage de Alain Besançon Le Malheur du siècle - sur le communisme, le nazisme et l'unicité de la Shoah
Stéphane Courtois dans son ouvrage intitulé Le livre noir du communisme [Livre] : crimes, terreur, répression a en effet tenté de dresser un parallèle entre nazisme et communisme que dénonce Gilles Perrault dans cet article paru dans Le Monde diplomatique : Communisme, les falsifications d’un « livre noir ». En voici un extrait :
C’est que Stéphane Courtois a fixé à sa campagne une cible ambitieuse. Sachant que les crimes nazis, et notamment la tentative d’extermination des Juifs d’Europe, s’inscrivent dans la mémoire collective comme l’abomination absolue, il veut établir une analogie entre nazisme et communisme. Avec 25 millions de victimes pour l’un et une évaluation de 100 millions pour l’autre, la preuve serait apportée que le second est quatre fois plus criminel que le premier. Certes, les victimes ne se comparent pas. Juifs et Tsiganes furent assassinés en tant que tels. Citant les discours des bolcheviks, que la rhétorique révolutionnaire tenait à l’écart de la nuance, Stéphane Courtois doit bien admettre que, s’ils vouaient à la liquidation leurs ennemis bourgeois, koulaks, etc., c’était « en tant que classe ». Il introduit donc le concept d’un « génocide de classe » qui serait l’exact équivalent du « génocide de race ». L’imposture intellectuelle sidère par son audace. Aux yeux des nazis, un Juif restait de sa conception à sa mort défini par sa judéité.
Un bourgeois dépouillé de ses biens sort de la bourgeoisie. La Révolution française a voulu, et dans une certaine mesure accompli, la liquidation de l’aristocratie en tant que classe, ou caste. Mais les « ci-devant » dépossédés de leurs titres et privilèges n’étaient pas automatiquement promis à l’échafaud, où ils furent moins nombreux à monter que les ouvriers ou les paysans. Stéphane Courtois écrit : « La mort de faim d’un enfant de koulak ukrainien délibérément acculé à la famine par le régime stalinien » vaut« la mort de faim d’un enfant juif du ghetto de Varsovie acculé à la famine par le régime nazi. » La comparaison ne vaut rien car l’enfant ukrainien survivant à une famine circonstancielle avait une vie devant lui, alors que l’enfant juif rescapé de la faim n’avait pour avenir que la chambre à gaz de Treblinka.
Les fondements idéologiques de ces régimes totalitaires et le contexte de leur instauration n'était pas le même :
Le système stalinien a fait bien plus de morts que le régime hitlérien. Mais l’objectif n’était pas l’extermination à la chaîne, industrialisée et bureaucratisée, du nazisme. Si terrible qu’elle fût, l’offensive contre les koulaks n’était pas non plus exempte de toute rationalité, comme le fut le meurtre d’ouvriers juifs qualifiés dont la force de travail aurait pu être employée dans une industrie des armements aux abois, ou le déploiement de moyens de transports et de matériel pour acheminer les victimes aux chambres à gaz des camps d’extermination quand cette logistique aurait pu contribuer à l’effort de guerre. Dans le cadre du concept de totalitarisme, le national-socialisme est le seul et unique exemple d’un régime apparu dans un pays doté d’une économie industrielle avancée et d’un système politique démocratique (et même d’un pluralisme politique encore plus ancien). Dans tous les autres cas – Union soviétique, Chine, Corée du Nord et Cuba – la «phase totalitaire» de l’instauration du régime autoritaire se déroula dans des conditions d’arriération économique et politique, dans une économie agraire, dans une société pauvre sans tradition de pluralisme politique, sans parler de démocratie, et où avaient traditionnellement prévalu diverses formes de tyrannie.
Source: Retour sur le totalitarisme: Le nazisme et le stalinisme dans une perspective comparative / Ian Kershaw and Pierre-Emmanuel Dauzat - Esprit - No. 218 (1/2) (Janvier-février 1996), pp. 101-121
De même, l'analyse comparatiste faite par Timothy Snyder dans son ouvrage intitulé Terres de sang. L'Europe entre Hitler et Staline est critiquée dans cet article Beaucoup de bruit pour rien ? Retour sur la lecture faite par Timothy Snyder des violences de masse nazie et stalinienne par Jean Solchany.
Nous vous renvoyons enfin à cet article de Wikipédia qui établit une somme des Critiques de la comparaison nazisme-communisme.
Une comptabilité difficile à établir
Les estimations diffèrent en effet selon les éléments pris en considération, les sources, le contexte... et ne tiennent pas compte des mêmes réalités. Quelques exemples :
Pour les victimes du stalinisme, quels chiffres penons-nous en considération ? Les personnes déportées, exécutées, mortes de la famine ?
Les historiens qui ont travaillé après la dislocation de l'Union soviétique estiment quant à eux que le nombre des victimes du régime en dehors des famines se situe entre 4 et 10 millions. Vadim Erlikman donne les estimations suivantes :
Nombre de victimes Exécutions 1,5 million Goulag 5 millions Morts en déportations 1,7 million Prisonniers de guerre
et civils allemands1 million Total 9,2 millions En incluant les victimes de la famine on arrive à des chiffres de plus de 20 millions.
D'autres relèvent 4 000 060 condamnations entre 1921 et 1953, dont 799 455 à mort, 963 766 décès — « ennemis du peuple » et droits communs confondus — dans les camps entre le , jour officiel de la création de l'administration pénale pénitentiaire, et le . « Ce dernier chiffre, ainsi que celui des personnes décédées lors de la déportation des koulaks peut être ajouté au « terrible prix » qui a été payé », indique Moshe Lewin. Ce chiffre s'élève à 1 800 000 déportés, parmi lesquels quelques centaines de milliers de décès dans les famines consécutives. En outre, il faut ajouter quelque 1 500 000 condamnations après 1945 pour faits de collaboration, la plupart à l'emprisonnement, avec une « indulgence relative » pour les nationalistes ukrainiens et baltes. En comptant les « 440 000 Polonais déportés ou fusillés » entre 1939 et 1941, l’estimation du nombre de victimes directes du stalinisme est d’environ 7 740 000 personnes en 32 ans ; environ 2.500.000 d'entre elles trépassèrent devant un peloton d'exécution ou en déportation.
source : Joseph Staline / Wikipedia
Quelles victimes considérer pour le bilan humain de l'action d'Adolf Hitler ? Le total des morts de la seconde guerre mondiale ? Les victimes de la Shoah ? Uniquement les personnes exécutées sur les ordres d'Adolf Hilter ?
Le bilan humain est dramatique : entre 50 et 60 millions de morts, plusieurs millions de blessés, 30 millions d’Européens déplacés en raison des changements de frontières, surtout en Europe orientale. Ce conflit fut le plus coûteux en vies humaines de toute l'histoire de l'humanité. Environ 45 millions de civils sont morts dans les combats et les bombardements et le nombre de victimes civiles est supérieur à celui des victimes militaires. Des peuples entiers sont presque décimés (ainsi on comptait sept millions de Juifs en Europe avant la guerre et seulement un million après) et des populations sont détruites. La Pologne a perdu environ 15% de sa population. Environ 11 millions de personnes auraient été directement exécutées sur les ordres d'Adolf Hitler.
Au total, selon les estimations, environ 17 877 000 de militaires sont morts sur les champs de bataille européens, dont 10 774 000 du coté des alliés et 7 103 000 du coté des forces de l'Axe.
source : Bilan de la Seconde Guerre mondiale
Lire aussi cette fiche Wikipédia : Pertes humaines pendant la Seconde Guerre mondiale
L'article intitulé Les quatre sanguinaires Mao, Staline, Hitler, Pol Pot de Marie-Françoise Leclère et Pierre-Emmanuel Dauzat (Le Point -
MAO : 70 millions de morts dont 35 millions lors de la Grande Famine (1958-1961), conséquence du Grand Bond en avant. 25 millions dans les laogai (camps de travail).
STALINE : 20 millions de morts dont 11 millions lors de la Grande Famine (1929-1932) provoquée en Ukraine.
HITLER : 25 millions de morts dont plus de 15 millions de Soviétiques et 6 millions de juifs.
POL POT : 1/4 des Cambodgiens, soit près de 2 millions de personnes, tués sur ordre de Pol Pot. Le plus haut ratio des tyrans meurtriers.
Pour aller plus loin :
- Stalinisme et nazisme [Livre] : histoire et mémoire comparées / sous la dir. de Henry Rousso - une présentation en est faite ici : Revue d'études comparatives Est-Ouest
- Le système totalitaire [Livre] / Hannah Arendt
- La concurrence des victimes Génocide, identité, reconnaissance / Jean-Michel Chaumont
- Régimes totalitaires une précédente réponse du gds
- TERNON Yves, « Comparer les génocides », Revue d’Histoire de la Shoah, 2003/1-2 (N° 177-178), p. 35-59.
Bonne journée.