Quelle est l'origine et l'histoire littéraire du baba au rhum ?
Question d'origine :
Que sait-on du baba au rhum ?
La pâtisserie traverse la littérature : madeleine de Proust, religieuse de Diderot (humour) ou brioche de Maupassant.
Mais qu'en est-il du baba au rhum, hors des recettes culinaires, dans les romans, l'histoire ou la géographie ?
Réponse du Guichet

D'origine polonaise, le baba au rhum semble avoir été humecté d'une multitude de nectars et sa recette a connu plusieurs variantes au fil du temps. Il est également présent dans la littérature et connaît son paroxysme avec l'analyse qu'en fait Guillaume Chabat dans son article « ‘On a bien MAMANGÉ'. Le ‘baba au rhum' doubrovskien vs les ‘Petites Madeleines' proustiennes »
Bonjour,
Sur l'origine du baba au rhum, plusieurs sources, Le Grand Larousse gastronomique, le Dictionnaire gourmand de Marie-Hélène Baylac, le Dictionnaire de la pâtisserie d'Eric Glatre et Wikipédia, s'accordent à dire qu'elle est polonaise :
Baba au rhum (Wikipédia)
Le baba au rhum aurait officiellement été inventé pendant la première moitié du XVIIIème siècle. Le roi de Pologne Stanislas Leszczynski, beau-père de Louis XV alors duc de Lorraine, et installé à Nancy, trouva le kougelhopf trop sec et demanda qu'il soit arrosé de vin tokay, remplacé ensuite par le rhum. Il est cependant plus probable que l'origine du baba au rhum soit une recette polonaise, le baba ou babka (signifiant « grand-mère » ou « petite grand-mère ») étant de même forme mais plus grand. D'autre part, il est parfois mentionné, à propos des Mille et une Nuits, que le roi Stanislas avait lu Ali Baba à l'époque, ce qui pourrait faire partie de la légende, même si ce Baba-là n'a a priori aucun rapport avec le nom du gâteau.
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Mais c’est en 1735 à Paris que le pâtissier local Nicolas Stohrer, descendant du chef-pâtissier polonais du roi Stanislas, devint le spécialiste de ce dessert en remplaçant la liqueur de tanaisie par du rhum. Il créa cette recette dans sa pâtisserie Stohrer, fondée en 1730 rue de Montorgueil. Au XIXème siècle, les frères Julien, également pâtissiers à Paris, s'inspirent du baba vendu par Rouget (une autre pâtisserie parisienne célèbre à l'époque) et de celui de Stohrer pour créer le savarin avec la même pâte de base, cuite dans un moule circulaire. Le biscuit est ensuite trempé dans un sirop de sucre avec du kirsch, de l'absinthe et de l'eau de rose.
Le Dictionnaire gourmand de Marie-Hélène Baylac propose une variante sur le vin choisi pour arroser la brioche. Le pâtissier en chef du roi l'aurait humecté de Málaga, un vin doux andalous. Vous pouvez lire l'extrait sur Google Livres. Selon Ouest-France dans L'édition du soir, il aurait également ajouté de la crème pâtissière et des raisins secs et c'est plus tard que ces ingédients auraient été remplacés par de la crème chantilly et du rhum.
Mais c'est dans le Dictionnaire de la gourmandise d'Annie Perrier-Robert publié en 2012, que nous trouvons un historique complet du gâteau lui-même mais aussi de ses recettes :
On s'accorde à penser que le baba a vu le jour au XVIIIe siècle, à Lunéville (Meurthe-et-Moselle), à la cour du roi de Pologne exilé, Stanislas Leszczyński (1677-1766), grand-duc de Lorraine et de Bar - "prince fort gourmand vers la fin de ses jours, et qui n'étoit point étranger à la pratique de la cuisine" précise Grimod de La Reynière, en 1808.
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Antoine Carême, qui excella, dit-on, dans la confection des babas, indique que, selon la comtesse Kisseleff, née comtesse Potocka et parente des Leszczyński, "le véritable baba polonais devait se faire avec de la farine de seigle et du vin de Hongrie". Il précise aussi qu'il était servi " avec du vin de Málaga sucré avec une sixième partie d'eau distillée de Tanésie [Tanaisie]", présenté en saucière.
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D'autres pâtissiers parisiens intégrèrent le baba à leur production et excellèrent dans sa fabrication, tel le célèbre Rouget. [...] Tout au long du XIXe siècle, le babab au rhum fut à la mode. Au début du XXe siècle, cette pâtisserie fit partie des recettes qui, pour être très populaires, furent mises en chansons par la revue hebdomadaire "Paris qui chante" :
Petit baba, gâteau des jours de fête,
Voici comment on te fabriquera :
Pour trois cents gramm' de farine on apprête
Cinq gramm' de l'vur' qu'un peu d'eau délay'ra...
Petit baba, petit baba !...
[...]
Quand il s'ra cuit, il faudra qu'on l'arrose
De sirop d'sucr', puis on le parfum'ra...
Avec du rhum et vanille à p'tit' dose
Et les enfants, lorsqu'on leur servira
Le p'tit baba
En s'ront babas !...
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Recette.
A lépoque de Grimod de La Reynière, "le safran et les raisins de Corinthe sont les principaux assaisonnements du baba, mais peu de cuisiniers savent bien le faire. [...] Sans s'éloigner des traditions de la cour de Lunéville, Carême incorpore à la pâte des raisins de Corinthe, des raisins de Málaga, ainsi que des petits filets de cédrat confit et d'angélique confite ; il la parfume au safran et au vin de Málaga. [...] En 1839, Maurice Cousin de Courchamps en donne aussi une recette avec raisons de Corinthe, raisins muscats de Málaga, Cédrat confit, angélique confite et safran ; pour trois livres de farine, il emploie 22 œufs et deux livres de beurre (DGCF, éd. originale). Quelques décennies plus tard, selon Pierre Quentin, la pâte à baba ne se différencie de la pâte à brioche que par une plus grande quantité de levure et par l'emploi de lait et de crème au lieu d'eau (PCV). De fait, la pâte à baba se prépare comme la pâte à brioche. Enrichie de raisins de Corinthe et raisins de Málaga épépinés, elle est souvent rendue molle à souhait par l'ajout de malaga, de madère, de porto ou de xérès, car elle doit être souple plus que la brioche. Le gâteau est cuit dans un moule spécifique ; s'il comporte du safran, quand il est convenablement cuit, il doit être rougeâtre. La même pâte, sans raisins, est cuite dans un moule à couronne et donne la savarin. Le sirop au rhum (ou au kirsch) utilisé pour les babas est souvent le même que celui employé pour arroser les savarins.
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A noter également que plusieurs ouvrages gastronomiques du XIXème siècle mentionnent le baba : Pâtissier royal de Marie-Antoine Carême, le Grand dictionnaire de cuisine d'Alexandre Dumas, l'Almanach des gourmands de Grimod de La Reynière. Vous pouvez lire ces extraits en ligne sur Google Livres.
En littérature
Dans son article On a bien mamangé" : Le "baba au rhum" doubrovskien vs les "Petites Madeleines" proustiennes, Guillaume Chabat aborde le projet littéraire de Doubrovsky pour qui il fallait "...digérer à la fois la langue maternelle et le roman proustien..." Doubrovsky vient à bout de ce projet avec la rédaction au long cours de son livre Le Monstre paru en 2014. L'article explique en quoi Doubrovsky, inventeur de l'autofiction, assimile le bonheur de manger entrées, plats, desserts préparés par sa mère, à la nécessité d'un remplissage qui devient si envahissant qu'il faut les digérer pour s'en libérer. G. Chabat évoque le caractère sexualisé du baba, l'interdiction de pénétrer un lieu comme l'est celui de la caverne d'Ali Baba :
3. Le remplissement
Le premier moment est celui du remplissement : « non je suis plein plus faim » répond le narrateur à sa mère qui voudrait lui refourguer encore quelques cerises. Mais la faim est à présent comblée. Pas seulement la faim d'ailleurs, le désir aussi : « me remplit je me dilate » écrit Doubrovsky. Tous les vides existentiels sont ‘bouchés' par les ‘bouchées' de nourriture comme par les ‘bouffées' de rires maternels. On lit encore un peu plus loin : « Quand je bouffe chez ma mère. Me remplit. Suis plein » (Doubrovsky S. 2014 : 670). C'est la plénitude d'être d'un jeune homme heureux de retrouver sa mère après avoir passé plusieurs mois loin d'elle. Heureux de pousser la poussette dans les allées du marché avec elle, heureux d'être nourri, regardé, cajolé par elle comme aux plus belles années de son enfance, avant-guerre.
Plus encore, au sens où cette joie, cette plénitude existentielle est sans doute plus archaïque encore. « [B]aba bien descendu » : il semblerait qu'on ait affaire à une ‘ descente ' plus profonde, plus organique. Retour aux premiers temps de la vie dans le ‘jardin' d'Éden. Régression au stade oral, au b.a.-ba du plaisir : le contentement premier du bébé (agrippé) au sein de la mère nourricière...
Pour s'en convaincre, il faut effectivement souligner ici la force de signification de ce ‘baba' qui ouvre le fragment et pour lequel le narrateur s'est ‘réservé' – « j'ai eu assez me réserve pour le baba » (ibid. : 659) – comme d'autres ont souligné, à commencer par Doubrovsky lui-même, la force de signification des « Petites Madeleines » offertes par la mère également au narrateur d'À la recherche du temps perdu. La comparaison se justifie d'autant plus que Doubrovsky écrit Le Monstre exactement au même moment que son essai sur la madeleine de Proust : La Place de la madeleine. Écriture et fantasme chez Proust (1974). Un magistral essai, à notre avis trop peu connu, dans lequel Doubrovsky a montré que ce « plaisir délicieux » ou mieux encore « cette puissante joie » (Proust M. 1988 [1913] : 44) vécue par le narrateur proustien au moment où il met en bouche la cuillerée de thé dans laquelle s'est amolli un morceau de madeleine n'est pas subsumable à la seule réminiscence du Combray de son enfance. Il y a plus. Origine, nom, sonorités, ou encore aspect, avec ces « Petites Madeleines », c'est le désir inconscient lui-même qui s'offre à la dégustation selon le critique. Or il en est de même avec le « baba », riche des mêmes connotations imaginaires. Connotations culturelles d'abord de ces gâteaux qui ont la même origine que la mère : alsacienne pour la madeleine, polonaise pour le baba ; leur nom aussi est significatif : un prénom féminin d'un côté, Madeleine, un substantif de l'autre, qui, au féminin – « une baba » – signifie une « femme russe de condition modeste » ; le signifiant parle également : la première syllabe de « ma-deleine » l'apparente à « ma-man » comme le redoublement syllabique de « ba-ba ». C'est enfin l'aspect de ces gâteaux qui corrobore l'interprétation. Moins l'aspect réel de ces ‘Petites Madeleines' que la manière dont Proust les décrit : « ‘petits gâteaux courts et dodus qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille Saint-Jacques [...] si grassement sensuel[le] sous son plissage'. Pas un mot, relève Philippe Lejeune, qui ne renvoie à l'image d'un sexe féminin » (Lejeune P. 1971 : 123). Quant à l'aspect du baba, la semblance est telle qu'elle s'est imposée, au-delà des imaginaires individuels, jusque dans notre langue ou plutôt notre argot commun : ce savarin en forme de petite couronne, avec son trou au milieu imbibé de rhum, renvoie bel et bien, lui aussi, au « baba » de maman, lieu originaire de tous les fantasmes.
En deçà du plaisir conscient de revivre les saveurs de son enfance, manger le baba comme manger la madeleine, croquer dedans, pénétrer sa chair, c'est inconsciemment pénétrer le lieu interdit ; c'est percer le secret inviolable ; connaître le sésame qui ouvre la caverne d'Ali baba ! Une caverne dans laquelle le sujet prend symboliquement la place du « baba », autrement dit la place du père, et rejoint par-là même imaginairement son « essence » (Proust M. 1988 [1913] : 44) c'est-à-dire la plénitude de son avant naissance dans l'enveloppement du cocon maternel...
Source : Guillaume Chabat « ‘On a bien MAMANGÉ'. Le ‘baba au rhum' doubrovskien vs les ‘Petites Madeleines' proustiennes », in Beatrice Barbalato (dir.), Autobiographie, convivium, nourriture-Frankenstein, vampirisme, in Mnemosyne o la costruzione del senso, n. 13, PUL- Presses universitaires de Louvain, 2020
Nous avons également trouvé mention du baba au rhum dans :
- Dans Oeuvres complètes de Diderot : Correspondance, pt. 2: Lettres a Mlle. Volland ; Lettres a l'Abbé Le Monnier, Diderot évoque le baba dans une lettre à Sophie Volland en 1767. Extrait consultable su Google Livres.
- L'Orme du mail d'Anatole France, 1897, et accessible su Google Livres : "puis s'arrêtant à l'endroit où sont dressés ces sortes de gâteaux qu'on m'a dit se nommer éclairs et babas, il touche du bout du doigt une de ces pâtisseries, puis une autre, et il fait envelopper ces bagatelles de bouche dans une feuille de papier."
- chez Proust, dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1921, "D'autres marchands s'approchèrent, elle remplit mes poches de tout ce qu'ils avaient, de paquets tout ficelés, de plaisirs, de babas et de sucres d'orge", aussi en consultation sur Google Livres,
- La Pharisienne de François Mauriac, 1941, consultable sur Google livres
- La petite copiste de Diderot de Danielle Digne, 2013 où il est dit que "cette friandise aurait été conçue pour Marie Leczinska, l'épouse du roi." Lire l'extrait sur Google Livres.
- Dans l'ouvrage de Maurice Mourier Dans la maison qui recule, 2015, un auteur vraisemblablement imaginaire, Ange Luridany, a écrit Le baba au rhum. L'extrait est consultable sur Google livres.
- Il existe un roman publié en 2016, intitulé Baba au rhum de Philippe Lamon :
Baba au rhum est une friandise qui saura amuser les nostalgiques de la musique des années 1980 et les amateurs de vedettes sur le retour. L'auteur offre un ouvrage un peu barré, plein d'idées décalées voire délirantes propres à faire rire ou à rappeler quelques vieux souvenirs insolites. Source : Fattorius
Bonne journée.