Question d'origine :
Georges Remi, dit Hergé, le créateur de Tintin, s’est marié deux fois : il a divorcé en 1960, et s’est remarié en 1977 avec Fanny Vlamynck, qui travaillait comme coloriste dans ses studios. En 1983, Hergé meurt, sans enfants. Pourquoi ? Choix ? Infertilité ? Vie asexuelle ? A-t-il écrit sur son désir d'enfant ?
Merci
Réponse du Guichet
Hergé, très pudique, n'a jamais parlé de cette absence d'enfant, même à ses proches. Il était en réalité stérile suite à un traitement aux rayons pour soigner des démangeaisons. S'il a souhaité adopter à plusieurs reprises (notamment ses neveux et nièces), cela n'a jamais abouti. Il n'était, de fait, pas très à l'aise en compagnie d'enfants voire les rejetait parfois.
Bonjour,
Fanny Rodwell, la seconde épouse de Georges Rémi, apporte une réponse pudique à votre question dans une entrevue accordée à Benjamin Locoge pour Paris Match Belgique :
Pourquoi n'avez-vous pas eu d'enfants avec Hergé ?
Nous n'avons pas réussi, voilà tout. C'était un grand regret pour lui comme pour moi. Mais nous aurions été très heureux avec un enfant. La vie en a voulu autrement, et les beaux souvenirs sont là.
source : HERGÉ AU PAYS DES MUSÉES / Paris Match Belgique - jeudi 29 septembre 2016
C'est dans l'ouvrage de Pierre Assouline intitulé Hergé : biographie qu'on trouve une réponse plus précise, détaillant sans ménagement les rapports qu'Hergé entretenait avec les enfants (pages 364-366) :
Ses amis ne savent pas tout de lui. Chacun détient une parcelle de sa vérité. Non qu'il ait cloisonné ses relations. Mais il n'est pas homme à se livrer. Rare sont ceux qui se souviennent l'avoir vu s'épancher. S'il est quelques sujets tabous qu'il vaut mieux ne pas aborder en sa présence (son mystérieux grand-père, les dernières années de sa mère), il en est un qu'aucun de ses proches n'ose évoquer sans y être contraint : les enfants.
Il n'est pourtant pas inutile ni inepte de s'interroger sur les relations qu'il entretient avec ses premiers lecteurs. Ceux auxquels son œuvre est, en principe, prioritairement destinée.
Officiellement, il les aime. Il les place même très haut. Sa correspondance en témoigne. Dans l'esprit du plus grand nombre, qui dit "enfants" dit "Hergé". A la fois expert technique et caution morale. L'image de son héros s'est superposée à la sienne, jusqu'à s'y substituer parfois. [...]
Pourtant les collaborateurs des Studios sont bien placés pour savoir qu'il refuse systématiquement les visites d'école. Ou qu'il lui arrive de rembarrer sèchement des gamins venus le saluer. Ou pis encore. Ainsi, un jour qu'il était particulièrement incommodé par des bruits d'enfants retardés, jouant dans la cour d'une école spécialisée juste derrière les Studios, il se rendit au poste de police pour porter plainte afin de faire déménager ces nuisibles... Il est vrai que dans un cas comme dans l'autre, ce sont les enfants des autres. [...]
Au début des années cinquante, jugeant irresponsable l'attitude de son frère Paul dans sa vie familiale, Hergé propose d'adopter officiellement ses deux jeunes enfants. Il pourvoirait ainsi à l'éducation équilibrée qui leur faisait défaut selon lui. Mais leur mère refuse. [...]
La seule chose qu'Hergé n'ait pas réussi à créer, c'est une famille qui ne soit pas de papier. Quand d'aventure des gamins gravitaient dans son entourage proche, il les envoyait jouer plus loin au bout de dix minutes. Le fait est qu'Hergé, deux fois marié, n'a jamais eu d'enfants. Tant Germaine que Fanny auraient bien aimé en avoir, à un moment ou à un autre. Pour la première comme pour la seconde Mme Georges Rémi, rien ne s'y opposait.
Rien si ce n'est qu'Hergé était stérile. Cette incapacité, non pas génétique mais accidentelle, est due aux effets secondaires d'une intervention bénigne : des rayons pour soigner des démangeaisons...
C'était son secret. S'il en a souffert, ce ne fut jamais au point d'aller consulter un médecin et de suivre un traitement. Il semble s'être vite fait une raison. Jamais il n'en parle. A personne. Même dans la plus stricte intimité, il évite le sujet. D'ailleurs, dans ces moments-là, la question ne passe pas. [témoignages de Germaine Kieckens et Fanny Rodwell à l'auteur]
Ce serait pourtant une clé fort utile à tous ceux qui se passionnent pour les sources de cette œuvre qui part du monde de l'enfance pour y retourner. A l'examen, elle permettrait peut-être de mieux comprendre ce que nombre de ses proches murmurent sans trop oser l'avouer tant cela leur paraît incongru. A savoir que le père de Tintin n'aime pas les enfants. Que cela remonte à sa propre enfance quand il prit très mal la naissance de ce petit frère vite fêté comme un héros par leurs parents, ou que ce soit plus récent, le fait est qu'il ne supporte pas leur compagnie. Par maladresse ou manque d'expérience, il ignore comment s'y prendre avec eux.
Ceux qui en sont convaincus sont souvent les mêmes qui ont entendu parler d'un incident peu à l'honneur de cet homme de qualité. A la fin des années quarante, alors que la crise déchirant leur couple semblait marquer une pause, Georges accéda à une demande insistante de Germaine. Ils adoptèrent un enfant, orphelin de 7 ou 8 ans venu d'un pays lointain. Mais au bout de quinze jours, comme il ne supportait pas cette nouvelle présence et les bouleversements qu'elle apportait dans sa vie quotidienne, il le rendit...
Ce jour-là, Totor C.P. des hannetons, Quick et Flupke, Tintin et le petit Tchang ne devaient pas être très fiers de leur papa. Il lui manquera toujours d'avoir reçu le sourire non de ses créatures mais de ses propres enfants.
Cette dernière révélation a soulevé l'ire de la famille Rémi à la sortie de son ouvrage. Pierre Assouline s'est défendu :
Denise et Georges Rémi, les neveux d'Hergé, mais aussi sa seconde femme, Fanny, ont vivement contesté cette histoire et déploré que Pierre Assouline la maintienne dans la réédition en poche de son livre, en 1998. Assouline ne cache pas son irritation : « On me casse les pieds depuis des années avec cette histoire qui fait 10 lignes dans un livre de 800 pages ! Mais je maintiens cette version de l'adoption. Ma source, qui parlait alors off the record, n'est plus de ce monde. Je peux aujourd'hui révéler son nom : il s'agit de Germaine, qui m'avait avoué la stérilité d'Hergé. Quand j'ai parlé d'adoption, elle m'avait raconté, très gênée, cette tentative malheureuse. »
source : Pierre Assouline, un biographe modèle... / Peras Delphine - L'Express, no. 3011 - jeudi 19 mars 2009, p. 106
Dans cet autre article de L'Express intitulé La vérité sur Hergé, Pierre Assouline explique également sur quelles sources il s'est appuyé pour rédiger son ouvrage :
Les proches du dessinateur sont aujourd'hui convaincus qu'une vérité même cruelle est préférable aux incessantes rumeurs qui couraient depuis des années. Tout plutôt que l'insinuation ! Ils m'ont donc donné accès aux dossiers et aux milliers de lettres - jusqu'à présent confidentiels - de la fondation Hergé. Seule Germaine, la première femme d'Hergé, refusait d'ouvrir ses archives personnelles. Quand elle est décédée, en octobre 1995, son héritier a bien voulu me montrer ces précieux documents. Enfin, par un vrai coup de chance, quelques semaines seulement avant de terminer ce travail, le ministère belge de la Justice m'a accordé l'autorisation exceptionnelle de consulter, sous le contrôle d'un avocat, le dossier judiciaire d'Hergé constitué lors de l'épuration. Personne avant n'avait pu en prendre connaissance. Voilà, outre la centaine d'interviews que j'ai réalisées, mes principales sources.
Benoît Peeters, dans Hergé, fils de Tintin précise (page 296) :
" Ni Germaine ni lui n’ont l’habitude d’en parler. Mais ils savent depuis longtemps qu’ils ne peuvent pas avoir d’enfants. Hergé serait devenu stérile de manière accidentelle, après un traitement aux rayons pour soigner des démangeaisons. S’il a parfois été question d’adopter un enfant, c’est resté un projet vague et sans lendemain. Hergé a un tel besoin de calme qu’il n’est pas sûr qu’il supporterait la présence quotidienne d’un enfant. Quand sa nièce Denise est à la maison, il manifeste rapidement son impatience. Comme bien d’autres, cette question de l’enfant va rester sans réponse.
Bonne journée.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Quelle est l'implication parentale dans le choix d'orientation...