Je cherche des témoignages de personnes dont un proche a disparu
Question d'origine :
Bonjour,
Je cherche des témoignages de personnes dont un proche a disparu et qui n'a jamais réapparu (podcasts, récits, articles).
Je voudrais notamment comprendre comment le processus de deuil s'opère sans la certitude que la personne est décédée.
Merci d'avance!
Karine
Réponse du Guichet
Nous vous proposons ici quelques pistes à creuser pour trouver des témoignages de proches d'une personne disparue. Puis, au travers de quelques extraits et/ou lectures plus approfondies, une trame se dessinera peut-être afin de retrouver l'apaisement.
Bonjour,
Vous cherchez des témoignages de personnes dont un proche a disparu et dans l'incertitude de son décès, vous souhaitez savoir comment peut s'opérer le processus de deuil.
Sur la recherche de témoignages, il existe des émissions télévisées, radiophoniques ou podcastées qui enquêtent sur des disparus volontaires amenés parfois à témoigner : Disparus volontaires : pourquoi ont-ils fait ce choix ?, France 2 et Youtube - Complément d'enquête. Disparitions : comment j'ai quitté les miens, Youtube - Disparition volontaire : elle a décidé de quitter ses proches !, Youtube - Disparaître sans laisser d'adresse, France Inter. Mais ce ne sont pas des recherches de témoignages.
D'autre part, si cette personne était une personnalité locale, il se pourrait que des articles soient parus dans les journaux régionaux. Si des auteurs ou des conteurs vivent dans la région, il n'est pas impossible qu'ils aient connaissance de récits à rapporter. Il en est de même pour les podcasts. C'est auprès de podcasteurs et radios locales, s'il en existe, que vous pourriez récolter des paroles de la famille et d'ami·es de la personne disparue. S'il s'agit d'un homme ou d'une femme plus discret·e, nous ne voyons pas d'autres moyens que de réunir ses proches pour échanger des souvenirs, ce qui est bénéfique par ailleurs pour entamer le processus de deuil.
Pour tout individu, le deuil est un passage douloureux et difficile. Ce travail est pourtant inévitable pour celles et ceux qui restent même s'il n'y a aucune certitude quant à la mort, même en l'absence du corps du présumé défunt dont on ne sait s'il est volontairement disparu. Dans son article Voir ou ne pas voir le corps du défunt, Marie-Frédérique Bacqué explique que
sur le plan psychologique, la mort est d’abord une véritable bascule affective. La rupture du lien est vécue comme un déchirement, l’amour porté au défunt est totalement remis en cause. Le sujet en deuil croit devenir fou devant l’ensemble des conséquences de la séparation. La mort reste une énigme qui ouvre un abîme devant la faiblesse et la précarité de la vie et des liens d’attachement.
Elle écrit également, "voir le mort s'est s'assurer de la réalité de la mort" et "l'approche physique du défunt permet la séparation".
... la veillée funèbre était l’occasion pour tous de revoir le défunt et de se revoir, revoir ensemble le défunt (Bacqué, 2003). Ce regard sur les autres regardant le mort est une forme de communion autour de la mort. Témoignage et identification permettent de se rassurer ensemble : nous sommes encore là. L’effroi peut être partagé.
Source : Bacqué, Marie-Frédérique. « Voir ou ne pas voir le corps du défunt », Jusqu’à la mort accompagner la vie, vol. 121, no. 2, 2015, pp. 73-82.
Cependant ces avis ne sont pas partagés par toutes et tous notamment lorsqu'il s'agit d'un deuil dû à une mort traumatique. Lire à ce propos, si vous lisez l'anglais, l'article Viewing the body after bereavement due to a traumatic death: qualitative study in the UK, publié sur le site de BMJ, revue médicale britannique. En conclusion nous lisons que "même après une mort traumatisante, les proches devraient avoir la possibilité de voir le corps". Mais cela doit être soumis "aux besoins et aux préférences des personnes endeuillées par une mort traumatique."
Il n'y a donc pas de vérité absolue en matière de processus de deuil. La nécessité de voir le corps mort d'une personne disparue est propre à chacun·e, en fonction de sa sensibilité.
Sur le processus de deuil lui-même, il semble admis qu'il comporte 5 étapes : choc et déni - colère - marchandage - grande tristesse - acceptation. L'ouvrage Sur le chagrin et le deuil: trouver un sens à sa peine à travers les cinq étapes du deuil d'Elisabeth Kübler-Ross et David Kessler, présente ces phases et analyse cette théorie qui rencontre quelques opposants comme on peut le lire dans le résumé de Les stades de deuil n'existent pas :
Premièrement, les états émotionnels liés au deuil sont variables et non spécifiques. Aucun état émotionnel n'est essentiel pour définir le chagrin, sauf un fort désir. Deuxièmement, s'ils apparaissent, ces états affectifs se chevauchent souvent, et peuvent s'atténuer et revenir spontanément dans un ordre différent, réfutant ainsi la notion d'une théorie des étapes.
Mais est-ce un travail de deuil qui est à faire lorsqu'il s'agit d'une personne disparue pas forcément décédée ? Anne-Claire Thérizols dans Partis sans laisser d'adresse..., Science Humaines n°15, 2015, est très claire :
Quant au deuil, c’est une question de désinvestissement. Mais on fait le deuil dans les situations de perte, donc de mort, où le retour n’est pas possible. Dans la disparition, c’est un travail de séparation qu’il faut faire avec toute la difficulté que cela engendre puisqu’il n’y a pas eu de mots.
Enfin, ce qui paraît préférable pour sortir de sa douleur, c'est d'être pro-actif et de ne pas subir la situation. Pour cela, celles et ceux qui restent devront s'ouvrir à leurs émotions pour accueillir des perceptions de mondes plus subtils et créer une relation différente avec la personne disparue. Organiser de plus ou moins grands rituels, des moments commémoratifs, créer un autel, se rendre sur un lieu symboliquement fort... peut aider à atténuer sa culpabilité, à dépasser ses peurs et sa peine, à se reconstruire. Il peut-être bon aussi de se faire accompagner par des professionnels ou rencontrer des personnes traversant les mêmes épreuves.
BIBLIOGRAPHIE (pour aller plus loin)
En ligne
Le deuil de ceux qui restent. le vécu des familles et des soignants, Pillot Janine, Jusqu’à la mort accompagner la vie, vol. 121, no. 2, 2015, pp. 53-64.
Deuil et traumatisme, Christian Mormont, 2007
En bibliothèque ou librairie
Vivre son deuil et croître : faire de tous les moments de sa vie une symphonie / Rosette Poletti, Barbara Dobbs, 2014
Cent réponses aux questions sur le deuil et le chagrin / Nadine Beauthéac-Bouchart, 2010
Comment surmonter son deuil ? / Marie-Edmée Cornille, Christiane Foriat, Michel Hanus..., 2006
Le deuil / Marie-Frédérique Bacqué, Michel Hanus, 2012
Vivre après ta mort : psychologie du deuil / Alain Sauteraud, 2012
Cent réponses aux questions sur le deuil et le chagrin / Nadine Beauthéac-Bouchart, 2010
Dire adieu : petit guide psychologique du deuil / François Louboff, 2010
Beaucoup d'autres livres sont disponibles à la bibliothèque municipale de Lyon sur le sujet du deuil dont voici la bibliographie.
Nous vous souhaitons bon courage surtout si vous traversez cette épreuve. Bonne journée.