Quelle est la différence entre "jouir" et "avoir un orgasme" ?
Question d'origine :
Bonjour !
Quelles différence entre "jouir" et "avoir un orgasme" ?
Merci !
Réponse du Guichet
Depuis les années 2000, c'est officiel, la distinction existe entre jouir et avoir un orgasme. En effet, jusque là, il n'y avait pas d'études sur la sexualité féminine car les recherches étaient issues d'une vision trop androcentrée. Grâce à ces nouvelles approches, l'anatomie du clitoris a pu être découverte et on aborde maintenant le corps et l'esprit humains comme "un territoire érotique à explorer dans sa globalité." (Croset-Calisto)
Bonjour,
Quelle est la différence entre "jouir" et "avoir un orgasme" ?
Poser cette question peut paraître futile mais en réalité il n'en est rien. C'est même tout le contraire car elle ouvre une brèche dans l'imaginaire androcentré du plaisir sexuel et par là, donnant une visibilité à la sexualité féminine, elle revisite la sexualité masculine au prisme des études féministes et interroge l'articulation des genres "avec les rapports de pouvoir et les hiérarchies". Peuvent alors être reconsidérés "les rapports sociaux de sexe et les schèmes sociaux qu'ils induisent". Source : Pour sortir le corps d’un imaginaire androcentré : impasses et stratégies, Hélène Marquié, 2006.
Pour tenter d'apporter une réponse à votre question nous allons commencer par comparer la définition de chacun de ces termes :
Jouir (source Larousse)
verbe transitif indirect - (latin populaire *gaudire, du latin classique gaudere)
1. Tirer un plaisir, un agrément, une satisfaction de la possession ou de la disposition de quelque chose : Jouir de la vie, de sa victoire.
Synonymes : goûter - profiter de - savourer - se délecter - se réjouir de2. Avoir la possession d'un bien, le bénéfice d'un avantage matériel ou moral : Jouir d'une bonne réputation. Ne plus jouir de toutes ses facultés.
Synonymes : avoir - disposer de - posséder3. Présenter telle caractéristique considérée comme avantageuse, favorable : Appartement qui jouit d'une bonne exposition.
Synonyme : bénéficier
verbe intransitifAtteindre l'orgasme.
Orgasme (source Wiktionnaire)
1. (Vieilli) (Médecine) État de gonflement et d’excitation des organes.
- Sa narration me mit dans un si fort orgasme qu'en moins d'une heure il me parut que tous les fluides de mon individu cherchaient une issue pour évacuer la place qu'ils occupaient. — (Giacomo Casanova, Histoire de ma vie, Tome II, La Pléiade, 2015, page 272.)
2. (Sens moderne) (Sexualité) Point culminant du plaisir sexuel.
- La sexualité vécue librement, visant la jouissance et pas seulement la procréation régentée par la loi et le rite, risque, à force d’amour et d’orgasmes, de mener à la conclusion que le paradis d’ici-bas vaut mieux que le paradis promis. — (Kamel Daoud, Kamel Daoud : « L’orgasme n’est pas un complot occidental », Le Monde. Mis en ligne le 20 septembre 2018)
- Son orgasme avait été si fort qu’elle pleurait de joie.
Si nous en croyons ces définitions, "jouir" et "avoir un orgasme" sont deux états similaires ou qui se confondent puisque "jouir c'est atteindre l'orgasme" pour le Larousse et pour le Wiktionnaire, l'orgasme c'est le "point culminant du plaisir sexuel". "Jouir" ce serait donc atteindre le "point culminant du plaisir sexuel," "jouir" ce serait "avoir un orgasme".
Tant que les études sur la sexualité féminine n'ont pas été menées, cette confusion a perduré au moins jusqu'aux années 2000. Dans l'article Simulation, zones érogènes, poly-orgasmes masculins… Dans les coulisses de la jouissance, publié récemment sur le site de Madame Figaro, la sexologue Magali Croset-Calisto explique :
Comme le suggèrent de nombreux chercheurs aujourd'hui, et comme en témoignent la gynécologue Odile Buisson et l'urologue et chirurgien Pierre Foldès (qui ont été à l'origine de la première échographie du clitoris en 3D, en 2009, et ont publié, en 2011, Qui a peur du point G??), la sexualité féminine, contrairement à la sexualité masculine, était un champ d'investigation universitaire et pharmaceutique quasiment vierge jusque-là. C'était même le seul territoire humain inexploré. Les raisons de la méconnaissance de la sexualité féminine vont de l'idéologie à l'économie de marché, mais ce qui m'a intéressée, c'est que d'un point de vue historico-sociologique, le système de domination masculine (étudié notamment par Pierre Bourdieu puis Françoise Héritier) a conditionné les recherches scientifiques en faveur de la santé sexuelle masculine.
Cet article est consultable à distance dans sa totalité pour les abonnés à la BML via Europresse et en bibliothèque.
Le Wiktionnaire apporte une légère nuance : "jouir c'est éprouver un vif plaisir, un orgasme, etc." mais ce n'est pas non plus très clair. De son côté, Magali Croset-Calisto dit qu'il faudrait "libérer la jouissance des problématiques de performance" :
Plutôt que de voir un but dans l'orgasme, pourquoi ne pas profiter du voyage, d'autres expériences et d'autres plaisirs ?? Bien des angoisses pourraient alors disparaître… Chercher l'orgasme à tout prix est le meilleur moyen de ne pas le trouver. Dans nos mentalités occidentales – contrairement à la vision asiatique, par exemple, où l'on cherche moins la performance qu'une forme de reconnexion au corps – ne pas jouir signifie en général ne pas éprouver de plaisir. C'est faux, bien sûr. L'orgasme est, techniquement, le pic du plaisir. Mais il faudrait pouvoir retrouver le temps du plaisir sans performance, soit un plaisir long, avec des phases de stimulations, de caresses, d'amour aussi. On parle peu d'amour quand on parle d'orgasme aujourd'hui – alors que c'est le meilleur booster qui soit, comme le disait déjà Freud. La surprésence du sexe dans ses dictatures, ses performances, ses failles aussi, est devenue la norme actuelle. J'essaie d'insister sur le fait que la vie contemporaine est à réérotiser ; il faut trouver des zones érogènes ailleurs que dans la génitalité et l'orgasme même.
Autrement dit, on peut jouir en se procurant du plaisir par d'autres manières et zones érogènes que celles classiquement admises par la vision androcentrée de la sexualité.
Notre sexologue dit encore :
Il a été établi qu'on pouvait jouir de la nuque, du dos, des seins… Prendre en compte ce potentiel orgasmique global permet de s'extraire des considérations clivantes et dévalorisantes qui ont infantilisé et culpabilisé les femmes durant des siècles, avec ces injonctions à l'orgasme vaginal.
et elle ajoute que pour les hommes "cela va plus loin encore" :
Pendant des millénaires, ils se sont focalisés sur l'orgasme monofocal, centré sur le pénis. Or, il existe d'autres types d'orgasmes, qui engagent le reste du corps – comme les tétons, par exemple, selon de nombreux témoignages. J'ai insisté surtout sur le point P, le point prostatique. La prostate est une zone très sensible et représente un autre mode de jouissance. Tout ceci signifie que l'homme est aussi potentiellement polyorgasmique. On assiste ici à une véritable révolution des comportements et des mentalités. Mais cela présuppose d'avoir déconstruit certaines représentations de genre. Tout le monde n'est pas forcément à l'aise avec le point P, et cela peut se comprendre… Une nouvelle cartographie du plaisir masculin se dessine, mais il faudrait davantage de publications en la matière.
Dans son article pour Psychologies, Jouir avec ou sans orgasme, Flavia Accorsi écrit :
Défini comme le point culminant du plaisir, l’orgasme est toujours considéré comme l’aboutissement incontournable de l’échange. Pourtant, et les sexologues sont unanimes, il y a danger à en faire la seule finalité. Car s’il ne peut y avoir jouissance complète sans orgasme, l’orgasme seul ne garantit pas la qualité et l’intensité d’une relation sexuelle.
Paradoxale et complexe, la jouissance ne saurait être réduite à une simple équation. Vaste et puissante, elle dépasse les limites du plaisir sexuel. C’est l’être tout entier qu’elle englobe, ses sens, son imaginaire, son affect.
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Si on peut compter les orgasmes ou comparer leur intensité, la jouissance, elle, est plus subjective. Elle parle d’abandon, d’émotions, de capacité à se laisser aller à l’autre, à ses fantasmes et à ses sens. La magie de la jouissance réside, pour les hommes comme pour les femmes, dans l’incessante fluctuation entre désir et plaisir. Dans cet échange intime, à l’alchimie mouvante et complexe, un geste, un mot ou un regard ont le pouvoir de relancer le désir au cœur même du plaisir. « Lorsque mon amant me lèche le ventre, ça peut être beaucoup plus fort qu’un orgasme génital, dit Anna, 37 ans. Je peux jouir de mille façons. Avec ou sans orgasmes. L’essentiel est que je me sente touchée dans ce que j’ai de plus intime. »
...
S’il est vrai que les seuls sentiments ne suffisent pas à intensifier l’échange, lorsque sensualité, imaginaire érotique et affects sont réunis, le plaisir peut atteindre une autre dimension. Il n’est plus réduit à un réflexe mécanique, il peut devenir une expérience qui dépasse les limites corporelles. Cette plénitude dans la jouissance, Gérard Leleu n’hésite pas à la qualifier de « transcendante », au sens premier du terme : « Quand le plaisir s’inscrit dans une relation de partage et d’amour, de connaissance de soi et de l’autre, c’est l’être tout entier qui décolle. D’abord parce que, physiologiquement, on baigne dans un flot d’endomorphines, des molécules euphorisantes, et psychiquement, parce qu’on se sent vraiment en communion avec son partenaire. »
Il y a donc bien une différence entre "jouir" et "avoir un orgasme" et plusieurs combinaisons sont possibles. On peut jouir sans avoir d'orgasme, avoir un orgasme sans jouir, jouir et avoir un orgasme et cela pour les femmes comme pour les hommes. L'article Tout savoir sur la jouissance et l’orgasme chez l'homme de Santé magazine nous éclaire sur l'éjaculation, l'orgasme et la jouissance masculine :
Selon Samuel Salama, médecin gynécologue et sexologue, il faut distinguer les aspects mécaniques de la jouissance de l’homme et l’orgasme, qui est lié aux sentiments et aux sensations. Voici ses explications :
- l’éjaculation, c’est l’émission de sperme grâce aux testicules à la vésicule biliaire à la prostate ;
- l’orgasme, c’est la contraction de muscles du plancher pelvien (comme chez les femmes) qui va jouer un rôle sur l’éjaculation, mais aussi entrainer une sensation de plaisir ;
- la jouissance, c’est la perception de ce plaisir plus ou moins intense en fonction de l’excitation et du contexte.
Si vous le souhaitez, vous pourrez retrouver et approfondir ces sujets en lisant le livre de Magali Croset-Calisto, Les révolutions de l'orgasme paru en mai de cette année.
Il existe également des émissions radiophoniques :
Vivre sans sexualité, en 4 volets, où contrairement à ce que peut faire croire le titre, il est uniquement question de sexualité, sur France Culture
Jouir, Re-jouir, se Réjouir avec Maïa Mazaurette, sur France Inter
Plusieurs podcasts abordent aussi toutes ces thématiques :
Un podcast à soi : Sexualité des femmes, la révolution du plaisir
Les couilles sur la table : Tout sur la bite - Les orgasmes masculins - Il n'y a pas de crise de la masculinité
D'autres ouvrages sont disponibles en bibliothèque et en librairies pour continuer à creuser :
Les deux extases sexuelles : la jouissance et l'orgasme / Jean-Claude Piquard, 2006
Aujourd'hui, trente-cinq ans après la révolution sexuelle, le sexe se vit plus librement et les tabous ont reculé, mais les mots pour en parler ne reflètent pas cette évolution. La sexualité s'affiche partout sans pudeur : dans la publicité, les médias et le cinéma. L'image est aguicheuse, mais malheureusement peu bavarde. L'ignorance et les croyances erronées règnent encore en maîtres dans les alcôves. L'auteur revisite les connaissances sur la sexualité et explore des avenues connues depuis longtemps mais occultées, par exemple les ressemblances entre l'orgasme féminin et masculin, la différence entre l'orgasme et la jouissance et comment ces extases sont ressenties chez la femme et chez l'homme. Il dresse avec un grand respect de l'intimité, mais de façon très explicite, un portrait complet et actuel de la sexualité, vous invitant à faire le point sur votre situation et à poursuivre votre quête d'épanouissement en ayant enfin des mots pour dire votre expérience. Grâce à ce livre, le plaisir n'est plus singulier mais pluriel.
Le jardin des caresses / Gérard Leleu, 2000
Ce livre agrémenté d’aquarelles est un authentique hymne à la sensualité susceptible d’aider les couples à améliorer leur vie sexuelle.
Le traité des orgasmes / Gérard Leleu, 2007
Toutes les femmes peuvent atteindre l'orgasme, ou plutôt les orgasmes. Vous aussi ! Le Traité des orgasmes vous dit tout ce qu'il faut savoir pour atteindre le 7e ciel, seule ou avec votre partenaire ! Gérard Leleu vous invite à un voluptueux voyage où vous allez apprendre à stimuler votre point G, explorer les points P et N (dont vous ne soupçonniez pas même l'existence), tirer le meilleur parti des sex-toys et découvrir les meilleures positions du plaisir... De leur côté, les hommes en sauront enfin plus sur les mystères des orgasmes au féminin. Sans jamais choquer ni heurter, le Dr Gérard Leleu, qui est aussi poète, vous adresse un véritable hymne à l'amour et au plaisir, avec une grande délicatesse. Car l'amour et les orgasmes sont tout sauf mécaniques !
Le guide Tabou du point P et du plaisir prostatique / Charlie Glickman, Aislinn Emirzian, 2013
Voici un ouvrage révolutionnaire pour le plaisir masculin ! Brisant les tabous qui entourent le plaisir prostatique, il offre des bases solides permettant à tous ceux et toutes celles qui s'intéressent au plaisir des hommes, de situer le fameux "point P" (équivalent, chez l'homme, du "point G" féminin), d'en comprendre le fonctionnement et d'explorer différentes pistes permettant de découvrir de nouveaux plaisirs et d'accéder à l'orgasme intégral. Le rôle de la prostate dans l'orgasme masculin. Une pratique étonnante pour pimenter sa vie sexuelle. Conseils utiles sur l'hygiène et les jeux préliminaires. Aborder le sujet avec un partenaire réticent. Techniques pour jouer en solo ou accompagné. Expériences corporelles et émotionnelles inédites. Si vous souhaitez en savoir plus sur le plaisir des hommes, Tabou a édité deux guides exceptionnels : "Le guide Tabou du plaisir anal pour lui" et "Le guide Tabou de la fellation réussie"
Jouir : en quête de l'orgasme féminin / Sarah Barmak, 2019
Cet essai porte sur la sexualité et l'orgasme féminins dans la société actuelle où l'approche androcentrée du plaisir sexuel est dominante. A partir de témoignages, de reportages et de recherches scientifiques, l'auteure s'interroge sur la jouissance chez les femmes et leurs possibilités de redéfinir leur sexualité. Source Electre
Osez l'orgasme prostatique / Pierre Des Esseintes, 2021
La prostate, ce mystérieux organe interne masculin, bien cachée aux regards, entre vessie et testicules, est une source de plaisirs intenses et encore méconnus ! Une fois dépassés les tabous entourant la façon de l'atteindre, l'orgasme prostatique est considéré comme la jouissance masculine ultime : "la stimulation prostatique procure des sensations diffuses, qui ne se limitent pas à la zone génitale. C'est comme si l'orgasme irradiait tout le corps." Pour parvenir à cet état, il vous faudra avant tout lâcher prise, et suivre pas à pas les conseils très concrets et illustrés prodigués par ce guide. Source éditeur
Au-delà de la pénétration / Martin Page, 2020
Un essai autour de la pénétration, dans lequel l'écrivain considère la sexualité comme un élément de l'imagination humaine, de sa culture, de ses arts et de sa politique. Il aborde les difficultés ou les peurs des individus face à la norme sociale et interroge les pratiques dominantes. Une seconde partie rassemble des témoignages de femmes et d'hommes sur leur perception de la pénétration. Source Electre
Bonne journée.