Quel est le paysage éditorial du Royaume-Uni ?
Question d'origine :
Bonjour,
J'aimerai connaître le paysage éditorial du Royaume-Uni, en particulier celui de Londres. Quelles sont par exemple les manifestations littéraires importantes? Les librairies et maison d'édition majeure?
Merci
Réponse du Guichet
Le Royaume-Uni a fait le pari inverse de l'exception culturelle française, en supprimant son dispositif sur le prix unique du livre, en 1995. Au risque de nuire à la diversité littéraire ?
Bonjour,
Si l’on veut bien appréhender les enjeux de l’économie du livre au Royaume-Uni, il nous semble important de pointer une différence notable avec notre pays.
La France, en effet, présente un modèle très spécifique de politique culturelle, que l’on qualifie souvent et à juste titre d’«exception culturelle». Il prévaut que la culture n’est pas une marchandise comme une autre et ne peut donc pas être soumise à la loi du marché. Plusieurs garde-fous encadrent cette volonté politique dont le plus connu est sans conteste la loi sur le prix unique du livre, promulguée le 10 août 1981. Depuis cette date, le prix du livre est fixé par l’éditeur et sera, en conséquence, vendu partout au même prix, quel que soit le détaillant. Cela a pour effet vertueux d’avoir maintenu un réseau plutôt dense de librairies indépendantes sur le territoire français et par là même de garantir une diversité d’offre dans la production littéraire.
Traversons maintenant la Manche (les données qui vont suivre sont issues, lorsqu'il n'y a pas de mention contraire, du rapport du Bureau International de l’Édition Française, daté de 2021) pour examiner la situation dans un pays qui a fait le choix inverse de la France. Car, le Royaume-Uni a eu, lui aussi, pendant très longtemps un dispositif qui permettait à l’éditeur de fixer le prix du livre et ainsi de réguler le marché. Mais le Net Book Agreement a pris fin, en 1995, sous les pressions répétées des grandes chaînes de librairie.
Les conséquences ne se firent pas attendre puisque de nombreuses librairies indépendantes durent mettre la clé sous la porte, face à la concurrence des grandes surfaces et des chaînes, qui pouvaient, désormais, vendre les livres à prix très réduits. Vous vous rappelez peut-être la mignonne petite librairie tenue par Hugh Grant dans Coup de foudre à Notting Hill ? Eh bien, à l’instar de nombre de ses consœurs, elle n’a pas survécu à la crise des librairies britanniques (lire l'article dans L'Express). On estime qu’en 1995, 2000 librairies indépendantes assuraient 28% des ventes totales (lire l'article de La Tribune). Elles étaient moins de 1000 et réalisaient moins de 5% des ventes, en 2016 (en 2020, l’Association des librairies évalue leur nombre à 967 sur un total de 4747 points de vente). Certes, le numérique et la vente en ligne ont également profondément transformé les pratiques des consommateurs.
Le marché est donc désormais dominé par de grandes chaînes, au premier rang desquelles, Waterstones, qui avec ses 283 points de vente ne pèse pas moins de 25% du marché. Foyle’s, (quatre points de vente à Londres et trois autres à Birmingham, Bristol et Chelmsford) qui était l'une des librairies indépendantes les plus connues a été rachetée en 2018 par Waterstones. On peut également citer WHSmith et ses 607 points de vente. Entre 1993 et 1999, WHSmith et Waterstones ont triplé la surface moyenne de leurs magasins (La Tribune).
Profitons d’une pause pour vous conseiller la lecture d’un roman, particulièrement éclairante pour comprendre les enjeux de la politique libérale initiée au Royaume-Uni par Margaret Thatcher et doctement poursuivie par ses disciples dans les années 1990 : l’incisif et désormais classique Testament à l’anglaise de Jonathan Coe. Le fossoyeur en chef du Net Book Agreement, Bryan Carsberg, ne fut-il pas un agent zélé des politiques de privatisation sous le gouvernement Thatcher, comme le rappelle à juste titre le Guardian ?
La concentration des librairies s’accompagne d’une polarisation des maisons d’édition. Le paysage se compose ainsi : d’une part, un nombre restreint de grands groupes, parmi lesquels le big four (Penguin Random House, Hachette Livre UK, Harper Collins, Pan MacMillan), qui emploient des centaines voire des milliers de personnes et, d’autre part, un nombre très élevé de petites maisons, dont les effectifs sont souvent composés de moins de cinq personnes. Ce manque de diversité (Penguin Random House représente à lui seul 25% du marché), a vu naître en réaction le phénomène des «imprints». Chaque groupe s’est ainsi à mis à créer des filiales, censées donner plus de liberté aux éditeurs et à la production littéraire. Penguin Random House possède 200 imprints.
Dans ce contexte, comme grande maison d’édition indépendante, équivalente plus ou moins de Gallimard chez nous, nous pouvons citer Bloomsbury, dont la pérennité financière doit beaucoup au petit sorcier créé par JK Rowling.
A l’instar de la France, la vie éditoriale est fortement centralisée à Londres. Même si les choses changent depuis quelques temps. Notamment parce que les travailleurs de l’édition n’ont plus les moyens de se loger à Londres. Il faut, par ailleurs, souligner l’importance de la capitale écossaise, Édimbourg, surnommée la troisième ville littéraire du pays après Londres et Oxford, et qui accueille, chaque année, le plus important festival littéraire du Royaume-Uni, le Edinburgh International Book Festival. Citons également parmi les festivals majeurs, l’incontournable foire de Londres.
Nous conclurons enfin sur trois spécificités britanniques :
Les traductions occupent une place marginale dans le marché de l'édition. Du fait de l’hégémonie de la langue anglaise et de la saturation du marché britannique par les publications américaines, les traductions représentent seulement 5,6% des titres de fiction. Mais il faut relever que le Français est la première langue traduite dans le pays.
Les genres préférés des lecteurs et lectrices britanniques sont le roman policier suivi des (auto)biographies et du roman historique.
Les agents sont beaucoup plus importants qu’en France. Leur rôle principal est celui d’intermédiaire entre l’auteur et l’éditeur, ils négocient notamment les termes du contrat (à-valoir, % de royalties) et se rémunèrent à hauteur de 15% sur l’avance obtenue et un pourcentage sur les ventes réalisées.
Bonne journée,