Quels monologues de colère de femme dans le théâtre ancien, classique et contemporain ?
Question d'origine :
bonjour
je suis à la recherche de monologue de colère de femme dans le théâtre ancien, classique et contemporain.
merci de vos indications.
cordialment
p.s : c'est trop bien le guichet du savoir
fany buy
Réponse du Guichet
De très nombreuses productions contemporaines, notamment féministes, s'attachent à dépeindre la colère des femmes dans des formes souvent axées sur le monologue. Dès qu'on remonte dans le passé, la voix des femmes est moins audible, mais de notables exceptions existent : en particulier, les tragédies de la Grèce antique et leurs réécritures jusqu'au XXè siècle résonnent volontiers d'ire et de courroux féminins.
Bonjour,
Tout d'abord, un grand merci pour vos encouragements !
Pour un premier balayage du théâtre contemporain, nous vous invitons à consulter les listes de scènes et de pièces concoctées et régulièrement mises à jour par nos collègues du fond Arts vivants de la médiathèque de Vaise, ici même et sur notre webzine L'Influx :
Monologues, datant du XXIème siècle, pour femmes et pour préparer un concours avec notamment :
Le sas / Michel Azama (in Monologues pour femmes de Michel Azama, Koffi Kwahulé, Philippe Minyana) / Ed. Théâtrales / 2007 [Livre]
Depuis 16 ans, elle est en prison. A 23 ans, sa vie a basculée, elle a pris un fusil et elle a tiré les yeux fermés dans le dos de sa passion… Cette nuit est sa dernière en prison. Hargne, angoisse, hystérie, attendrissement, gamberge et surtout la peur de la liberté.
La visite / Anne Berest / Actes sud / 2020 [Livre]
Une pièce engagée sur le statut des femmes. Elle questionne l’instinct maternel et le rôle de la mère dans sa confrontation avec la société. Des passages drôles et une belle écriture.
Voir aussi résumé sur le site de l'éditeur Actes sud :
«La Visite» : Une jeune mère reçoit la visite de la famille éloignée de son mari, qui ne devrait pas tarder à rentrer du travail. Seule face à ce public, qui n’est pas venu pour elle, elle se lance dans un monologue sans concessions, sans retenue, balayant des réflexions sur la maternité, le mythe du parfait bonheur découlant du miracle ! Plongeant petit à petit dans un délire qui nourrit son argumentation sur l’instinct maternel, elle arrive au bord de l’implosion. Femme seule et perdue face au regard de la société et ne pouvant plus jouer le rôle qu’on attend d’elle.
Monologue / Ludovic Degroote / Champ Vallon / 2012 [Livre]
« Je m’appelle Godeleine Degroote, je suis morte dans un accident d’auto non loin de Folkestone en Angleterre le 8 août 1970. Aussitôt j’ai su que je ne serais pas seule à mourir, que je ne pouvais me détruire sans les autres, non par choix mais par amour, si on meurt à 18 ans on commence par la famille, alors j’ai commencé par ma famille. » (extrait)
Hedda / Sigrid Carré-Lecoindre / Ed. Théâtrales / 2019 [Livre]
Hedda raconte comment sa relation amoureuse est devenue progressivement violente. Une pièce librement inspirée de la vie d’Hedda Nussbaum, victime de violences conjugales. Au dessus des coups physiques et des attaques psychologiques, le couple semble se porter un amour inconditionnel.
Distribution : 1 F ou un chœur
Médée Kali / Laurent Gaudé / Actes Sud / 2003 [Livre]
Monologue de Médée Kali, chant VIII
Médée a tué ses enfants et s’est enfuie, laissant Jason pétrifié d’horreur. Si elle revient aujourd’hui, c’est pour terminer ce qu’elle a fait : sortir les corps de leur arrogant cercueil de marbre, les exhumer et les brûler pour qu’il n’en reste rien.
Ce monologue se situe avant qu’elle ne confie ses deux fils morts au Gange et qu’elle ne se livre à Persée. Vengeance et haine sont assouvis. Médée Kali est ici vénérée…
Fuck you ! Eu.ro.Pa / Nicoleta Esinencu / L’Espace d’un instant / 2007 [Livre]
“Papa, il faut que je te dise quelque chose”. Il ne s’agit pas d’une lettre d’adieu ou d’un message… On comprendra vite qu’il s’agit surtout d’un récapitulatif rapide, réduit à quelques traits d’un humour noir et sans ménagements sur sa propre famille – le père souvent ivre, la grande mère “une communiste ukrainienne grosse et stupide”, une mère muette et soumise – et en fin de compte, étendu à un état de choses beaucoup plus large.
Nous vous laissons consulter l'article en intégralité pour d'autres textes contemporains.
Textes contemporains et colères de femmes également mis à l'honneur dans la liste Des pièces contre le sexisme et les violences faites aux femmes, où vous trouverez :
Basta ! : six pièces courtes / Marine Bachelot Nguyen, Marie Dilasser, Latifa Djerbi… / L’avant-scène théâtre / 2018 [Livre]
Six auteures ont composé une pièce courte autour du thème : « Basta ! » pour en finir avec la domination masculine, le sexisme ordinaire, la malédiction de naître fille ou encore l’angoisse de vieillir…
Huit monologues de femmes / Barzou Abdourazzoqov / Zurma / 2013 [Livre]
Monologue
8 femmes viennent tour à tour raconter dire leur quotidien. Elles disent la violence sociale, la perte des repères traditionnels, le machisme d’une culture à la fois musulmane, persane et russe. Rythmés par la rage et l’humour, ces mots évoquent aussi des situations connues dans les grandes villes occidentales et leurs banlieues.
Extrait de la notice de l'ouvrage sur notre catalogue : "Rythmés par la rage et l'humour, ces mots proférés au nord du Tadjikistan évoquent parfois des situations connues aussi dans les grandes villes occidentales et leurs banlieues. "A la première personne, dans un style parlé, franc, direct, huit femmes nous livrent une partie de leur vie."
La poupée barbue / Edouard Elvis Bvouma / Lansman / 2018 [Livre]
Comédie dramatique – Monologue
La pièce fait suite à la pièce A la guerre comme à la game boy. Comme un contrechamp, c’est au tour de la jeune fille de se raconter. Elle s’adresse à Boy, un enfant-soldat.
Elle s’est enfuie d’un camp de réfugiés pour le rejoindre. Dans un contexte de guerre civile, elle a été enlevée et enrôlée dans un groupe rebelle. Victime d’un viol collectif de la part des combattants de l’ethnie rivale, elle est devenue le jouet sexuel du commandant.
etc.
Toujours sur l'Influx, voir également Pièces féministes.
Signalons au passage l'article "Femmes en colère, hommes en goguette", issu de Jongleurs des temps modernes de Brigitte Urbani (Textuelles, 2013), et consacré à monologues et dialogues de femmes de Franca Rame et Dario Fo, et notamment à la pièce Moi, Ulrike, je crie :
On peut fixer à 1975 l’année où Franca Rame porte véritablement sur scène la lutte féministe, s’engage, ose parler comme personne ne l’avait fait avant elle. C’est l’année où elle compose Le viol, un monologue qui émut, glaça, fit scandale lorsque, quatre ans plus tard, elle le récita. C’est aussi l’année où s’ouvre, en Allemagne, le procès d’Ulrike Meinhof, accusée de terrorisme. Le combat d’Ulrike n’avait rien à voir avec le féminisme ; néanmoins son procès met sur le devant de la scène une femme à qui Franca Rame prête sa voix.
Si les pleurs de la Vierge Marie ou le pacifique délire de la mère du petit Marco, tué lors du massacre des Innocents, dans Mystère bouffe et Parlons de femmes, étaient les éternels archétypes liés à la mère à qui on a massacré son enfant, ces figures féminines, en dépit de l’actualisation opérée par le langage et la gestuelle, appartenaient à un passé biblique qui maintenait une distance entre les faits et le spectateur, et à une mémoire collective où la décantation du drame en émoussait l’impact. Les monologues de femmes témoins et actrices de la Résistance (Nada Pasini, La fiocinina, Mamma Togni) des années 1969-1971 (L’ouvrier connaît 300 mots…), repris dans Parlons de femmes en 1977, se référaient à un passé beaucoup plus proche, tangible, encore frais dans la mémoire des moins jeunes. Mais il s’agissait toujours du passé, même si, dans l’œuvre du couple, le passé (l’histoire) est toujours exploré à la lumière du présent. Or, à partir de 1975, Dario Fo et Franca Rame commencent à élaborer pour les femmes des textes directement liés à l’actualité la plus immédiate (et qui continueront à se construire au fil des années, archétypes des scandales politiques et sociaux dont notre quotidien est semé), où les protagonistes ne sont plus cantonnées au rôle de victimes indirectes (mères éplorées ou indignées) ou d’éléments mineurs au sein d’un mouvement dirigé par des hommes (comme la Résistance), mais figures de premier plan, à la barre de mouvements politiques, ou encore dans l’héroïsme de leur quotidien le plus anonyme. Elles témoignent dans la colère ou la consternation. Leur cri, étouffé par la violence ou par la honte, résonne dans un silence que Franca Rame, en leur donnant sa voix, matérialise et fait retentir, au risque de choquer les bonnes gens.
Le cri d’Ulrike est annoncé dès le titre : Moi, Ulrike, je crie… (1977). L’ensemble du monologue n’est qu’un cri dans le silence : paroles de dénonciation dans le silence de la cellule, mise en garde à la masse silencieuse qui dort paisiblement chez soi.
On n'oubliera non plus les Monologues du vagin d'Eve Ensler.
Le théâtre du passé n'est pas avare de scènes de colère. Parmi les grandes figures de la tragédie grecque, on peut citer la Médée d'Euripide, où la magicienne de Colchide laisse ainsi éclater son ire envers le volage Jason :
Monstre de scélératesse! — car je ne trouve pas sur ma langue injure plus forte pour flétrir ta lâcheté, — tu es venu devant nous, tu es donc venu, le pire ennemi des dieux, de moi-même, de toute la race des hommes ? Ah non ! ce n'est pas là du courage, ni de la hardiesse, quand on a mal agi envers des êtres chers, que de les regarder en face, mais c'est le plus grand des vices qui soient au monde, de l'impudence. Au reste tu as bien fait de venir : à te dire des injures je soulagerai mon coeur, et, toi, tu souffriras à m'écouter. Mais c'est par le commencement que je commencerai. Je t'ai sauvé, comme le savent tous ceux des Grecs qui se sont embarqués avec toi sur le navire Argo. On t'avait envoyé pour soumettre au joug les taureaux au souffle de feu et ensemencer les sillons de la mort. Or le dragon qui enveloppait la Toison d'or de ses mille replis tortueux et la gardait sans jamais dormir, je l'ai tué et j'ai levé pour toi le flambeau du salut. Moi-même j'ai trahi mon père et ma maison et je suis venue à la ville du Pélion, à Iôlcos, avec toi, plus empressée que sage. J'ai fait périr Pélias de la mort la plus cruelle, de la main de ses propres filles, et t'ai enlevé toute crainte. Voilà les services que je t'ai rendus, ô le plus scélérat des hommes. Et tu m'as trahie, tu as pris possession d'un nouveau lit, toi qui avais des fils! Si encore tu n'avais pas d'enfants, tu serais pardonnable de t'enamourer de cette couche. Mais où est-elle la foi de tes serments ? Saurai-je jamais ta pensée ? Crois-tu que les dieux d'alors ne règnent plus, ou qu'ils ont établi maintenant de nouvelles lois pour les hommes, puisque tu as conscience de ton parjure envers moi ?(Amère.) Ah! main droite que tu prenais si souvent! Ah! mes genoux! N'est-ce pas en vain que vous avez été embrassés par ce perfide ? Que d'espérances trompées! Allons! comme un ami je vais te consulter. — Quel service, d'ailleurs, attendre de toi ? N'importe : mes questions feront mieux paraître ton infamie. — Où main-tenant me tourner ? Vers le palais de mon père, que j'ai trahi, ainsi que ma patrie, pour te suivre ? Vers les malheureuses filles de Pélias ? Oui, elles me feraient un bel accueil, elles dont j'ai tué le père! Car il en est ainsi : de ceux des miens qui me chérissaient je suis devenue l'ennemie, et ceux que je ne devais pas outrager, pour te plaire, je m'en suis fait des adversaires acharnés. (Sarcastique.) Aussi, en récompense, que de femmes en Grèce envient mon bonheur! Ah! oui, j'ai en toi un époux admirable, et fidèle, malheureuse que je suis si je fuis cette terre, proscrite, privée d'amis, seule avec mes enfants abandonnés! Beau sujet de gloire, certes, pour le nouvel époux que de voir ses enfants errer en mendiants avec moi qui t'ai sauvé! O Zeus, pourquoi donc as-tu doté les hommes de moyens sûrs pour reconnaître l'or de mauvais aloi et pourquoi n'y a-t-il pas sur le corps humain de marque naturelle qui distingue le méchant ?
(Traduction Henri Berguin)
A l'âge classique, citons Phèdre de Racine, aux scènes 5 et 6 de l'acte IV.
Les femmes fortes sont d'ailleurs nombreuses dans le théâtre de Racine, et vous trouverez également de beaux témoignages de courroux de la part de Bérénice dans la pièce qui porte son nom, d'Agrippine dans Britannicus ou de Clytemnestre dans Iphigénie...
La Compagnie Affable a établi une liste de textes en solo pour une audition de théâtre ou de cinéma qui pourra vous intéresser. On y trouve des monologues moins connus. Par exemple ce monologue de la Salomé d'Oscar Wilde, où l'héroïne s'adresse à la tête coupée de Saint Jean Baptiste. Il s'y déploie une sensualité assez curieuse, mais qui n'est pas dénuée de rancoeur et pourrait être intelligemment tirée vers la colère froide ?
SALOMÉ, tient la tête de Jean-Baptiste. — Ah! Tu n’as pas voulu que je baise ta bouche, Iokanaan. Eh bien, je vais la baiser maintenant. Je vais mordre ta bouche, avec mes dents, comme on mord dans un fruit mûr. Oui, je vais baiser ta bouche, Iokanaan. Ne te l’avais-je pas dit? Si, je te l’avais dit. Ah! Je vais la baiser maintenant. Mais pourquoi ne me regardes-tu pas, Iokanaan? Tes yeux si terribles, si pleins de rage et de dédain, sont fermés à présent. Pourquoi sont-ils fermés? Ouvre-les! Soulève tes paupières, Iokanaan! Pourquoi ne me regardes-tu pas? As-tu si peur de moi, Iokanaan, que tu n’oses me regarder? Et ta langue, qui était comme un serpent venimeux, elle ne bouge plus, elle ne dit plus rien, Iokanaan, cette vipère écarlate qui crachait son venin sur moi. C’est étrange, n’est-ce pas? Comment se peut-il que cette vipère rouge ne remue plus? Tu ne me voulais pas, Iokanaan. Tu m’as rejetée. Tu m’as dit des choses infâmes. Tu m’as traitée comme une fille de joie, comme une prostituée, moi, Salomé, fille d’Hérode, Princesse de Judée! Eh bien, je vis encore, et toi, tu es mort, et ta tête m’appartient. Je peux en faire ce que je veux. Je peux la jeter aux chiens, et aux oiseaux du ciel. Ce que les chiens laisseront sera dévoré par les oiseaux du ciel. Ah, Iokanaan, Iokanaan, tu fus le seul homme que j’aimais! Tous les autres hommes m’étaient odieux. Mais toi, tu étais beau! Ton corps était une colonne d’ivoire posée sur des pieds d’argent. C’était un jardin empli de colombes et de lys argentés. C’était une tour d’argent ornée de boucliers d’ivoire. Rien au monde n’était plus blanc que ton corps. Rien au monde n’était plus noir que tes cheveux. Rien au monde n’était plus rouge que ta bouche. Ta voix était un encensoir aux parfums étranges, et chaque fois que je te regardais, une étrange musique me parvenait. Ah, pourquoi ne m’as-tu pas regardée, Iokanaan? Tu cachais ton visage derrière tes mains et tes blasphèmes. Tu as mis sur tes yeux le bandeau de celui qui veut voir son Dieu. Eh bien, tu l’as vu ton Dieu, Iokanaan, mais moi, moi… tu ne m’as jamais vue. Si tu m’avais vue, tu m’aurais aimée. Moi, je t’ai t’ai vu, et je t’ai aimé. Oh, combien je t’ai aimé! Je t’aime toujours, Iokanaan… Je n’aime que toi. J’ai soif de ta beauté; j’ai faim de ton corps; et ni le vin ni les fruits ne peuvent apaiser mon désir. Que dois-je faire maintenant, Iokanaan? Aucun fleuve, aucun déluge, ne peut éteindre mon désir. J’étais une princesse, et tu m’as méprisée. J’étais vierge, et tu m’as déflorée. J’étais chaste, et ton feu brûle sous ma peau… Ah! Ah! Pourquoi ne m’as-tu pas regardée? (Elle embrasse la tête.) […] Ah! J’ai baisé ta bouche, Iokanaan, j’ai baisé ta bouche. Tes lèvres avaient une saveur amère. Était-ce le goût du sang? Non ; mais peut-être était-ce le goût de l’amour… On dit bien que l’amour est amer… Mais qu’importe? Qu’importe? J’ai baisé ta bouche.
Dans le registre de la rage devenue folie, le site un extrait du Médée (encore elle!) deJean Anouilh, soliloque où l'héroïne sombre dans la démence meurtrière.
Le site Libre théâtre attire notre attention sur le monologue un un acte La Petite révoltée de Georges Feydeau, disponible sur Gallica, pour une colère acide :
Une jeune fille est chassée du salon par sa mère, en discussion avec M. Montalon… elle est révoltée par cette situation et écoute à la porte mais n’entend pas très bien.
Ou la Tirade de Dona Lucrezia dans Lucrèce Borgia de Victor Hugo (Acte II, Première Partie, Scène 2) :
Monsieur, monsieur, ceci est indigne, ceci est odieux, ceci est infâme. Quelqu’un de votre peuple, —savez-vous cela, don Alphonse ? — vient de mutiler le nom de votre femme gravé au-dessous de mes armoiries de famille sur la façade de votre propre palais. La chose s’est faite en plein jour, publiquement, par qui ? Je l’ignore, mais c’est bien injurieux et bien téméraire. On a fait de mon nom un écriteau d’ignominie, et votre populace de Ferrare, qui est bien la plus infâme populace de l’Italie, monseigneur, est là qui ricane autour de mon blason comme autour d’un pilori. Est-ce que vous vous imaginez, don Alphonse, que je m’accommode de cela, et que je n’aimerais pas mieux mourir en une fois d’un coup de poignard qu’en mille fois de la piqûre envenimée du sarcasme et du quolibet ? Pardieu, monsieur, on me traite étrangement dans votre seigneurie de Ferrare ! Ceci commence à me lasser, et je vous trouve l’air trop gracieux et trop tranquille pendant qu’on traîne dans les ruisseaux de votre ville la renommée de votre femme, déchiquetée à belles dents par l’injure et la calomnie. Il me faut une réparation éclatante de ceci, je vous en préviens, monsieur le duc. Préparez-vous à faire justice. C’est un événement sérieux qui arrive là, voyez-vous ? Est-ce que vous croyez par hasard que je ne tiens à l’estime de personne au monde, et que mon mari peut se dispenser d’être mon chevalier ? Non, non, monseigneur ; qui épouse protège ; qui donne la main donne le bras. J’y compte. Tous les jours ce sont de nouvelles injures, et jamais je ne vous en vois ému. Est-ce que cette boue dont on me couvre ne vous éclabousse pas, don Alphonse ? Allons, sur mon âme, courroucez-vous donc un peu, que je vous voie, une fois dans votre vie, vous fâcher à mon sujet, monsieur ! Vous êtes amoureux de moi, dites-vous quelquefois ? Soyez-le donc de ma gloire. Vous êtes jaloux ? Soyez-le de ma renommée ! Si j’ai doublé par ma dot vos domaines héréditaires ; si je vous ai apporté en mariage, non seulement la rose d’or et la bénédiction du Saint-Père, mais ce qui tient plus de place sur la surface du monde, Sienne, Rimini, Cesena, Spolette et Piombino, et plus de villes que vous n’aviez de châteaux, et plus de duchés que vous n’aviez de baronnies ; si j’ai fait de vous le plus puissant gentilhomme de l’Italie, ce n’est pas une raison, monsieur, pour que vous laissiez votre peuple me railler, me publier et m’insulter ; pour que vous laissiez votre Ferrare montrer du doigt à toute l’Europe votre femme plus méprisée et plus bas placée que la servante des valets de vos palefreniers ; ce n’est pas une raison, dis-je, pour que vos sujets ne puissent me voir passer au milieu d’eux sans dire : — ha ! Cette femme !… — or, je vous le déclare, monsieur, je veux que le crime d’aujourd’hui soit recherché et notablement puni, ou je m’en plaindrai au pape, je m’en plaindrai au valentinois qui est à Forli avec quinze mille hommes de guerre ; et voyez maintenant si cela vaut la peine de vous lever de votre fauteuil !
Vous trouverez sans doute de belles scènes de colère féminine dans La Chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams ou dans Qui a peur de Virginia Woolf ? d'Edward Albee. Et pour remonter un peu dans le temps, le personnage de Catharina dans La Mégère apprivoisée de Shakespeare, indépendante et impétueuse, pourra vous intéresser...
(On remarquera au passage que ces trois textes ont été interprétés par la grande Elizabeth Taylor au cinéma.)
Pour compléter ce tour d'horizon forcément partiel, nous vous suggérons de rendre visite, si vous en avez la possibilité, à nos collègues du fonds Arts vivants de Vaise, cités en ouverture. Peut-être pouvez-vous également contacter Nathalie Chocron, documentaliste de la base de connaissance sur le théâtre Mascarille à cette adresse :
- mascarille.mjc@orange.fr
Bonne journée.