Quel était le mode de vie des bergers et bergères dans la Grèce antique ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pourriez-vous m'éclairer sur le mode de vie des bergers et bergères dans la Grèce antique ?
Merci et bonne journée à vous !
Réponse du Guichet
Nous n'avons pu collecter que bien peu d'informations concernant la vie des bergers en Grèce durant l'Antiquité. On sait toutefois qu'ils étaient souvent esclaves de propriétaires agricoles et que leur année se partageait entre vie en plaine l'hiver et en montagne dès le printemps et durant l'été. Ils entretenaient un rapport de proximité aux bêtes dont ils avaient la garde et développaient, pour leur préservation, une pratique religieuse.
Bonjour,
Les informations sur la vie quotidiennes des bergers sont peu abondantes. C'est ce que notait déjà l'helléniste Stella Geougordi dans un article de 1974.
"L'étude des textes est souvent décevante : la pauvreté des documents est frappante en tout ce qui concerne les éleveurs et les bergers, leur mode de vie, leurs installations, leurs «mouvements» dans l'espace et le temps. La littérature ne semble pas s'intéresser beaucoup à ces gens rudes de la campagne qui mènent une vie marginale, loin de l'άστυ [la ville]. Cette pauvreté d'information s'accentue surtout après Homère et — exception faite de références éparses et occasionnelles — il faut en arriver aux poètes bucoliques de l'époque hellénistique pour que la représentation du monde pastoral devienne prédominante. Mais là encore c'est le poète « romantique », l'homme de la ville qui parle, en mélangeant descriptions réalistes et scènes mythologiques, en dotant ses pasteurs d'un intellectualisme citadin, en s'intéressant plutôt à leurs amours qu'à leur activité et à leur genre de vie".
Plus récemment, l'historien Christophe Chandezon évoque également dans son livre L’élevage en Grèce (fin ve-fin ie s. a.C.) les problèmes que soulève cette question ; ne serait-ce que parce que "l'identification des sites liés à la vie pastorale pose de sérieuses difficultés".
Quelles informations avons-nous pu collecter ?
La Grèce est une terre au "relief tourmenté" comme le rappelle Pierre Cabanes. On y trouve des montagnes hautes de 2000 mètres, avec des alpages, favorables aux troupeaux. A ce titre, les bergers pratiquaient une forme de transhumance (mais dont la dénomination exacte fait débat chez les spécialistes). Les transhumances étaient sans doute effectuées sur d'assez courtes distances. Les bergers vivaient au printemps et à l'été en montagne et redescendaient pour l'hiver en plaine où le climat était moins rude. Chandezon estime que "la vraie transhumance était effectivement inconnue d'une grande partie du monde grec au ier millénaire av. JC et que la vie pastorale était alors dominée par des déplacements à courte échelle, semblables en cela à l'inalpage."
Chandezon rapporte un texte (littéraire) de Dion Chrysostome qui narre quelques moments de cette vie pastorale. Il précise toutefois que ce texte est tardif (Ier s. ap. JC).
"Dion Chrysostome témoigne d'une pratique semblable dans l'Eubée de la fin du iers. p.C.: l'hiver les troupeaux d'un riche propriétaire restaient en plaine, mais l'été, des bergers salariés les conduisaient vers les pâturages de montagne (λειμῶνες) où l'herbe était toujours verte et où l'eau ne manquait pas. La description de cet estivage est particulièrement réaliste: on y voit les chiens qui surveillent le troupeau et accompagnent leurs maîtres à la chasse, les cabanes (σκηναί) où les bergers passent la nuit et le parc de bois pour les jeunes animaux".
Concernant les troupeaux dont ils avaient la garde - Chandezon, toujours lui ! - livre quelques indications :
Les Anciens considéraient qu’un bon berger pouvait s'occuper d'une centaine de brebis à la fois (Vairon, Économie rurale, 2.10.10-11, propose I berger pour 80 brebis et explique qu'Atticus donnait le chiffre de 1 pour 100, cf. ibid., 2, 2, 20 : pour les brebis à laine fine, il faut se contenter de confier au berger un troupeau de 50 têtes). Les chèvres demandent plus d'attention et il vaut mieux que le chevrier ait la garde d'un petit troupeau. Il est vrai que l'on gardait souvent chèvres et moutons ensemble.
Les zones de pacage de ces troupeaux peuvent donner lieu à des contestations, des luttes entre bergers, lesquelles peuvent même dégénérer en guerre : "une dispute entre bergers phocidiens et locriens ozoles à propos de l’exploitation des pâturages du Parnasse fut à l’origine de la Guerre de Corinthe" (Chandezon, ouvrage cité).
La dimension religieuse est présente dans la vie pastorale. Dans un article de 1982, l'historienne Lilliane Bosdon explique que les bergers possédait un panthéon de dieux spécialisés dans la protection des troupeaux. Elle relève une véritable piété du berger grec, non seulement parce qu'il fallait préserver à des fins économiques les animaux dont ils avaient la charge, mais également en raison d'un vrai attachement à "ses" animaux.
Enfin, selon l'historien Alain Bresson, la plupart de ces bergers grecs était des esclaves au service de riches propriétaires. Cependant, "il ne faudrait pas croire que tous les bergers étaient des esclaves [...]. Les archives de Zènôn montrent la diversité des modes de gestion du bétail et le recours fréquent à des baux à cheptel et à des bergers salariés. Les bergers du Discours euboïque de Dion Chrysostome, sous l'Empire, étaient également des salariés. [...]. Même si cela était certainement minoritaire, il a donc dû exister des bergers libres dans l'Antiquité grecque". (Chandezon, ouvrage cité, conclusion).
Vous l'aurez compris, nous n'avons pu récolter beaucoup d'éléments précis sur cette vie pastorale. L'ouvrage de Christophe Chandezon, dans lequel nous avons principalement puisé, constitue un document de référence sur l'élevage en Grèce antique. Nous vous en recommandons la lecture. Deux autres références que nous n'avons pas été en mesure de consulter, pourraient également vous apporter des éclairages :
- Le livre de Jacqueline Duchemin, La houlette et la lyre. Recherches sur les origines pastorales de la poésie. selon Chandezon, l'auteure établit un lien réel entre la musique, la poésie pastorale et les réalités de l'élevage ; cet ouvrage traite notamment du berger musicien.
- Les travaux de l'archéologue, spécialiste de l'épigraphie grecque, Louis Robert. Deux textes, tirés du volume VII de sa série d'ouvrages Hellenica pourraient contenir des informations : " Epitaphe d'un berger à Thasos" et "Les chèvres d'Herakleia"... Mais sachez qu'il ne sera pas aisé de se procurer ces Hellenica.
Bel été à vous !