Les gauchers ont-ils des spécificités cognitives ?
Question d'origine :
Est-ce que les gauchers ont réellement des capacités intellectuelles différentes de celles des droitiers?
Si oui, pour quelles tâches sont-ils en moyenne meilleurs, et en quoi sont-ils moins bons?
Est-ce que des études scientifiques sérieuses ont été menées sur le sujet?
Réponse du Guichet
Des études ont démontré que malgré une santé plus fragile que celle des droitiers et une constitution cérébrale particulière qui les rendrait "plus vulnérables à certains troubles neurologiques et psychiatriques", les gauchers bénéficieraient d'un "avantage stratégique dans les combats", qu'ils auraient des facultés d'innovation et de créativité plus grande, que "les femmes gauchères ont en moyenne plus de chances que les femmes droitières de réussir l'examen du baccalauréat, et que les gauchers (hommes et femmes) ont en moyenne un salaire plus élevé que les droitiers." Ils auraient également un léger avantage en performance verbale et leurs capacités mémorielles seraient différentes de celles des droitiers. Mais tout "cela dépend aussi de paramètres comme l’expérience, l’apprentissage ou les influences épigénétiques." En d'autres termes, on peut dire que droitiers et gauchers n'ont pas la même forme d'intelligence.
Bonjour,
Les gauchers ont-ils réellement des capacités intellectuelles différentes de celles des droitiers ? En quoi sont-ils meilleurs et moins bons ?
Bien des études et articles ont été publiés sur ce sujet. Voici un résumé de résultats publiés entre 2007 et 2022 sur internet.
En 2007, l'étude sur les gauchers, Gaucher : avantage ou inconvénient ? de Charlotte Faurie, chargée de recherches au CNRS, publiée dans le n°19 de Cerveau & psycho1 révèle que la santé des gauchers serait plus fragile :
Les études ayant porté sur les parcours de vie des gauchers, ont révélé qu'être gaucher semble comporter de nombreux désavantages en termes de santé et de mortalité. De façon générale, le poids à la naissance est en moyenne plus faible pour les gauchers que pour les droitiers, une caractéristique généralement associée à une santé plus fragile. Les gauchers seraient plus fréquemment sujets à des maladies des systèmes immunitaire et nerveux, et leur longévité serait réduite, en partie à cause de risques plus élevés d'accidents, car la plupart des dispositifs et instruments du monde moderne ne leur sont pas faciles d'utilisation. De plus, ils sont en moyenne moins grands et moins lourds que les droitiers, ce qui est en général un inconvénient vis-à-vis de la sélection naturelle.
Mais les gauchers bénéficieraient d'un "avantage stratégique dans les combats (réels ou ritualisés)" lié à la rareté :
L'idée d'un avantage des gauchers dans les combats est suggérée par l'étude des sports interactifs (où s'opposent des adversaires, tels que la boxe ou le tennis), qui peuvent être considérés comme une forme particulière de combat, dit combat ritualisé. Les gauchers étant plus rares que les droitiers, ces derniers n'ont pas l'habitude de se battre contre des gauchers, tandis que les gauchers sont confrontés le plus souvent à des droitiers et sont donc entraînés à cette situation. Ainsi, dans une opposition droitier-gaucher, les gauchers sont avantagés par un effet de surprise. En effet, les gauchers sont significativement plus fréquents parmi les sportifs de haut niveau dans ces disciplines interactives que dans la population générale, ou dans les disciplines non interactives (sports sans interaction entre adversaires, tels que la natation ou l'escalade).
Faurie développe alors l'hypothèse qu'il devrait y avoir "plus de gauchers dans les sociétés ou les cultures où les combats physiques sont plus fréquents". S'appuyant sur l'étude du niveau de violence dans diverses cultures, cette hypothèse a été confirmée :
Nous avons comparé huit cultures différentes, réparties sur cinq continents, et avons montré que, dans ces sociétés traditionnelles, plus les homicides sont fréquents, plus la société comporte de gauchers. Tout comme pour les sports interactifs, ce phénomène est lié à un avantage des gauchers dû à un effet de surprise. L'avantage dont ils bénéficient n'est pas inhérent au fait d'être gaucher ; il est lié à leur proportion plus faible dans la population.
Cela ne signifie pas que les gauchers sont plus violents, mais qu'une société plus violente procure plus d'avantages aux gauchers, ce qui augmente leur proportion dans laCela ne signifie pas que les gauchers sont plus violents, mais qu'une société plus violente procure plus d'avantages aux gauchers, ce qui augmente leur proportion dans la population au fil des générations, car ils survivent mieux et parviennent mieux à se reproduire. Il est ainsi possible que cette théorie soit généralisable, au moins chez les primates : de fait, les gauchers sont plus nombreux chez les chimpanzés, qui forment des sociétés plus violentes que les sociétés humaines.
La chercheuse termine enfin avec "les relations entre latéralité et capacités cognitives" :
De nombreux chercheurs se sont penchés sur les relations entre latéralité et capacités cognitives. Les gauchers sont mieux représentés dans des groupes d'individus dont le quotient intellectuel est, soit extrêmement faible, soit extrêmement élevé. Ils semblent par conséquent constituer un groupe très hétérogène. De nombreuses mesures de l'intelligence ont été utilisées pour comparer gauchers et droitiers (exercices de manipulation visuelle, tests verbaux, symboliques, de mémoire, de lecture, de dessin, d'arithmétique, de langues étrangères). Les gauchers et les droitiers pourraient bien différer, non pas par leurs capacités cognitives globales, mais plutôt par leurs styles cognitifs : ils auraient des formes différentes d'intelligence. Par exemple, les gauchers seraient en moyenne supérieurs en ce qui concerne la mémoire épisodique (ils se rappellent mieux les faits passés), et inférieurs pour la mémoire implicite (ils mémorisent moins bien certains automatismes). Certaines études suggèrent que les gauchers ont de plus grandes facultés d'innovation et de créativité.
Enfin, des différences socio-économiques pourraient également résulter de choix professionnels différents. Plusieurs études ont montré que les gauchers sont plus fréquents dans certains domaines professionnels, tels que les arts, la musique, les mathématiques et l'architecture. Nous avons étudié un large échantillon de la population française, et nous avons trouvé que les femmes gauchères ont en moyenne plus de chances que les femmes droitières de réussir l'examen du baccalauréat, et que les gauchers (hommes et femmes) ont en moyenne un salaire plus élevé que les droitiers. Ce dernier fait a été confirmé par des études réalisées au Royaume-Uni.
Sur le site Slate, dans Les gauchers sont-ils plus enclins à être des génies ?, Robin Tutenges explique pourquoi les capacités à créer et innover des gauchers seraient meilleures que celles des droitiers :
Ce qu'ont remarqué les scientifiques, c'est que chez les gauchers, l'hémisphère cérébral droit était en moyenne plus développé que celui des droitiers. Cette partie du cerveau n'est pas anodine : c'est notamment là que résident nos fonctions d'analyse spatiale et artistique.
Ce n'est pas tout. Plusieurs études ont également montré que le faisceau de cellules nerveuses reliant les deux hémisphères cérébraux était plus important chez les gauchers. Autrement dit, les deux parties de leurs cerveaux communiquent mieux entre elles.
En 2021, une étude de la PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America) menée par une équipe internationale de chercheurs confirme cela selon Nathalie Kleczinski dans Le cerveau des gauchers est physiquement différent révèle cette étude sur Néo zone et Julie Kern dans Quelles sont les particularités du cerveau des gauchers ? sur Futura sciences en 2022.
Suite à une étude antérieure menée par Gwenaëlle Douaud, Akira Wiberg et Dominic Furniss, Gauchers : un cerveau différent, publiée dans Cerveau & psycho1 n°118 en janvier 2020, les chercheurs ont constaté que les gauchers ont un léger avantage quant à leurs performances verbales mais ils seraient également "plus vulnérables à certains troubles neurologiques et psychiatriques" :
Nos observations semblent donc démontrer une relation étroite entre la latéralité chez l’humain et le langage, avec comme corollaire la possibilité - non démontrée encore - que cela puisse donner un léger avantage aux gauchers quand il s’agit de performance verbale. Une hypothèse qu’il faudrait tester. Mais un tel travail réclamerait une large base de données, dans lesquelles les fonctions verbales seraient définies de façon très précise, ce qui n’est pas disponible actuellement dans la UK Biobank.
Le moins bon côté de la chose
Peut-être les gauchers bénéficient-ils de certains avantages cognitifs, comme une plus grande aisance dans le maniement du langage, mais il se pourrait aussi que leur constitution cérébrale particulière les rende en contrepartie plus vulnérables à certains troubles neurologiques et psychiatriques. Des études précédentes ayant suggéré l’existence d’un lien entre la sinistralité et certains troubles du développement neurologique, comme la schizophrénie, nous avons finalement entrepris de comparer la « structure génétique » associée à l’usage de la main gauche avec celles de diverses maladies neurologiques et psychiatriques. Nous avons ainsi confirmé l’existence d’une association - limitée, toutefois - entre cette structure génétique et la maladie de Parkinson, de même que la schizophrénie. Cependant, si les gauchers ont en moyenne un risque très légèrement supérieur de développer la schizophrénie, nous avons en revanche établi qu’ils ont un risque très légèrement moindre d’avoir Parkinson. Il est important de noter que ces liens entre sinistralité et ces deux maladies ne correspondent qu’à une proportion très réduite de personnes présentant une de ces deux conditions. C’est d’une certaine façon le revers de la médaille : parce que nous étudions un très grand nombre de personnes, les effets que nous observons peuvent être relativement modestes. Ici par exemple, les différences génétiques et cérébrales que nous avons découvertes entre gauchers et droitiers sont de l’ordre de 1 à 2 %.
En guise de conclusion, ajoutons ces quelques mots de Clémentine Fitaire qui pondérait l'idée de fonctions meilleures selon la latéralisation cérébrale dans Le cerveau des gauchers est-il différent ? publié en 2020 sur Planète sciences :
Un raccourci serait donc de dire que les gauchers sont de bons musiciens ou sportifs tandis que les droitiers sont de meilleurs orateurs. «Les choses ne sont pas aussi simples, tempère Patrik Vuilleumier. Ce n’est pas parce qu’un individu est gaucher que les capacités de l’hémisphère droit sont meilleures. Cela dépend aussi de paramètres comme l’expérience, l’apprentissage ou les influences épigénétiques.»
Ouvrages et études scientifiques mené·es sur le sujet :
- L'homme asymétrique : gauchers et droitiers face à face / Guy Azémar ; préf. Jean Massion, 2003
- Gauchers en difficulté : la latérapédagogie, une richesse inexploitée / Joëlle Morice Mugnier, 2011
- La science insolite de l'asymétrie : de la ola au neutrino / Frédéric Flamant, 2016
- Gaucher ? Ou droitier ? : les secrets d'une bonne latéralité / David Feldman, Jean-Paul Pes, 2007
- Droitiers, gauchers : des asymétries dans tous les sens / sous la dir. de Jacqueline Fagard, 2004
- Les gauchers : étude neuropsychologique / Henry Hécaen,..., 1984 et sur Google livres
- Etude de la dynamique hemispherique pour le traitement des mots chez les gauchers et les droitiers, Tania Tremblay, 2009
- Droitiers et gauchers. In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, VI° Série. Tome 10, 1919. pp. 57-80
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Bonne journée.