Comment les bibliothécaires géraient-ils les retards avant l'informatisation ?
Question d'origine :
Madame, Monsieur,
Comment les bibliothécaires géraient-ils les retards avant l'informatisation (lorsque les livres étaient prêtés avec des fiches papiers laissées au dos des livres) ?
Respectueusement,
Réponse du Guichet

Plusieurs systèmes de gestion des prêts-retours manuels se sont succédé dans l'histoire des bibliothèques. Les plus performants, et les seuls à assurer une bonne gestion des retards, étaient les systèmes Newark et Brown, basés sur un système de fiches aussi simple qu'efficace.
Bonjour,
Avant la généralisation de l'informatisation des bibliothèques, nos collègues géraient les prêts et retours à l'aide de deux systèmes manuels tout-à-fait éprouvés et efficaces. Pour bien comprendre comment la gestion des retards s'intégrait dans ces dispositifs, nous devons détailler ceux-ci.
L'ouvrage de référence Le Métier de bibliothécaire (1990) détaille ainsi le système Newark :
Les deux éléments essentiels sur lesquels est fondé ce système de prêt sont la carte du lecteur et la fiche du livre.
- la carte du lecteur, établie lors de l'inscription, porte les renseignements suivants : numéro d'inscription, nom, adresse, date de naissance. Elle est divisée en colonnes sur lesquelles seront apposées, à l'aide d'un tampon-dateur, les dates fixées pour le retour des documents et les dates effectives de restitution.
- la fiche du livre est insérée grâce à un coin à l'intérieur du plat inférieur de chaque volume ; elle porte les éléments d'identification de celui-ci (auteur, titre, cote, numéro d'inventaire) et est, elle aussi, divisée en colonnes. Ces mêmes éléments sont inscrits dans le livre lui-même au-dessus de l'endroit où est placée la fiche. Enfin, au verso de la dernière page, en regard, on colle une feuille de papier portant une mention du type : " A rapporter le " qui servira à indiquer la date limite de retour du document.
La banque de prêt doit être aménagée de manière à permettre le rangement des fiches des documents empruntés.
L'emprunt d'un document consiste à :
- mettre la date limite de retour sur la carte du lecteur et sur la feuille prévue à cet effet sur la dernière page du livre ;
- sur la fiche de prêt du document, mettre la date limite de retour avec, en regard, le numéro d'inscription du lecteur.
Les fiches des documents empruntés sont ensuite classées par journée de prêt, soit par cote, soit par numéro d'inventaire. Les paquets de fiches des documents empruntés par jour de prêt sont eux-mêmes classés par date de retour selon l'ordre chronologique. L'ensemble de ce fichier est appelé l'échéancier.
Lors du retour du document, grâce à la date mentionnée dans le livre, la fiche correspondant au livre est recherchée dans l'échéancier et réinsérée à sa place, tandis que la date de restitution effective est apposée sur la carte du lecteur.
[...]
Le contrôle des retards s'effectue grâce aux fiches des livres restant dans l'échéancier, lorsque la date limite a été dépassée. Mais il faut, ensuite, aller chercher dans le ficher ou le registre des lecteurs, obligatoirement classés par numéro d'inscription, le nom et l'adresse de l'emprunteur afin de pouvoir lui signaler son retard.
Ce qui était généralement fait par courrier postal, en ces temps pré-internet.
Le système Brown fonctionnait "sur le même principe que le précédent" tout en le simplifiant :
Au moment de l'inscription, on attribue au nouvel adhérent autant de pochettes que le règlement de la bibliothèque l'autorise à sortir de documents. Ces pochettes portent chacune son nom, sa date de naissance et son numéro d'inscription.
Les documents sont équipés d'une manière identique que pour le système Newark ; il en est de même pour la banque de prêt pourvue, là encore, de bacs de classement dits "échéanciers".
Au moment de la sortie du livre, la date de retour est mise sur la fiche de prêt du livre et sur la feuille prévue à cet effet destinée à rester dans le document. La fiche du livre est ensuite glissée dans une des pochettes libres de l'emprunteur. Ces pochettes sont ensuite classées dans l'échéancier par jour et selon l'ordre alphabétique des noms des emprunteurs. Lors du retour, grâce à la date mentionnée dans le document, la pochette du lecteur est recherchée dans l'échéancier pour pouvoir remettre la fiche de prêt du document rendu à sa place dans l'ouvrage.
Dans les deux cas, les documents en retard sont identifiés par la place qu'ils occupent dans l'échéancier.
Des modèles de fiches et des tableaux récapitulatifs de ces opérations sont proposés dans l'édition de 1996 du Métier de bibliothécaire :
L'article de Pierre Riberette, « Techniques modernes du prêt », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1958, n° 11, p. 793-810, signale les inconvénients des systèmes en cours avant le Newark et le Brown :
Il n'apparaît pas indispensable de décrire tous les systèmes de prêt utilisés antérieurement aux systèmes à fiches : on se bornera seulement à signaler les systèmes à indicateur, en service à une époque où l'accès libre aux rayons n'était pas encore appliqué dans les bibliothèques de lecture publique et qui, selon James Duff Brown, « exerça une attirance néfaste sur les bibliothécaires et retarda plus que tout autre produit de leur perverse imagination, tout progrès dans les bibliothèques pour une durée de plus de trente années ». Le modèle le plus répandu consistait en un vaste panneau comportant un nombre considérable de tiroirs, dont chacun correspondait à un livre de la bibliothèque et qui étaient destinés à contenir des bulletins de prêt mentionnant le nom de l'emprunteur, la date du prêt et toutes autres indications utiles. Les extrémités de chacun de ces tiroirs étaient interchangeables et portaient la cote du livre peinte d'une couleur différente; selon que l'ouvrage était en rayon ou emprunté, le tiroir présentait aux regards du public l'une ou l'autre de ses extrémités. L'usager, après avoir fait son choix dans le catalogue, consultait l'indicateur et demandait à l'employé les livres signalés comme disponibles.
De même, il a existé en Angleterre un système basé sur des jetons, mais celui-ci rendait difficile une bonne gestion des retards :
Mais, dans la voie de la simplification des opérations de prêt, c'est le « token system » introduit en 1954 à la Bibliothèque publique de Westminster, à Londres, par son directeur, M. McColvin, qui constitue sans doute l'étape la plus avancée. Au moment de son inscription à la bibliothèque, le lecteur reçoit trois jetons correspondant au nombre de volumes qu'il a le droit d'emprunter simultanément ainsi qu'une carte de lecteur renouvelable chaque année et qu'il doit présenter lors de chaque emprunt à l'employé chargé du prêt afin de justifier qu'il est en règle.
Lorsqu'il retire des livres de la bibliothèque, l'usager donne un jeton par volume emprunté; ces jetons lui sont rendus quand lui-même restitue les livres. Comme dans les systèmes de Newark et de Brown, la date d'expiration du prêt est inscrite sur une feuille collée à l'intérieur du volume ce qui permet à la bibliothèque de percevoir les amendes infligées aux lecteurs retardataires, mais ce n'est qu'au moment de la restitution que ceux-ci peuvent être décelés, puisqu'il n'est effectué de contrôle ni des livres prêtés, ni de leurs détenteurs. En fait, le seul moyen de contrôle dont dispose la bibliothèque s'exerce lors du renouvellement annuel de la carte de lecteur; pour que celle-ci soit validée pour une nouvelle année, l'usager doit en effet justifier de la possession de trois jetons correspondant aux trois livres qu'il est autorisé à emprunter. Une amende de 10 shillings est perçue par livre ou jeton perdu; d'autre part, il est tenu registre des récidivistes afin d'éliminer les emprunteurs de mauvaise foi qui entreprendraient, selon l'expression de M. McColvin, de se constituer une bibliothèque personnelle aux dépens de la bibliothèque publique.
Les lacunes du système sont évidentes et M. McColvin ne cherche pas à les nier : en effet le « token system » ne permet ni d'identifier l'emprunteur d'un ouvrage, ni de déterminer la date de restitution de cet ouvrage, ce qui a notamment pour conséquence d'interdire tout envoi de lettres de rappel aux lecteurs retardataires.
Bonne journée.
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